Le Roi de Coeur

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 — Je suis la seule à avoir mille questions qui me trottent en tête, là ? demanda Juliette en brisant le mutisme des enfants.

 — Je pense qu’on en a tous… souffla Romulus. Lisa, je pensais que vous pouviez pas sortir de vos toiles ?

 — C’est ce que je pensais aussi.

 On aurait dit que quelque chose s’était éteint dans la voix de la fille-portrait. Un monde de certitude venait de s’écrouler pour elle. Et ce n’était pas la seule. Les personnages de Drake et Corelli s’étaient laissés tombés, le premier sur un siège de son décor, l’autre à même le sol. De nombreux autres êtres de peinture chuchotaient et théorisaient sur ce qui, à leurs yeux, ne pouvait être qu’un miracle.

 Agatha déglutit. La situation pouvait dégénérer à la moindre fuite. Il fallait espérer que le commissaire et les adultes reviennent au plus vite à la galerie. Mais en attendant, c’était à eux de fournir le plus d’indices possibles.

 — Qu’est-ce qu’on fait, on va voir le roi ? supposa Juliette.

 — Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, répondit la sorcière.

 — Le chat nous l’a conseillé, fit remarquer Romulus.

 — Justement, pour moi, ça ne ressemblait pas trop à un conseil, vous ne trouvez pas ? J’y voyais plus un avertissement.

 — Sûrement parce que le roi voudra nous couper la tête, mais il ne pourra pas nous faire de mal. De toute façon, on n’a pas beaucoup d’autres pistes, si ?

 Agatha se mordit les lèvres, fuyant le loup-garou du regard. Celui-ci ne reconnaissait plus sa copine. Où était passée l’assurance de la détective en herbe ? Et son impertinence, sa curiosité, son entrain ? Il en était de même pour Lisa. Elle semblait troublée au plus haut point. Ces vacances scolaires commençaient bien mal…

 — Tu as raison, soupira finalement la sorcière. Allons-y, mais restons sur nos gardes.

 Sans attendre, elle reprit la tête de leur petit cortège. Le loup-garou prit en main les manches de la brouette de Lisa et Juliette les précéda. Tandis qu’ils avançaient, ils voyaient tout un tas de tableaux réagir à leur passage. Certains leur posaient des questions, mais ils n’avaient pas le temps d’y répondre. La nouvelle de l’apparition du chat avait déjà traversé la galerie comme une trainée de poudre.

 Quand ils arrivèrent dans la pièce du Pays des merveilles, ils s’étonnèrent de tout le remue-ménage en cours. Les cartes-soldats s’agitaient autour d’un roi toujours remonté qui ne fit pas immédiatement attention à eux. Le chapelier, le lièvre et le loir n’étaient plus là. Le lapin blanc, quant à lui, criait ses ordres dans sa propre maison, attendant à l’extérieur en essayant de régler sa montre. Il n’y avait guère que la chenille pour ne pas se mettre dans tous ses états. Enfin, pas loin d’eux, la souris de la mare de larmes gardait prudemment sa tête hors de l’eau. L’animal se rapprocha et alla jusqu’à sortir son petit museau du cadre, les éclaboussant au passage.

 — Est-ce vrai ? demanda-t-elle avec effroi. Il y a un chat en liberté… ?

 Lisa sortit de ses tourments et prit le temps d’acquiescer en réponse. Le petit animal laissa échapper une plainte d’horreur et recula vivement pour s’enfoncer un peu plus dans les eaux de la mare de larmes. En voilà une qui avait d’autres soucis que le reste de ses frères et sœurs.

 — Ah ! Voici les enfants ! s’écria soudain le Roi de Cœur d’une grosse voix, faisant sursauter Lisa. Confirmez !

 — Confirmer quoi ? s’étonna Juliette.

 — Que vous avez parlé avec le Chat, bien sûr ! Il m’a été rapporté qu’il vous causait depuis le monde physique, et non le nôtre !

 — C’est vrai, affirma Romulus.

 — Voilà qui est bien curieux…

 Le Roi baissa la tête et entreprit de se gratter la barbiche, dans un geste d’intense réflexion. Puis il eut un sourire plus encore moins à Agatha que celui du Chat et pointa son sceptre doré dans leur direction.

 — Les enfants, je vous invite ici à participer à une partie de croquet en ma compagnie !

 — Nous n’avons pas le temps pour ça, répondit le loup-garou avec une grimace.

 — D’ailleurs, on ne connait pas les règles, souligna Juliette.

 — Comment ? Mais enfin, voilà qui est criminel ! s’exclama le roi en attrapant sur son trône un livre et une longue plume d’autruche. Regardez, c’est marqué ici, règle mille-cent-trente-deux : « Chacun devra connaitre les règles du croquet sous peine de se voir couper la tête ».

 — Vous pouvez peut-être nous les expl…

 — Est-ce que vous savez comment ce matou a fait pour sortir de sa toile ?les interrompit Lisa, à bout de patience. 

 — Pardon ? feinta le roi en tendant l’oreille avec un faux air innocent.

 — Comment le chat est sorti de sa toile.

 — Hélas, je suis sourd, parlez plus fort, ou changez de sujet !

 — Laisse, Romulus, il ne sait sûrement rien, intervint Agatha en attrapant son ami par les épaules.

 Le loup-garou regarda son amie. Il l’avait rarement vue dans cet état d’angoisse palpable. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle leur cachait ?

 — Si, il sait ! accusa Lisa en pointant le roi de son index sortant de sa toile. Il ne veut pas nous le dire, mais il sait comment sortir ! Et il va nous le dire !

 — Je-hum…, bredouilla le monarque en grattant de sa plume dans son livre. Règle deux-mille-six-cent-douze : Le roi a le droit de ne rien dire s’il n’en a pas envie !

 — Vous êtes en train de l’inventer !

 — Qu-mais non ! C’est une règle très ancienne, voyons !

 — Mais oui, c’est ça…

 — Vous savez quelque chose, et vous allez nous le dire ! s’écria Lisa qui bouillonnait de plus en plus.

 Le cœur d’Agatha battait la chamade. Ça y était. La situation lui échappait complètement. Ils n’auraient jamais dû aller à la rencontre du roi… Dans le cadre de ce dernier, alors qu’il reculait d’un pas sous la menace de Lisa, le lapin blanc fit son apparition. Il entreprit une longue révérence avant de sauter sur le trône pour chuchoter quelque chose à l’oreille de son seigneur. Soudain, celui-ci reprit contenance.

 — Bien, je vais vous dire tout ce que je sais. Mais avant, j’aimerais que ce jeune loup me serre la main.

 — Pardon ?

 — Une poignée de main, simplement, en gage de notre nouvelle amitié.

 Et il sortit son bras du mieux qu’il pouvait pour le tendre à eux. Juliette fit une grimace, toujours plus étonnée des réactions des tableaux. Lisa, elle, jetait un regard suspicieux au roi, sans se douter de ce qu’il projetait. Agatha, par contre, s’était comme pétrifiée. Romulus, cependant, ne l’avait pas remarqué et, si la demande lui paraissait étrange, il n’y voyait aucune malice. Aussi s’approcha-t-il pour répondre à la demande du Roi.

 — ROMULUS, NON ! cria soudain Agatha en se précipitant vers lui.

 Mais c’était déjà trop tard. Dès qu’il avait été assez près, la main de l’être de peinture s’était saisie du poignet de Romulus.

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