Le soir du drame

4 minutes de lecture

 — Kiri, vous pouvez rentrer chez vous , vous savez.

 — Vous êtes sûre, madame ?

 — Mais oui, ne discutez pas ! Vous serez avertis si l’alarme sonne, non ?

 Le minotaure approuva. C’était vrai, difficile d’être plus rapidement sur place que lui qui habitait le bâtiment d’à côté. Il préférait largement passer sa soirée en compagnie de sa famille, quand bien même sa femme pouvait parfois être un peu vache. Il rassembla ses affaires et appela son fils. Alain ramassa son livre de coloriage et ses crayons et ils quittèrent ensemble la galerie, laissant aux organisateurs le soin de fermer derrière eux.

 Pour autant, M. Lemona n’avait pas encore terminé son travail. Ils avaient décidé d’endormir les peintures de nuit, afin qu’elles ne se chamaillent pas à l’abri des regards. Pour cela, rien de bien compliqué. Comme un simple toucher pouvait les éveiller, un second pouvait aussi les plonger dans l’immobilité.

 En le voyant arriver, la plupart des portraits ronchonnaient. C’était une occasion ratée de s'amuser maintenant qu’ils étaient autant de semblables rassemblés là. Pour certains, restés inconscients pendant des siècles, la perspective de se rendormir, même le temps d’une nuit, ne plaisait pas.

 C’est sans doute pourquoi le portrait de Sir Francis Drake, un capitaine corsaire anglais, resta parfaitement immobile quand celui-ci entra dans sa salle. Tant et si bien qu’une fois devant lui, le peintre hésita. L’avait-il déjà endormi ? Il n’en avait pourtant pas le souvenir. Mais un cri de sa femme le sortit de ses pensées.

 — Qu’est-ce qui se passe ? s’écria-t-il après avoir parcouru quatre pièces en courant pour la rejoindre.

 Pour toute réponse, Judith pointait du doigt le tableau du Chat du Cheshire. Intrigué, le barbu se rapprocha en plissant les yeux. Il éclata de rire quand il comprit ce qui avait suscité cette réaction.

 — Ce n’est même pas une vraie ! dit-il en retirant l’araignée postiche qui y était collée. Puis les petites bêtes ne mangent pas les grosses, tu le sais bien.

 — C’est bon, c’est bon, grogna Judith en le frappant sur l’épaule avec mauvaise foi. Sûrement ce gamin. Si je l’attrape…

 — Il ne ferait pas de mal à une mouche ! Bon, j’y retourne et on rentre, ça te va ?

 — Vas-y, prends ton temps.

 Lorsqu’il revint dans la pièce du corsaire anglais, comme celui-ci restait immobile, Vincent Lemona repartit dans la pièce suivante. Il ignorait que, derrière lui, Sir Francis Drake et Arcangelo Corelli venaient d’échanger de grands clins d’œil. Le compositeur avait imité l’exemple de son camarade après avoir été oublié par leur créateur à son premier passage. Au moins pourraient-ils discuter ensemble et même jouer une partie de carte pendant la nuit.

 Dans les autres pièces, le reste des portraits eut moins de chance. Chacun fut endormi d’une simple pression de l’index sur leur toile enchantée. Ayant enfin terminé, M. Lemona retrouva son épouse là où il l’avait laissée. Celle-ci l’attendait en inspectant le tableau du Chat.

 — Tu n’as pas trouvé d’autres vilaines bêtes ?

 — Gnagnagna ! Allez, rentrons ! On a une grosse journée demain.

 Judith approcha d'abord du dispositif de sécurité pour actionner l'alarme. Ensuite, sur le seuil d’entrée, l'humaine se retourna pour verrouiller les portes. Elle se figea pourtant et commença à tâter ses poches.

 — J’ai dû laisser mes clés à l’intérieur…

 — Ne t’inquiète pas, j’ai les miennes.

 Monsieur Lemona sortit son trousseau et le tendit à sa femme. L’alarme était mise, les peintures endormies et les portes fermées à double tour. Qu’aurait-il pu mal se passer ?

*

* *

 Chez Agatha, c’était presque jour de fête. Clarisa Petipois avait préparé des crêpes par dizaines pour le souper. La pharmasorcière avait pris la liberté de contacter la maman de Juliette et celle de Romulus pour qu’ils puissent rester au moins le temps de les aider à finir tout ça. C’est le ventre bien rempli que les quatre enfants s’isolèrent dans la chambre d’Agatha pour profiter du temps qu’il leur restait avant que les parents du loup-garou et de la gorgone ne viennent les rechercher.

 Après quelques parties de jeu de société, Juliette fut la première à les quitter. Il était déjà 21h quand le commissaire Scotyard vint rechercher son fils. Cependant, quand ils lui ouvrirent, Agatha s’étonna de le voir toujours en uniforme et avec l’air si grave.

 — Bonsoir commissaire. Vous faites une bien drôle de tête…

 — Bonsoir. Rien d’amusant, j’en ai peur. Je n’ai pas pu passer avant parce qu’on m’a signalé la disparition d’un enfant.

 Machinalement, Romulus et Lisa se tournèrent vers Agatha pour guetter sa réaction. La petite sorcière, en bonne détective, se réjouissait souvent très vite et avec un rien trop de fougue des mystères et des drames qui avaient lieu à Halloween. Cette fois-ci ne faisait pas exception, cependant Agatha se forçait à ne rien laissé paraitre. Elle ne voulait pas donner une mauvaise image d’elle au commissaire qui commençait à apprécier ses qualités d’enquêtrice. Romulus se demandait à quel moment elle allait craquer.

 — J’ai cru comprendre que vous l’aviez vu cette après-midi, d’ailleurs, les enfants. Le petit Alain, un minotaure. Il a fait la visite avec vous disait son père. Il ne vous a rien dit de spécial ?

 « Ça y est, elle va exploser »

 Mais il n’en fut rien. Au contraire, la petite sorcière poussa une exclamation de surprise. Ainsi l’enfant qu’ils avaient côtoyé avait disparu ?

 — Rien de spécial. Quand nous l’avons quitté, il était encore avec son père.

 — Oui, la disparition a eu lieu chez eux, manifestement. Il serait sorti de lui-même de sa chambre, parce que sa fenêtre ne s’ouvre que de l’intérieur. On a des traces de sabots qui indiquent qu’il a quitté le jardin seul, puis une fois dans la rue, on ignore où il est allé.

 — Ce n’est pas un enlèvement, alors ? supposa Clarisa en portant une main sur sa poitrine.

 — Ça ressemblerait à une fugue, mais ses parents ne l’expliquent pas. Il ne vous a rien dit ?

 — Rien, non, confirma Lisa.

 — Il était plutôt timide, mais il n’avait pas l’air malheureux.

 — Bien… Romulus attrape ton cartable, je te ramène à la maison puis je poursuivrai mes recherches. Il ne peut pas être parti bien loin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0