La cité d’Halloween. Cachée des hommes, elle abrite zombies, vampires, momies et autres gargouilles. On y retrouve tout un florilège de créatures magiques et d’autres qui le sont un peu moins, juste différentes selon nos critères d’êtres humains. Là-bas, personne ne crie d’effroi sous le simple prétexte d’avoir croisé un ogre. Personne n’allume de bûcher parce que sa voisine réussit à avoir un linge d’un blanc immaculé. Personne non plus ne propose d’exorciser un spectre qui résidait là depuis bien plus longtemps que les prétendus propriétaires. Non, là-bas, les monstres en tout genre se côtoient, se font des amis, se supportent parfois. Ils vivent leur vie comme si de rien n’était, ou presque.

 Vivre à Halloween, ce n’est pas vivre au moyen-âge. Que de contraire ! Libre à vous de visiter de nombreuses boutiques pour faire vos courses, comme au « Grand Crique qui croque », l’épicerie de la rue Stevenson. Lorsque les remèdes des pharmasorcières ne sont pas assez efficaces, vous pouvez vous rendre à la Clinique du Sacré-sortilège. Si les véhicules à moteurs sont rares, vous trouverez un large service de calèches tirées par des centaures. Et pour occuper les enfants ? Il y a des écoles, évidemment, ainsi que le « Broc à jouet » où les chauves-souris volent la vedette des mascottes traditionnelles.

 Des policiers, des chercheurs, des jardiniers, des banquiers, des avocats… Il y a de tout à Halloween ! Alors soyez rassurés si le destin venait à vous changer en créature surnaturelle, vous y trouveriez tout le nécessaire pour continuer une existence paisible. Même la technologie s’y fait une place de plus en plus croissante. C’est par exemple le cas de la Toile, cette version d’internet dédiée aux monstres et qui prend une part de plus en plus grande dans leur vie.

 Au cours de l’année, les autorités d’Halloween proposent de nombreuses animations afin d’égayer le quotidien de leurs étranges citoyens. La plus fameuse d’entre-elle étant, bien sûr, la veille de la Toussaint que les enfants ne rateraient pour rien au monde. Mais cette semaine, c’est une tout autre célébration qui se prépare.

 Après avoir quitté l’école, quatre enfants arpentaient les rues. La première était une petite sorcière. Ses cheveux blonds s’échappaient de son chapeau pointu surmonté d’un pompon verdâtre. De la poche de sa robe noire dépassait une loupe, qui était en réalité sa baguette magique. Son nom ? Agatha Petipois. Une détective en herbe qui, du haut de ses onze ans, avait déjà fait ses preuves auprès de la police d’Halloween.

 D’ailleurs, le jeune garçon à la pilosité débordante qui l’accompagnait n’était autre que le fils du commissaire Scotyard. Romulus était un loup-garou. Il avait beau se raser tous les matins de la tête aux pieds, en fin de journée, sa fourrure finissait toujours par refaire surface. À ses côtés, Juliette, une gamine qui aurait presque pu passer inaperçue dans nos rues. À condition, bien sûr, de cacher les nombreuses couleuvres qui se dressaient sur son crâne et sifflaient dangereusement quand un inconnu passait trop proche d’eux.

 Enfin, dans la brouette que poussait Agatha, il y avait un tableau. En sortaient la tête et les bras d’une enfant du même âge que ses camarades. Ses cheveux noirs étaient surmontés d’un voile multicolore et elle portait une robe d’un vert sombre. Lisa était un portrait vivant. Elle était hélas incapable de s’extirper complètement de sa toile, mais pouvait compter sur ses amis pour l’emmener partout avec eux. Aujourd’hui, justement, c’était à sa demande qu’ils se rendaient à la Galerie d’art d’Halloween.

 — C’est la première fois que je vais participer à une exposition de papa. J’ai vraiment hâte !

 — Tu as déjà rencontré les autres tableaux de la galerie ? questionna Juliette, curieuse.

 — Pas tous, non. La plupart sont venus de l’étranger exprès pour l’occasion. Ce n’est pas tous les jours qu’on fête son 600ème anniversaire !

 — Pardon ? s’étrangla Romulus. Monsieur Lemona a 600 ans ?

 — Tu ne savais pas ? s’étonna Agatha. Il a une grosse barbe et des expressions que même ma mamy trouverait vieilles.

 — Peut-être, mais de là à lui donner six siècles… Physiquement, on dirait juste un bonhomme d’une cinquantaine d’année !

 — Moi, j’ai toujours cru qu’il était humain, ton papa, fit remarquer Juliette.

 — Oui, un humain de 600 ans qui donne vie à ses tableaux, rétorqua Lisa en haussant les épaules. Rien de bien spécial, quoi !

 Devant la tête que tirait Romulus, Agatha pouffa de rire. Pour elle aussi, c’était une première. Elle n’avait jamais visité d’exposition de peintures auparavant. Cependant, l’enthousiasme de sa meilleure amie l’avait contaminée. Elle aussi désirait visiter la Galerie, d’autant que, pour l’occasion, de nombreuses œuvres de tout un tas d’époques avaient été rassemblées. Et pas n’importe lesquelles ! D’après Lisa, en exclusivité mondiale, tous les tableaux autour du thème d’Alice au pays des Merveilles avaient été réunis au même endroit. Pour l’occasion, la petite sorcière avait momentanément délaissé ses livres d’Agatha Christie, son auteure préférée, pour se plonger dans l’œuvre de Lewis Caroll. Ce n’était certes pas sa tasse de thé habituelle, mais elle avait tout de même passé un bon moment. Surtout, elle était désireuse de rencontrer les personnages qu’avait peints M. Lemona, plus d’un siècle plus tôt. Mais seraient-ils aussi amicaux que Lisa ?

 — Nous y voilà ! chantonna Juliette en pointant le doigt devant elle. La galerie est juste là !

 — Ça a l’air fermé, fit remarquer le loup-garou.

 — Bien sûr, ils préparent encore tout pour l’ouverture de demain ! Mais venez, je suis sûre que ma belle-maman va nous laisser entrer !