Chapitre 2

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Lorsque je reprends conscience, je suis toujours allongée dans mon lit. Une chaise se trouve à côté de moi et un petit plateau est posé dessus. Je tente de voir ce qu’il contient et reconnais de la soupe avec du pain. Mon repas doit être froid depuis plusieurs heures.

J’aimerais manger mais je n’ai pas la force de bouger. Je ne peux qu’attendre dans cette position, espérant que quelqu’un vienne avant le lever du jour, sinon, je devrai attendre le soir suivant. Comme si elle avait lu dans mes pensées, ma mère entre dans ma chambre. Quand elle me voit réveillée, elle semble légèrement rassurée et s’approche pour prendre le bol.

— Je reviens, je vais te le réchauffer, dit-elle simplement.

J’acquiesce et elle sort de la pièce pour revenir après quelques minutes. Elle me nourrit lentement et malgré la douleur qui parcourt mon corps, ce repas me fait me sentir un peu mieux. Quand le récipient est vide, ma mère m’annonce que, même si elle avait voulu, elle n’a pas le droit de rester plus longtemps.

Elle me fait un bisou sur le front et sort, privilégiant sûrement ma sécurité à son envie de rester avec moi. Quelques secondes de trop avec elle pourraient m’être fatales, surtout avec les derniers événements. Il fait encore nuit dehors et j’aimerais me rendormir mais je n’y arrive pas.

Ma douleur est revenue en plus fort et cette fois, rien ni personne ne pourrait la soulager. De plus, je sais que cette interdiction de voir ceux qui me sont chers et d’avoir droit à des anti-douleurs font partie de ma punition. Après tout, il faut bien que les autorités trouvent une victime dans ce village calme.

Peu de gens ont osé résister ou même s’enfuir. J’entends encore les aboiements et la respiration bruyante des chiens qui me poursuivent. J’ai encore peur que cela se reproduise. Et surtout les chiens me terrifient désormais. Moi qui me suis tellement entraînée en espérant ne pas être découverte… J’ai lamentablement échoué.

Toutes ces heures à courir sans relâche, ces instants où l’idée de sortir de ce cauchemar me remettait debout… Cette époque est révolue. A présent, je dois faire face à ce qu’ils ont décidé pour moi, je n’ai pas le choix.

Alors que mes paupières se ferment, j’entends un bruit étrange. Je sursaute lorsque je vois un homme assez âgé, un couteau à la main. Je ne peux toujours pas bouger et aucun son ne sort de ma bouche. Il s’approche lentement, semblant calculer la trajectoire pour m’atteindre en pleine poitrine. Manque de chance, je suis sur le dos, alors si je meurs, je souffrirai.

Il surveille le moindre de mes faits et gestes mais de toute manière, je ne peux pas bouger. Je tente de m’enfuir, de me relever, rien à faire, mon corps est paralysé. A l’instant où il s’apprête à me transpercer, je me réveille en criant. Ce n’était qu’un cauchemar. J’ai eu si peur que même réveillée, je sursaute au moindre bruit. Je soupire longuement. J’ai beau être dans la chambre où j’ai passé toute mon enfance, je ne me sens pas en sécurité.

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Je n’ai pas réussi à dormir de la nuit. Je comprends qu’il fait jour lorsque j’entends l’environnement sonore habituel du village parvenir à mes oreilles. Je constate par la même occasion que mon ouïe est à nouveau normale, ou en tout cas meilleure qu’après la séance d’hier. Un certain temps passe et, n’ayant rien d’autre à faire, je réfléchis sur tout ce qui aurait pu arriver si j’avais réussi à m’enfuir.

Mes parents et mon frère auraient-ils payé pour moi ? Ou alors, auraient-ils été forcés à me chercher pour me convaincre de revenir ou pour me tendre un piège ? Et cet autre monde que je ne connais pas, comment est-il ? Dangereux ? Mortel ? Aurais-je réellement risqué ma vie et suis-je plus en sécurité au village qu’à l’extérieur ?

Je tente de bouger mes mains et j’y arrive légèrement. Mes plaies me font toujours mal mais c’est mieux que la veille ou même que cette nuit. J’ai envie de me lever mais dans mon état, je ne sais pas si je vais y parvenir. Alors que je me tourne pour poser un pied sur le sol, je tombe lourdement par terre.

Le sol est froid et je me rends compte que ce que j’ai tenté est une pure folie. Malgré tout, je mets mes mains devant moi et m’efforce de pousser dessus. Après quelques instants, je réussis à me redresser un peu. J’essaie d’avancer mes genoux mais les brûlures qui s’y trouvent me font serrer les dents.

Je prends un peu de temps pour reprendre mon souffle et je tente de m’habituer à cette nouvelle douleur. Je dois me lever, je dois faire quelque chose…là, maintenant… Je cherche à me mettre debout en appuyant sur mes genoux mais la souffrance est si forte que je retombe, cette fois sur le dos. Un petit cri s’échappe de mes lèvres. J’ai été martelée de coups de fouet…et je me retrouve maintenant appuyée sur mes blessures…

D’habitude, je ne montre rien de mes sentiments ni de mon ressenti mais cette fois, c’est plus fort que moi. J’ai horriblement mal et je ne souhaite qu’une chose, que ma souffrance cesse. Je ne peux plus bouger ni faire quoi que ce soit. Je suis bloquée, seule sur ce sol, en train de sombrer. Mes yeux ne sont plus que faiblement ouverts et ne demandent qu’à se fermer.

