Le secret des tableaux

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 Agatha grimaça. La folie… Ça expliquait à la fois tout et rien du tout. Comment enquêter si les faits avaient été perpétrés sans aucune once de logique ou de réflexion. Non, cette solution ne la satisfaisait pas. Elle se détourna de la chenille pour interroger le couple du regard.

 — Le souci, c’est que ce chat est comme celui qui l’a inspiré, grommela Mme Lemona. Il peut disparaitre à volonté. Il a toujours été un tableau particulièrement enquiquinant pour les expositions. Il prend un malin plaisir à apparaitre juste pour effrayer les visiteurs, et rarement là où il devrait être. J’ai souvent dû demander à Vincent de le faire taire.

 — Mais est-ce qu’il aurait vraiment pu arracher la tête ? demanda Juliette. Je veux dire, il a sûrement des griffes, mais il aurait dû se trouver avec la Reine pour l’atteindre.

 — Non, dans ce cas, il n’aurait pas pu déchirer le tableau dans lequel il se trouvait, affirma Lisa. C’est impossible, c’est une fausse piste. Il doit juste n’en faire qu’à sa tête en ce moment, c’est tout.

 C’était bien là ce que s’imaginait la petite sorcière. Pour avoir côtoyé Lisa si longtemps, elle connaissait les limites de ses capacités. Elle remarqua cependant que le peintre avait soudain attrapé la main de son épouse qu’il serrait très fort. Les conjoints échangèrent un regard discret, mais pas assez pour échapper à la vigilance d’Agatha. Ces deux-là leur cachaient quelque chose…

 — J’aimerais quand même lui parler. S’il a été éveillé hier soir, alors il aura peut-être vu quelque chose. Lisa, Romulus, vous voulez bien essayer de le retrouver ?

 — Pas moi ? s’étonna Juliette tandis que ses camarades acquiesçaient.

 — J’ai un autre travail pour toi, Ju’. Madame Lemona, j’ai repéré un ordinateur au comptoir de l’entrée, est-ce qu’il est connecté à la Toile ?

 — Hum, oui ?

 — Est-ce que vous voulez bien nous donner l’adresse email du Comte du Cheshire ? Il faudrait qu’on rentre en contact avec lui, pour lui annoncer ce qui s’est passé. Vous nous avez dit hier que c’était lui le propriétaire, je crois ? Il aura peut-être souvenir de quelque chose en rapport avec les autres toiles.

 — Oh seigneur, il va nous détester…

 — Ce ne serait pas la première fois, souffla M.Lemona. Vas-y…

 Judith regarda son mari, pleine d’hésitation. Elle ne voulait pas le laisser seul. Juliette, elle, attendait déjà dans l’encadrure de la boutique souvenir. De la bande, c’était elle qui se débrouillait le mieux en informatique et elle était contente de pouvoir mettre ses compétences au service de l’enquête de son amie.

 — À tout à l’heure, soupira Mme Lemona avant de rejoindre la gorgone.

 — Si vous voulez bien, monsieur, j’ai encore quelques questions sur le déroulement de la veille.

 — Je vous écoute…

 Au rythme des demandes d’Agatha, le peintre raconta tout ce qu’il savait. Il confirma à Agatha que son épouse avait bien mis l’alarme en sortant et qu’il avait lui-même fermé les portes de la galerie à clé. Creusant toujours plus profondément, la petite sorcière obtint ainsi quelques détails croustillants à se mettre sous la dent et que le pauvre homme avait oublié de mentionnés de prime abord.

 Par exemple, madame Lemona avait perdu ses clés la veille. D’après le peintre, elle ne les avait pas encore retrouvées. C’était normal, après tout, elle n’avait pas eu le temps de se consacrer à leur recherche avec la découverte de la scène de crime. Ensuite, M. Lemona avait hésité face au tableau de Sir Francis Drake. L’avait-il vraiment endormi ou bien celui-ci était-il resté immobile pour simuler son éveil ? Si c’était le cas, Agatha avait un second témoin potentiel à aller interroger. Ses petites cellules grises étaient en ébullition. Mais il n’y avait là rien de très indiscret. Il lui cachait encore quelque chose et la sorcière ne le laisserait pas filer sans savoir quoi.

