Le dilemme d'Agatha Petipois

5 minutes de lecture

 Agatha resta quelques secondes immobiles, tête baissée. Ses petites cellules grises s’activaient dans tous les sens pour la rassurer. D’abord, relativiser. La piste du chat n’était encore qu’une hypothèse qui restait à confirmer. Avec un peu de chance, ses camarades allaient le retrouver. Et puis, ils auraient certainement vu Alain quelque part s’il était piégé dans un tableau. Il se serait manifesté, aurait pleuré pour qu’on le sorte de là. Rien de tout cela n’était encore arrivé !

 À moins bien sûr qu’il soit caché à l’abri du regard des visiteurs de la galerie… Toutes les portes et bâtiments que M. Lemona avait peints en décors donnaient peut-être sur quelque chose qu’elle ignorait. Mais avec toute la cacophonie causée par la détérioration de la Reine de Cœur, on aurait dû le retrouver, non ?

 La petite sorcière ne savait plus quoi penser. Devait-elle s’inquiéter ou prendre cette piste avec des pincettes ? De toute évidence, la piste était trop grosse pour ne pas être creuser. Oui, mais comment suivre les indices sans pour autant que le secret fuite ? Et si cela arrivait, comment réagiraient les portraits ? Comment réagirait Lisa … ?

 — M. Lemona, souffla-t-elle à contrecœur. Je crois que vous devez en parler au Commissaire Scotyard.

 — Vraiment… ?

 — Il recherche Alain. C’est une piste à ne pas écarter. Je vais essayer de prendre les devants pendant que vous allez lui parler.

 Ils quittèrent ensemble la boutique souvenir et retrouvèrent Judith et Juliette dans le hall d’entrée. Juliette pianotait à toute vitesse sur le clavier. L’humaine se hâta de quitter la gorgone pour soutenir son mari.

 — Il faut qu’on y aille, lança ce dernier.

 — Oui, je pense aussi. Je dois téléphoner aux invités de l’inauguration pour leur expliquer ce qui s’est passé. Nous reviendrons après. On peut vous laisser ?

 Agatha acquiesça sans même la regarder tandis qu’elle rejoignait sa copine pour prendre des nouvelles. En entrant dans la pièce, elle avait constaté que Kiri n’était plus là non plus. Sûrement était-il parti avec le commissaire Scotyard pour chercher son fils ailleurs. S’il savait qu’il était peut-être coincé quelque part dans ce monde de peinture… Sans plus attendre, les adultes s’extirpèrent de la galerie, laissant les enfants seuls dans celle-ci.

 — Tu as réussi à le contacter ?

 — On lui a envoyé un e-mail. Il n’a pas encore répondu, bien sûr… j’espère qu’il le verra vite. Mais c’est un fantôme, il ne doit pas être très souvent connecté à la toile.

 — Et les autres onglets ?

 — J’ai pris la liberté de chercher des informations sur les différents tableaux. Il n’y a pas grand-chose sur la Reine de Cœur, pour ainsi dire rien du tout, et je n’ai rien vu de très intéressant sur les autres.

 — Tu as quelque chose sur le Chat du Cheshire ?

 — Oui, mais si ce n’est une analyse à laquelle j’ai rien compris et la date des expos où il a été vu, c’est vide.

 Juliette allait lui montrer la page en question, mais c’est à ce moment-là que Romulus arriva depuis le début de l’exposition, poussant Lisa dans sa brouette.

 — Agatha, on a du nouveau !

 — Vraiment ? Vous avez trouvé le Chat ?

 — Non, mais on a deux tableaux qui disent qu’ils étaient réveillés pendant la nuit.

 La petite sorcière ouvrit grand ses yeux. Après le secret de M. Lemona, elle en avait presque oublié le reste de ce qu’il lui avait appris juste avant.

 — Drake ?

 Cette fois, c’est Romulus qui parut surpris

 — Comment tu fais pour déjà le savoir ? s’exclama-t-il. On vient juste de lui parler !

 — M. Lemona m’en a parlé. Allons voir ça !

 La gorgone hésita quelques secondes, lança un appel vocal, puis rejoignit ses amis. Elle espérait ainsi que, lorsqu’il verrait leur demande, le fantôme qu’ils essayaient de joindre y répondrait et ferait assez de bruit pour les prévenir. C’était peut-être un peu impoli, mais elle ne voulait pas rater la suite de l’enquête.

