La colère de Lemona Lisa

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 — Qu’est-ce qui leur a pris ? soupira Romulus en se relavant.

 Il jeta un regard suspicieux vers la galerie. Plus rien ne sortait des toiles. Seuls des murmures leur en parvenaient encore.

 — Aucune idée, répondit Juliette en se massant le bras. Avant, ils étaient juste rigolos. Là, ils ont pété un plomb.

 — Ils veulent juste sortir.

 Agatha se mordit les lèvres. Cette phrase, c’était Lisa qui l’avait prononcée, d’un ton qui ne lui ressemblait pas : morose et sec. La petite sorcière s’appuya sur ses coudes pour se relever et observer sa copine avec tristesse. La fille-portrait la fixait durement, les yeux humides.

 — C’est ça, hein ? J’me trompe pas…

 Honteuse, Agatha se contenta d’hocher la tête. Lisa avait compris d’elle-même ce que son père avait tant cherché à lui dissimuler. Le Roi de Cœur n’avait pas été très discret. Bien d’autres toiles avaient compris ce qu’il essayait de faire. Ce n’était pas étonnant que Lisa soit parvenue à la même conclusion.

 — C’est pour ça que tu voulais que les adultes reviennent. C’est pour ça que le Chat est dehors. C’est pour ça que tu as demandé si Alain était passé… Quand est-ce que tu as découvert ça ?

 — Je suis désolée Lisa… C’est ton papa… Il me l’a dit juste avant de partir avec Judith… Mais il m’a fait promettre de ne rien dire à personne !

 — Mais pourquoi ? Pourquoi il ne m’a rien dit, à moi ?

 La fille de peinture renifla bruyamment. Cette fois, elle ne parvenait plus à retenir ses larmes. La voir ainsi brisait le cœur de la petite sorcière. Pire, elle se sentait coupable.

 — T-Tu as vu la réaction des autres, bredouilla-t-elle en baissant les yeux. Ton papa avait peur qu’ils essayent de s’en prendre aux gens…

 — Quelqu’un veut bien nous expliquer ? intervint Juliette. J’ai rien compris, moi…

 Agatha soupira. Elle n’avait plus rien à perdre à tout leur dire. C’était déjà trop tard de toute façon. Alors elle expliqua au loup-garou et à la gorgone ce que le peintre lui avait confié. Durant son monologue, les deux autres restèrent sans voix, comprenant mieux la hargne des personnages de peinture. Lisa, elle, s’assit dans un coin de son tableau, la tête dans une main.

 — Alors si je comprends bien, le Chat du Cheshire a pris la place de quelqu’un d’ici ? résuma Romulus.

 — C’est ça.

 — Et tu crois qu’il s’agit d’Alain ?

 — Il a mystérieusement disparu, habite juste à côté… Et je ne vois pas qui d’autre aurait pu prendre la place du chat.

 — Des voleurs qui se seraient introduits dans la galerie ? proposa timidement Juliette.

 — C’est pas impossible… Mais j’y crois pas trop.

 — On l’aurait vu quelque part, non ? souligna le loup-garou.

 — Je suppose qu’il est retenu quelque part. Peut-être entre deux tableaux ou dans une partie du décor de l’un d’eux…

 — Mais si c’était un gros secret, comment le Roi de Cœur a su ?

 — Je crois qu’il sait où est Alain. Ce n’est sûrement pas bien loin du tableau du chat, d’ailleurs, parce qu’il a dû entrer par là. Et c’est en le trouvant que le Roi a compris.

 — Quelle bande de fous furieux…

 — Ce ne sont pas des fous furieux !

 Lisa avait soudain surgi de sa toile à la remarque de Juliette. Sans se préoccuper des crotales qui, d’ordinaire, l’intimidait tant, elle s’était saisie du t-shirt de la gorgone pour la forcer à la regarder dans les yeux. Juliette put y lire toute la colère et la fureur qu’elle avait déclenchée sans le vouloir.

 — Tu sais ce que ça fait d’être coincé dans notre monde ? De voir passer tous les jours des tas de gens libres de tous leurs mouvements sans aucun espoir de se retrouver un jour à leur place ? Tous les jours, dans la cour, je vois passer des enfants de mon âge qui courent, se poursuivent, jouent à chat perché, font des cabrioles. Aux anniversaires, je dois rester coincée là-dedans pendant que vous jouez à la chaise musicale ! Et si je veux me déplacer quelque part, je suis obligée de demander que quelqu’un pousse cette satanée brouette ! Je ne peux rien faire toute seule ! Je suis inutile !

 Elle relâcha Juliette qui retomba en arrière sur ses fesses, comme déconnectée. Romulus et Agatha étaient restés interdits. C’était la première fois qu’ils voyaient Lisa en colère. Jamais auparavant elle n’avait explosé comme ça. Toute sa frustration et sa peine d’être enchainée à sa toile se peignait maintenant devant eux avec les larmes.

 — On est tous condamnés. Condamnés à vivre comme ça, à part d’un monde magnifique qu’on ne peut que frôler. Et de voir ces gens qui s’émerveillent devant nous ! Ils nous trouvent jolis ! Vous entendez ça, jolis ! Ils ne se rendent pas compte comme on voudrait changer de place ! C’est votre monde qui est beau, pas le nôtre ! Nous n’avons qu’une prison comme maison.

 — Lisa…

 — Alors je comprends mes frères et mes sœurs. Je comprends pourquoi ils ont voulu vous attraper. C’est un rêve qu’ils peuvent réaliser, il est à portée de main… On pourrait tous sortir de là…

 Elle renifla encore une fois et se rétracta à l’intérieur de son tableau avant de faire quelques pas en arrière pour mieux les voir. Elle gardait les poings serrés quand elle se servit de son bras pour sécher sa figure mouillée par son trop plein d’émotions.

 — Alors ne dites pas qu’ils sont fous furieux… Ils veulent juste être libres, au moins une fois. Et moi aussi…

 Ses trois camarades avaient les yeux baissés, honteux. Ils ne pouvaient supporter le regard suppliant de leur amie. Sa frustration était immense. Décidément, jamais aucune enquête n’avait laissé un gout si amer à la petite sorcière. Tous les secrets n’étaient pas bons à découvrir…

 — Rentrons, grimaça finalement Lisa après un long silence pesant. Laissons les adultes gérer ça, maintenant… Je veux rentrer chez moi.

 Agatha acquiesça. C’était trop dangereux pour eux, de toute façon. C’était pour ce genre de situation que le Commissaire avait pu se montrer si contraire la dernière fois. La sorcière le comprenait, maintenant. Elle se relava complètement, sécha une larme et attrapa la brouette de Lisa. Devant elles, Romulus et Juliette s’étaient approchés de la porte de la galerie.

 Soudain, le loup-garou se figea. Il avait une main sur la poignée qu’il essayait de descendre. En vain. Il se retourna vers ses copines, livide.

 — On est enfermés…

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