La rencontre

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 Derrière les portes en verre, la petite bande pouvait voir plusieurs monstres s’activer pour déplacer des toiles et ajuster les derniers préparatifs. Bien sûr, ils ne faisaient pas attention à eux. Lisa prit donc l’initiative de frapper trois coups. Quelques personnes se retournèrent, dont une femme en robe pourpre à qui le portrait vivant adressa un signe de main. Sa belle-mère lui rendit un grand sourire puis s’adressa avec autorité à un minotaure. Ce dernier acquiesça et leur ouvrit.

 Après l’avoir remercié, les quatre camarades pénétrèrent dans la galerie d’art. Le hall d’entrée était rempli d’affiches vantant les expositions à venir, dont celle qui ouvrirait le lendemain. Le nom de monsieur Lemona se trouvait partout autour d’eux. En fond sonore, une musique classique mêlait piano, violon et violoncelle. Le gardien referma derrière lui et la dame s’avança vers eux.

 — Lisa, tu as amené tes petits camarades ?

 — Oui, Judith ! Je voulais leur montrer la galerie avant qu’elle soit remplie de monde !

 La dame pouffa de rire et ébouriffa les cheveux de sa belle-fille. Romulus et Agatha avaient déjà eu l’occasion de croiser l’épouse du peintre quelques fois, mais pour Juliette, c’était une première. Elle resta silencieuse, pour en pas paraitre impolie, mais elle n’en restait pas moins choquée. Cette femme n’avait rien de spécial. Pas de plumes ou d’écailles, ni même quelques poils dans les oreilles. Se pouvait-il qu’elle soit juste humaine ? À Halloween, c’était bien l’absence de fantaisie qui rendait les gens anormaux.

 Outre cela, elle paraissait jeune. Elle devait avoir une trentaine d’années, peut-être quarante. Comment une femme de cet âge pouvait-elle s’être mariée avec un homme qui semblait si vieux ? Et encore, Juliette ne prenait pas en compte les six-cents ans du peintre ! Mais il aurait été bien maladroit d’en faire la remarque, aussi la gorgone garda-t-elle toutes ses pensées pour elle.

 — Je n’ai pas le temps tout de suite de te montrer où tu vas, j’ai encore une ou deux pièces à aménager. Mais tu peux faire la visite du reste avec tes amis en attendant, d’accord ?

 — Ça marche ! Papa est là ?

 — Oui, Vincent est dans la pièce à côté. Kiri ? Vous voulez bien garder un œil sur ces garnements ?

 — Oui madame.

 Le minotaure s’approcha d’eux, suivi de près par une version miniature de sa personne : un jeune garçon à tête de veau, un livre de coloriage dans ses mains.

 — Salut toi, comment tu t’appelles ? demanda Agatha en se penchant pour se mettre à sa hauteur.

 — Il s’appelle Alain, répondit son père. Il connait la galerie comme sa poche, il m’accompagne souvent pour travailler ici. Vous vouliez visiter en avant-première, je crois ?

 Les quatre amis approuvèrent et, sans plus attendre, la petite sorcière reprit les manches de la brouette pour pousser son amie jusqu’à la première salle. Rebaptisée « Genèse », les tableaux qui s’y trouvaient mettaient en scène l’Orient et des paysages désertiques. Dans une première toile, une caravane de chameaux arpentait sans cesse le désert, les dos couverts de marchandises. Dans un cadre plus modeste, deux hommes au gros turban blanc sur la caboche buvaient le thé, assis à genoux. Ceux-ci leur adressèrent même un salut de leur tasse encore fumante.

 Un autre tableau représentait un homme, de dos, couvert de haillons, face à un imposant djinn qui sortait d’une lampe à huile. La scène rappela tout de suite l’histoire d’Aladin à Juliette, qui était une grande amatrice de dessin animé. Mais le génie semblait à la fois plus réaliste et moins sympathique. Surtout, ils n’étaient pas les seuls présents dans la pièce. Quelqu’un fixait la toile, exactement dans la même position de recul que l’individu peint.

 — Papa !

 Il se retourna et, en même temps, celui de la toile l’imita. La coïncidence était peut-être un peu grande, car ils se ressemblaient comme deux goutes d’eau. M. Lemona, sous sa barbe hirsute, cligna trois fois des yeux avant de répondre à Lisa.

 — Ah, les enfants, vous êtes venus voir mes peintures. Venez, venez, j’étais justement en train de regarder celle avec laquelle tout a commencé.

 Agatha se rapprocha avec Lisa tandis que Romulus et Juliette, un peu intimidés, restèrent derrière elles. Le Minotaure croisa les bras à l’entrée de la salle alors que son fils, plus curieux, suivait la petite sorcière. Le vieux peintre se perdit à nouveau quelques secondes à sa contemplation puis se tourna vers eux.

 — Ceci est le tout premier tableau que j’ai peint. « La rencontre ».

 — C’est bien vous dessus, monsieur ?

 — C’est exact. J’étais un esclave à l’époque, au service du sultan Mehmed II. Ce n’était pas une partie de plaisir… Mais un jour, pour mes bons services, il m’a proposé de choisir une récompense parmi ses trésors. J’ai pris cette lampe pour m’éclairer la nuit et, stupeur, elle abritait un djinn endormi !

 — Vous avez pu faire des vœux alors ! s’exclama Juliette, ses couleuvres dressées d’excitation.

 — Tu as deviné, Marguerite, confirma le peintre sans savoir que son erreur de prénom avait éteint tout enthousiasme chez la gorgone. J’ai eu ce que je voulais : de la magie, la liberté et l’incapacité de vieillir. J'ai appris l'art de la peinture des années plus tard et, en souvenir de ce jour, j'ai peint ce tableau vers 1491. Ou 92 ? Je ne sais plus. C’est grâce à cette rencontre que je suis encore là aujourd’hui.  

 Il poussa un gros soupir. Son alter ego était tombé à genoux face au djinn qui, pourtant, ne lui prêtait pas vraiment attention. Il regardait plutôt son créateur et les enfants derrière lui avec un air de malice qui ne disait rien qui vaille. Romulus en eut même un frisson.

 — Je suis resté quelques années dans le coin avant de retourner en Europe, reprit M. Lemona. Venez, je vais vous montrer tout ça ! J’ai plein d’histoires à raconter.

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