 — Où sont papa et Judith ? s’étonna Lisa. Ils sont rentrés ?

 — Ta belle-maman voulait prévenir les invités de l’expo et j’ai demandé à ton père de parler à celui de Romulus pour qu’il revienne.

 — Quoi ?

 Rendre l’affaire au commissaire alors qu’il venait tout juste de la lui laisser, voilà qui ne ressemblait pas à la sorcière. Romulus la dévisagea avant de lui attraper son chapeau pointu en tirant sur le pompon. Sans lui laisser le temps de protester, il plaqua sa main contre son front, l’air soucieux.

 — Pas de température… Dans ce cas, qui êtes-vous et qu’avez-vous fait à Agatha Petipois ?

 — Qu’est-ce que tu me chantes ?

 — Pourquoi tu as besoin de mon père ici ? Je pensais que tu serais plutôt contente d’enquêter seule ?

 L’apprentie détective devint rouge écarlate. Ses camarades la connaissaient trop bien pour que son attitude n’éveille pas la suspicion. Mais elle ne pouvait rien leur dire. Pas maintenant. Elle devait changer de sujet.

 — Vous avez dit qu’il y avait deux tableaux ? M. Lemona m’a juste parler de Drake.

 — L’autre, c’est Corelli, répondit Lisa. Un compositeur je crois. Regarde, les voilà !

 Réunis dans un même tableau, le corsaire anglais et le musicien italien les attendaient. Juliette jeta un rapide coup d’œil aux titres des toiles. Manifestement, les deux modèles ne s’étaient jamais rencontrés, ils avaient vécu à des époques et des pays différents.

 — C’est vous, la fameuse détective ? s’étonna Sir Francis Drake.

 — Moi-même.

 — La police engage des enfants, à votre époque ?

 — C’est mieux que de travailler dans les mines, confirma Agatha, en référence à une toile qui se trouvait plus loin. On me disait que vous étiez restés éveillés pendant la nuit ? Comment ça se fait ?

 — Quand M. Lemona a commencé à endormir tout le monde, nous sommes restés immobiles, expliqua Corelli. Par chance, il s’est absenté un instant, suite aux cris de sa femme. Quand il est revenu, il ne savait plus où il en était, nous avons saisi notre chance.

 — Et pourquoi ce caprice ?

 — Parce que nous ne voulions pas aller nous coucher.

 Juliette laissa échapper un petit rire. Sous leurs airs d’adulte et les malgré leur âge qui dépassait sûrement les quelques siècles, ils agissaient exactement comme des gamins.

 — Est-ce que vous avez assisté à quelque chose, du coup ? Quelqu’un qui serait passé ici ? Un enfant, par exemple ?

 La question d’Agatha intrigua Romulus et Lisa qui dévisagèrent leur copine.

 — Non, nous n’avons vu personne.

 — Par contre, nous avons entendu du bruit, reprit Corelli.

 — Oui, nous nous étions réunis tous les deux dans son tableau pour jouer aux cartes. Il m’expliquait les règles de la Biscita quand …

 — La Briscola, Drake !

 — Peu importe. Je n’ai toujours pas compris à quoi rimait vos cartes avec vos sous et vos cannes.

 — Ce sont des deniers et des bâtons !

 — Messieurs ? les interrompit Agatha. Ce bruit ?

 — Oui, désolé… Or donc, nous jouions quand nous avons entendu des voix. Cela venait d’une autre salle, plus loin d’ici. C’était comme si on… guidait quelqu’un dans le noir.

 — Vous n’êtes pas allés voir ?

 — Nous avons d’abord cru à des voleurs. Nous leur avons préparé une embuscade au cas où ils tenteraient de nous voler nous, mais… finalement, il ne s’est rien passé de plus.

 — Si, quelques éclats de rire, souligna le compositeur.

 — Je vous remercie, messieurs…

 La sorcière se détourna des tableaux et déglutit. Voilà qui tendait à confirmer l’hypothèse de M. Lemona…

 — Agatha, tu nous caches quelque chose, non ? souligna Romulus. On peut savoir quoi ?

 La sorcière soupira. Comment faire pour leur présenter les faits sans brusquer Lisa ? Elle les regarda tour à tour. Mais du mouvement derrière eux lui fit écarquiller les yeux. Un sourire de dents pointues venait d’apparaitre, flottant dans les airs. Puis deux iris jaunes comme le soleil s’ajoutèrent à ce tableau. Il était là.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0