La Reine de coeur

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 M. Lemona les guida à travers les différentes salles de l’exposition. Chacune était dédiée à une période différente. Le peintre ayant beaucoup voyagé, ses œuvres retraçaient de nombreuses cultures. Il avait peint la révolution française, ou le couronnement de roi espagnols, ainsi que les fêtes somptueuses des palais d’Autriche. Il avait aussi représenté la misère des paysans ou des mineurs. Et puis, il y avait tous ces portraits. Soldats revenus de la guerre, lavandières au travail, et même quelques figures historiques que les enfants ne connaissaient pas encore. Il y avait aussi quelques animaux, comme une meute de chiens dans une ferme, ou cette oie qui couvait un œuf d’or.

 La plupart des personnages attendaient patiemment dans leur cadre. Ils faisaient des révérences ou de simples signes de main aux visiteurs. Parfois, l’un ou l’autre quittait rapidement une toile qui n’était pas la sienne pour revenir à sa place en les voyant approcher.

 L’enfant de peinture s’y connaissait tout aussi bien que son père. Elle racontait moult anecdotes qu’elle avait apprises par cœur. Elle en était très fière, car elle aurait le rôle de guide dès le lendemain pour les visiteurs qui prenaient rendez-vous. Elle devrait, pour cela, passer dans les toiles de ses grands frères et grandes sœurs.

 Ses amis étaient donc un premier test pour elle. Ceux-ci lui posèrent quelques questions à l’occasion, et le petit Alain se risqua même à demander des information sur des scène qu’il ne comprenait pas. Elle s’y prenait si bien que M. Lemona les abandonna après quelques salles, affirmant que sa fille était bien assez compétente. S’il n’y avait pas eu le gardien minotaure, peut-être les enfants se seraient-ils risqués à soulever quelques détails moins sérieux.

 Au bout d’une petite heure de visite, ils arrivèrent enfin au clou du spectacle : la salle dédiée au Pays des Merveilles.

 — Papa a rencontré Lewis Caroll à l’époque, leur apprit Lisa. Ils étaient devenus bons amis, c’est pourquoi il a commencé à peindre différents personnages de l’histoire d’Alice.

 Ils entrèrent dans l’espace dédié. Le papier peint y était coloré et couverts d’objets ou de figures assez aléatoires. La même musique qu’à l’entrée de l’exposition tournait en boucle. Enfin, surtout, neuf grands tableaux trônaient sur les murs.

 Le premier était celui d’une souris blanche qui nageait dans la mare de larme. Le lapin blanc en costume fixait sa montre à gousset avec angoisse dans la toile voisine. Le lièvre de mars et le chapelier fou prenaient le thé en compagnie du loir de l’autre côté du mur, alors que le chat du Cheshire exposait son large sourire caractéristique depuis la branche d’un arbre. La chenille bleue fumait une pipe turque d’un air désabusé du haut de son champignon. Des cartes de jeu se tenaient au garde à vous, tels des soldats. Enfin, dans le fond, deux portraits, les plus grands de tous. Celui de droite représentait le Roi de cœur. Le second, par contre, était caché par un rideau. Il n’était pas bien compliqué, cependant, de deviner qui était représenté derrière le tissu.

 — Ils ne bougent pas ? s’étonna Romulus. Ou ils sont doués pour jouer aux statues ?

 — Non, papa ne les as pas encore réveillés. Lorsqu’une de ses peintures s’éloigne trop de lui, elle se désactive automatiquement et plus personne n’y bouge. Papa peut leur rendre vie, simplement en les touchant.

 — Et pourquoi est-ce qu’il ne les pas encore touchés ? questionna Agatha, les sourcils froncés.

 — Parce qu’ils sont trop extravagants.

 Le gardien, qui pianotait discrètement sur son portable, sursauta. Madame Lemona venait de surgir depuis l’opposé de la pièce, qui donnait sur la boutique souvenir. Elle s’approcha d’eux avec un grand sourire.

