— Ça va, les enfants, rien de casser ? s’inquiéta Corelli.

 — Plus de peur que de mal, souffla Agatha. Qu’est-ce que vous faites ici ? Qu’est-ce qui se passe dans la galerie ?

 — Eh bien, après avoir fait notre possible pour ralentir les autres, nous avons été un peu sonnés, Drake et moi. Mais ils se sont calmés une fois que vous êtes arrivés hors de leur portée.

 — Seulement, celle-ci était une vraie furie, elle tournait en rond jusqu’à ce que le Chat lui propose d’essayer d’avancer avec son propre cadre. On a eu du mal à le croire quand elle est passée devant nous comme ça !

 — Je suppose qu’elle n’est pas la seule à ne pas avoir lâché l’affaire.

 — Il y a le Roi de Cœur et ses sbires, bien sûr.

 — Et beaucoup d’autres qui n’hésiteront pas à tenter leur chance si vous leur passez devant.

 Agatha acquiesça, pensive. Elle s’y était attendue, surtout après le discours de Lisa qui s’était exprimé au nom de tous les êtres de peinture. La vraie surprise, finalement, c’était la bienveillance de ces deux-là. Leur coup de main les avait sauvés des griffes de la Lavandière.

 — Il y en a qui risquent de suivre son exemple, fit remarquer Romulus en se massant la tête.

 — J’espère que les adultes ne vont plus trop tarder, ajouta Juliette.

 Agatha acquiesça avec une moue partagée. Elle réfléchissait à toute vitesse. Ses petites cellules grises étaient en ébullition. Après avoir jauger le pour et le contre de ses idées, sa conclusion lui parut évidente. Elle vint se placer face au cadre de Lisa et lui tendit une main.

 D’abord, Lisa n’y préta pas attention, elle-même plongée dans ses pensées. Quand elle vit la position de sa copine, elle la dévisagea d’abord sans comprendre. Puis un éclair de lucidité la traversa, mais elle ne pouvait y croire.

 — Qu’est-ce que tu fais ?

 — J’attends que tu m’invite dans ta toile !

 Romulus e Juliette échangèrent un regard surpris tandis que Corelli et Drake les imitait. Lisa, elle restait interdite, incapable d’y croire.

 — Mais… Mais Agatha… Tu peux pas… Je veux dire… Je peux pas… Je peux pas prendre ta place….

 — Tu en rêves, non ? répondit la sorcière en haussant les épaules. Puis, ce sera pas pour toujours, tu me laisseras sortir, après, pas vrai ?

 — Agatha, attends, pourquoi tu veux faire ça ? intervint Romulus. Je veux dire, pourquoi maintenant ?

 — Nous sommes en danger si nous cherchons Alain dans la galerie. Or, même si on le trouvait, il faudrait entrer dans une peinture pour le libérer. Et j’ai toute confiance en Lisa pour ça.

 — C’est gentil, Agatha, mais… Je ne sais pas si moi, j’ai assez confiance en moi…

 Après son discours, cette envie de liberté qu’elle avait criée, elle avait peur de trahir sa meilleure amie et de ne lui rendre sa vie. La sorcière, pourtant, lui adressait un sourire compatissant.

 — Dans ce cas, si tu as peur de ne pouvoir revenir, reste à l’intérieur le temps du sauvetage. Tu peux même nous accompagner.

 — Tu as toujours réponse à tout, c’est fatiguant, tu sais… répondit Lisa avec un petit sourire gêné avant d’attraper le bras d’Agatha pour l’emmener dans le monde de M. Lemona.

 Traverser la toile fit une drôle d’impression à Agatha, qui avait l’impression de passer sous une chute d’eau sans pour autant être mouillée. Elle se retrouva alors dans la pièce que Lisa ne quittait presque jamais, le décor intemporel qui représentait l’intérieur d’une chambre avec un bureau, un lit et une porte, ainsi que quelques jouets peints par M. Lemona au fil du temps. Face à elle, Lisa la regardait de haut en bas et la sorcière s’inspecta de même. À première vue, rien n’avait changé.

 — Monsieur Corelli ? lança alors la sorcière en se tournant vers la barrière invisible qu’elle venait de traverser. Est-ce que vous pouvez essayer de traverser votre propre tableau ?

 Le compositeur prit quelques secondes pour comprendre avant d’accéder à sa requête. Il tenta de sortir plus qu’il ne le faisait déjà, mais rien n’y fit, il était toujours bloqué.

 — Merci, monsieur Corelli ! Ça confirme une hypothèse, la seule personne qui peut sortir, pour le moment, c’est Lisa. Donc, si Juliette et Romulus entrent aussi…

 — Nous capturer ne les aidera pas ! s’exclama Juliette en comprenant le raisonnement de son amie. On pourra donc explorer en toute sécurité !

 Agatha acquiesça et la gorgone courut presque pour se placer devant elles, prête à les accompagner. Lisa attrapa son bras et l’aida à se hisser avec elle, puis Romulus les rejoignit après quelques secondes d’hésitation.

 — Au fait, nous avons mené notre propre enquête avant de vous rejoindre, leur lança Drake. Il se trouve que nous avons de bonnes raisons de penser que le garnement que vous cherchez se trouve coincé dans la maison du lapin blanc.

 — Comme l’Alice du roman, souffla Agatha. Dans ce cas, il faudra peut-être qu’on fasse un détour par le tableau de la Chenille.

 — Pourquoi ? s’étonna la gorgone.

 — Parce que son champignon peut faire grandir ou rapetisser !

 Sur cette déclaration, Lisa écarquilla les yeux et réprima une exclamation.

 — Mais alors, c’est pour ça que le Chat du Cheshire était si grand !

 — Je pense ! Si le chat a visité les tableaux avec Alain, il lui aura montrer l’effet des champignons. Mais le pauvre aura répété l’erreur de l’Alice de Lewis Caroll : le manger dans une pièce qui est vite devenue trop étroite.

 — Et ça expliquerait aussi pourquoi on ne l’a pas vu en parcourant la galerie, conclut Romulus.

 — Qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre ! s’exclama Juliette, débordant d’enthousiasme.

 — Une dernière chose. M. Corelli, vous voulez bien rester ici pour expliquer aux adultes ce qu’il se passe s’ils arrivent ?

 — Mais certainement !

 — Et vous, M. Drake, on peut vous demander de monter la garde du tableau de Lisa ? Juste au cas où.

 — Ce serait un honneur.

 — Bien, alors maintenant qu’on sait quoi faire… Retournons dans la galerie !