— Laissez-moi entrer tout de suite ! s’emporte une voix que je ne reconnais pas tout de suite.

— C’est impossible, vous ne pouvez pas la voir, répond calmement une seconde.

Ces voix viennent de l’autre côté de la porte donc je ne peux pas voir qui parle.

— J’ai dit, laissez-moi entrer ! insiste la première.

— Vous avez interdiction formelle d’entrer dans cette pièce jusqu’à… commence l’autre.

— Ça ira pour cette fois, il peut la voir, tranche une troisième personne.

J’entends la porte s’ouvrir et quelqu’un entrer : mon frère. J’imagine que c’est lui qui a tant insisté pour me voir. Il se précipite vers moi, l’air paniqué, et tente de me soulever doucement. Il me recouche sur le ventre et me couvre. Je le remercie d’un sourire et lui, semble hésiter à parler. Je peux le comprendre, après tout, lui aussi je l’ai quitté sans le prévenir.

— Salut sœurette, comment tu te sens ? finit-il par demander d’une voix inquiète.

— Salut, c’est pas la grande forme mais je devrais m’en sortir, réponds-je faiblement.

Un silence s’installe et je me sens idiote. Il a dû se faire beaucoup de soucis pour moi et je sais à quel point il est protecteur d’habitude, alors là… Il semble chercher ses mots sans les trouver mais je ne veux pas qu’il soit gentil avec moi. C’est normal qu’il veuille me faire des reproches et je sais que je n’aurais pas dû agir comme ça. Il n’a pas à chercher une manière bienveillante de le dire.

— Je suis désolée, vraiment, m’excusé-je les larmes aux yeux.

— Pourquoi tu t’excuses ? Tu n’as rien à te reprocher. C’est moi, j’aurais dû le voir et j’aurais dû te persuader de renoncer, dit-il d’un ton qui se veut rassurant.

— Même si tu m’avais persuadée, je l’aurais fait, alors tu n’as pas à t’en vouloir. Je pensais d’ailleurs que tu serais en colère contre moi parce que je t’ai laissé derrière… avoué-je en détournant le regard.

— Je n’aurais jamais pu être en colère, tu es ma petite sœur, c’est toi le plus important, répond-il en me caressant doucement les cheveux.

Je lui souris légèrement et mes yeux se ferment sans que je puisse les en empêcher. Je sombre directement. Je sais que ma punition est justifiée, mais je ne comprendrai jamais comment on en est arrivés là. La vie a-t-elle toujours été comme ça ? Ce village regroupe-t-il vraiment les seuls survivants sur Terre ?

Du peu qu’on nous ait appris en Histoire, la planète aurait connu un temps de guerre violent et tout aurait changé à partir de ce moment. Malgré nos questions, les quelques professeurs n’ont jamais voulu nous en dire plus. Peut-être qu’au final, eux non plus ne savent pas, peut-être même que les autorités les obligent à enseigner seulement cette partie de l’Histoire pour prouver que toutes les règles et les restrictions qui nous touchent sont nécessaires et normales.

L’interdiction de fuir fait partie des lois qui nous ont été instruites, sûrement pour nous formater dès le début. Les punitions qui s’ensuivent nous ont été expliquées directement, de sorte à nous faire passer toute envie de partir loin du village. Hier, j’ai enfreint cette restriction, la première que j’ai connue, et pourtant, même en connaissant ce que j’allais subir pour mon « comportement stupide » comme ils diraient, j’ai tenté ma chance.

Malgré leur mise en garde, j’ai fui. Je ne suis cependant pas la seule à avoir essayé. Ils ont tous eu la même sanction que moi mais étrangement, ils n’ont plus jamais recommencé ni même souhaité partir alors qu’en ce qui me concerne, j’en ai encore envie. Pourtant, je n’ai presque pas à me plaindre ici.

On est tous nourris, logés, et nos soins médicaux sont payés d’office. Tout ce qu’on a à faire en échange, c’est de rester dans le village. Mais pourquoi ? Depuis toujours, je me suis questionnée sur cette règle. D’après ce que j’ai pu apprendre, avant la catastrophe, ceux qui avaient le pouvoir ne nourrissaient et ne logeaient les citoyens que contre de l’argent.

Rien n’était fait gratuitement alors…qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de si important pour pousser les autorités à rendre tout accessible en échange d’une seule règle ? C’est étrange. Parfois, j’ai l’impression que ce qu’ils veulent nous cacher est bien pire que tout ce qu’on pourrait imaginer et honnêtement, cela ne me rassure pas. D’ailleurs, certains habitants du village sont terrifiés à l’idée de découvrir la vérité.

C’est pourquoi tout le monde préfère se taire et suivre les ordres, même si cela revient à renoncer à sa liberté.

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