 — Ces toiles ont toujours été un peu plus instables que les autres. La souris est très craintive, le lapin toujours obsédé par l’heure, les trois fous racontent n’importe quoi aux passants, et ce fichu chat ne cesse de disparaitre en riant. Le roi n’est pas mieux. Il se croit tout permis et va embêter sans cesse les autres tableaux en exigeant aux cartes de l’accompagner. Bref, pour ne pas rendre zinzins les autres, on les garde en sommeil encore un moment.

 — Et pourquoi est-ce que la Reine de cœur est cachée ? demanda Agatha.

 — Parce que personne ou presque ne l’a jamais vue ! déclara Lisa avec enthousiasme. Elle fera son inauguration demain avec l’ouverture de l’exposition.

 — Oh, tu veux dire que c’est une nouvelle création de ton papa ?

 — Non, pas du tout, rit madame Lemona. En fait, Vincent l’a peinte en 1895. Mais il y a eu des tensions avec le mari de la Comtesse du Cheshire, qui était le modèle. Le Comte a gardé la toile et Vincent a dû partir un peu précipitamment. On n’a jamais réussi à remettre la main dessus, parce que le Comte est devenu un fantôme et qu’il est resté très rancunier… J’ai dû énormément négocier avec lui pour qu’il nous la prête.

 — Moi, je l’ai déjà vue ! s’exclama alors avec fierté le petit Alain.

 — Ah bon ?

 — Oui, la toile trainait ce matin, j’étais curieux, alors j’ai regardé quand vous déplaciez le roi.

 — Alain ! le gronda son père.

 Madame Lemona éclata de rire avant de donner une tape amicale sur la tête du jeune minotaure.

 — Eh bien, tu es un petit chanceux, mon garçon ! Il parait qu’elle est très jolie.

 — Oh, oui, madame !

 — Même moi, j’ai voulu garder la surprise. Tu es le seul ici à savoir à quoi elle ressemble, avec mon mari, bien sûr.

 Puis elle se détourna du plus jeune pour se préoccuper des autres garnements.

 — Je compte sur vous trois pour parler de l’exposition à vos parents et revenir avec eux ! Je suis sûre que ça ferait très plaisir à Lisa ! D’ailleurs, venez, je vais vous montrer où nous installerons sa toile, le temps de l’exposition.

 — Tu vas rester ici tout un mois ? s’étonna Agatha, horrifiée par l’idée.

 — Oui. Enfin, après les vacances, je retournerai à l’école, bien sûr. Mais je reviendrai ici le week-end et en fin de journée. Après la fermeture, Papa et Judith me ramèneront à la maison.

 — Et je compte sur vous pour nous la ramener très vite une fois les cours finis.

 Cette fois-ci, Agatha était partagée. Elle avait l’habitude de faire ses devoirs en compagnie de Romulus et Lisa. Juliette se joignait à eux de plus en plus souvent. L’absence prolongée de sa meilleure copine avait de quoi lui mettre un peu de peine au cœur. Cependant, avec tout l’enthousiasme que cette dernière avait montré en les guidant aujourd’hui, la sorcière n’avait pas envie de venir gâcher la fête. Alors elle se contenta d’hocher la tête, feintant de comprendre.

 Ils passèrent rapidement la boutique souvenirs, garnie d’objets en tous genre aux effigies des œuvres qu’ils avaient pu admirer. De retour à l’entrée de la galerie, Judith désigna une place au mur, juste derrière le comptoir. C’est là qu’on accrocherait le tableau de Lisa. Elle quitterait de toute façon puisqu’elle passerait dans tous les autres pour les visites.

 — On a encore un peu de travail à faire ici, expliqua Judith. Lisa, j’ai demandé à la maman d’Agatha si tu pouvais passer la nuit chez elle.

 — C’est vrai ? Et elle a dit oui ?

 — Bien sûr !

 Une soirée pyjama surprise ! Voilà qui avait de quoi rendre son enthousiasme à la petite sorcière. Les deux copines se frappèrent dans les mains. Elles gloussaient comme des cocatrix quand elles sortirent de là en compagnie de Romulus et Juliette. Leur première visite s’étant bien déroulée, la journée de demain promettait d’être grandiose !

 Si un drame ne se déroulait pas d’ici-là, bien sûr.

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