 — Je vous remercie pour toutes vos réponses. Une dernière chose, cependant. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous sembliez un peu… perturbé ? Quand nous parlions du chat.

 — C’est… c’est possible.

 Sa voix était redevenue hésitante, en proie aux doutes. La sorcière l’encouragea du regard, avec un sourire compatissant. Il leva les yeux vers ses œuvres, ses innombrables créations, et soupira.

 — Pas ici. Venez avez moi.

 Il se leva péniblement et Agatha l’aida à se déplacer, à la manière d’une canne de fortune. Une fois dans la boutique souvenir, il pointa un coin de la pièce, le plus loin possible de la salle du Pays des merveilles. Arrivés là, il tourna la tête plusieurs fois afin de s’assurer que personne ne pourrait les entendre. Enfin, il soupira.

 — Ce que je vais te dire est un secret. Je sais que tu es très proche de ma petite Lisa. Mais elle ne doit jamais être mise au courant. C’est d’accord ?

 — Pourquoi ça ? s’étonna Agatha, qui perdit soudain toute excitation.

 — J’ai ta parole ?

 — J-je… Oui. Motus et bouche cousue…

 L’idée de ne pouvoir partager un secret avec Lisa lui fendait le cœur. Qu’est-ce qui était si grave aux yeux du peintre pour qu’il désire laisser sa propre fille à l’écart ? Malgré la promesse de la sorcière, celui-ci gardait encore le silence, comme s’il se dégonflait. Il se mordit les lèvres, jeta encore un dernier coup d’œil par-dessus son épaule, puis souffla un grand coup.

 — Il existe un moyen pour les personnages de sortir de leur toile. Je veux dire, entièrement en sortir. Et de se mouvoir parmi nous comme si de rien n’était.

 — Comment ? s’exclama Agatha avec des yeux grands comme des crêpes. Mais… Pourquoi ne pas le leur dire !? Pourquoi ne pas le lui dire !

 Depuis qu’elle connaissait Lisa, Agatha l’avait toujours vue peinée de ne pouvoir se déplacer à sa guise. Et son propre père lui cachait une solution à son tourment ? La sorcière était offusquée ! Comment pouvait-il être aussi méchant !

 — Parce que ce miracle a un prix, chuchota le peintre en lui faisant signe des mains de baisser d’un ton. Un prix terrible !

 — Lequel ?

 — Il faut que quelqu’un prenne sa place dans le cadre. Si quelqu’un de l’extérieur se trouve avec un personnage dans sa toile, alors le personnage peut en sortir. Mais alors, l’autre restera bloqué à sa place. Tu comprends ?

 La détective en herbe cligne trois fois des yeux, le temps d’assimiler tout ça. C’était beaucoup d’informations à digérer d’un coup. Soudain, elle comprenait mieux le pourquoi du secret. Si Lisa rêvait de sortir de là, c’était sûrement aussi le cas de ses grands frères et grandes sœurs. Et s’ils avaient vent de cela, ne risqueraient-ils pas d’essayer de s’en prendre aux visiteurs des expositions ? Peut-être pas tous, bien sûr, mais certains y penseraient. Certains passeraient à l’acte. Ce serait le chaos. Mais si c’était un secret si dangereux, pourquoi lui en parlait-il ? Soudain, elle comprit.

 — Monsieur Lemona… est-ce que vous pensez que le Chat du Cheshire aurait pu sortir de sa toile… ?

 Pour toute réponse, le peintre déglutit et lui lança un regard empli de tristesse. Si l’hypothèse du peintre était la bonne alors…

 — Alain…, souffla la sorcière.

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