Chapitre 1

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J’ouvre les yeux, c’est le moment.

Je prends mon sac, y mets quelques habits, sors de ma chambre et commence à descendre discrètement les escaliers. Soudain, je m’arrête et, prise de remords, je remonte pour ouvrir faiblement la porte de la chambre de mes parents. Je glisse un « Au revoir » et fais de même pour celle de mon frère avant de retourner au rez-de-chaussée.

Je vais dans la cuisine pour prendre quelques provisions avant d’enfiler rapidement mon manteau et mes chaussures. Je quitte la maison. Ça y est, je suis dehors et je marche lentement jusqu’au portail. J’y suis presque, plus que quelques pas. Ma main se pose sur la poignée tandis que je retiens mon souffle pour la baisser. Quelques secondes passent avant que je n’ose franchir cette barrière qui me bloque depuis si longtemps. Ne m’en sentant pas capable, je ne la referme pas.

Je suis dans la rue, prête à avancer et à tourner une nouvelle page de ma vie. C’est un chapitre qui se termine et un nouveau qui commence. Je dois partir d’ici avant que quelqu’un ne se réveille et ne se rende compte de mon départ. Je me sens comme libérée d’un poids, mais je ne suis pas encore assez loin pour m’en réjouir. Si je n’avance pas, je risque d’être rattrapée et ramenée chez moi.

Je décide de marcher en direction de la sortie du village. Je dépasse les dernières maisons et, avant de quitter le lieu où j’ai passé mes vingt premières années, je me retourne. J’observe le calme de la nuit et remarque que, même dans l’obscurité, tout m’est reconnaissable. Les bâtiments sombres, la place du village que je peux voir de loin, les rues simples faites de gravier… Un petit sourire se dessine sur mes lèvres et je fais quelques pas en arrière sans que mon regard ne lâche les habitations.

Je tourne sur moi-même et j’engage le pas. Je marche depuis quelques secondes, quelques minutes, une heure peut-être. Le soleil devrait bientôt se lever et ma fugue va être découverte. En même temps, qui n’a jamais rêvé de parcourir le monde ? De découvrir ce qu’il y a au-delà du village ?

J’atteins un bois et je prends conscience que j’avance moins vite que je ne le pensais. Le village me semblait loin mais quand je le regarde, il n’est qu’à quelques kilomètres de moi. J’ai pourtant passé beaucoup de temps à m’entraîner à marcher vite et à courir, tout en essayant de faire en sorte que mes proches ne le remarquent pas. J’avais été angoissée toute la semaine à cause de mes parents plus vigilants et de mon frère qui surveillait tous mes faits et gestes.

Heureusement, jamais ils n’auraient imaginé que j’aille jusqu’à fuguer, malgré ma révolte contre l’Autorité. Mon frère acceptait peut-être de rester dans ce village pour toujours mais ce n’était pas mon cas. Vivre chez mes parents toute ma vie ou trouver un mari que j’aurais tiré au sort dans une urne ? Plutôt mourir !

Je continue mon chemin et, de sorte à me sentir un minimum rassurée, je décide de quitter la route principale et de partir plus loin dans les bois. Lorsque je pense être hors de portée de ceux qui voudraient me ramener, je retire le sac de mon dos et le pose devant moi. Je sors ma bouteille et bois une gorgée avant de la ranger, désormais prête à reprendre ma route.

Quand j’y repense, on nous a toujours dit que le monde extérieur est dangereux mais malgré les longs instants que je viens de passer dehors, je n’ai pas été attaquée ni tuée. On dirait, comme on nous l’a appris, qu’il n’y a plus personne, alors qu’est-ce qui pourrait bien mettre notre vie en danger si nous quittons le village ?

Des aboiements me sortent brutalement de mes pensées. Je prends mon sac à la hâte, le mets sur mon dos et cours. Les chiens se rapprochent, aggressifs. Dans ce décor sombre et silencieux, je n’entends qu’eux. La peur m’envahit. Vont-ils me sauter dessus ? Les autorités vont-elles me rattraper ? Vais-je être torturée pour avoir fui ? Non, il ne faut pas que je pense à tout cela. Je ne dois pas abandonner, pas maintenant.

Je cours, toujours plus vite, pour les fuir. Je ne peux pas leur permettre de m’attraper à nouveau et me faire vivre dans ce village pour l’éternité. Je n’accepte pas leur loi, leurs règles. Il est hors de question que je finisse ma vie avec quelqu’un dont j’ai tiré le nom dans une urne. Je cours encore, espérant leur échapper, espérant pouvoir les fuir une bonne fois pour toute, mais ils sont là.

Je suis essoufflée, je ne peux plus respirer. Mes jambes tremblent mais pourtant, il faut continuer à courir. Je ne peux pas me permettre d’abandonner maintenant. Ma respiration se fait de plus en plus difficile et mes larmes me font voir flou. J’ai l’impression que je pourrais perdre connaissance à tout moment, mais il ne faut pas que je laisse tomber, pas pour l’Autorité. Je refuse de retourner là-bas, dans ce village. Ils n’ont pas le droit de me voler ma vie. Je fuirai par tous les moyens.

Alors que je continue à courir, encore et toujours plus vite, j’entends les chiens se rapprocher. Leurs aboiements sont de plus en plus forts. Je comprends qu’ils ne sont plus qu’à quelques mètres de moi. Mon cœur bat la chamade, je peux l’entendre résonner dans mes oreilles et le sentir dans ma poitrine.

Soudain, un poids s’écrase sur moi, et je sais que tout est fini. J’entends la respiration saccadée du chien et sens sa bave tomber dans mon cou. Je ne peux plus fuir, ses grosses pattes me maintiennent au sol. Il m’est impossible de bouger, mes jambes me font trop mal, mon cœur me martèle de coups et ma tête va exploser. Je ne peux plus rien faire. C’est la fin.

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Je me réveille à cause d’une claque. Je tombe au sol, n’ayant plus de forces. Je remarque que je suis le lieu qui sert à infliger les punitions à ceux qui ne respectent pas la loi. C’est une toute petite pièce qui n’a qu’une seule entrée et aucune fenêtre. C’est une salle sale, effrayante et menaçante. Les murs gris foncés renforcent un sentiment d’oppression. Je me sens mal. L’atmosphère est plombante. Il fait sombre et je ne vois pas grand-chose. Quelqu’un se penche à ma hauteur et sourit.

— Ça y est, tu es enfin réveillée ? dit une voix grave.

Je reçois un coup de pied dans le ventre. Je grimace. Lorsque je tourne la tête vers la porte ouverte, je vois mon frère, qui est en colère, et mes parents, impassibles.

Je pense qu’au fond d’eux, ils sont tristes et ils ont peur mais que pour l’instant, ils ne peuvent pas l’exprimer. En ce qui concerne l’Autorité, elle doit sûrement se dire que cette punition suffira à me faire comprendre que ce que j’ai fait est mal.

Mon frère crie aux autorités de me lâcher mais ceux-ci n’en font rien. Il force alors en se mettant à frapper un garde mais il se prend un coup en retour. Je me redresse pour tenter d’aller l’aider mais je me rends seulement compte que je suis attachée au mur. Je ne peux pas porter secours à mon frère qui se fait frapper sous mes yeux. Mon père réagit directement en le retenant pour que les gardes le laissent tranquille.

— Lâche-moi ! Petite sœur ! Laissez là ! hurle-t-il.

Mon tortionnaire se penche à ma hauteur.

— Alors ma belle, prête ? demande-t-il plus par formalité que par politesse.

Après quoi, il se redresse et me donne plusieurs coups de fouet. Je serre les dents et les larmes me montent aux yeux. Au bout de quelques secondes, je ne peux plus retenir mes cris, ayant trop mal pour ça. Je ne peux pas le voir mais je devine que mon frère pleure. Le dernier de ses proches qui s’est fait torturer sous ses yeux ne s’en est pas sorti, donc je comprends sa peur et sa tristesse.

Les coups de fouet s’enchaînent. Mon agresseur me prend par le col et me jette par terre, me faisant pousser un petit cri de douleur. Mon frère ne dit plus rien, s’étant sûrement détourné pour ne pas me voir souffrir plus longtemps.

Quand cela cesse, je ne sens plus mon corps, j’ai l’impression que seule mon âme a survécu à cette torture. Mon bourreau se baisse à ma hauteur. J’ai peur mais je me dis que rien ne pourra être plus douloureux que tout ce que je viens d’encaisser.

— Tu as désobéi à notre loi. En conséquence de ton acte, tu devras rester enfermée chez toi et tu n’auras pas le droit de manger avant 20h. Si jamais tu enfreins à nouveau une règle, tu seras battue à mort et montrée à nos citoyens afin qu’ils comprennent qu’ils doivent obéir. C’est comme ça, tu dois le respecter, me chuchote-t-il pour ensuite se taire, attendant sûrement une réponse.

Un silence s’installe et je n’ose rien dire.

— Tu aimes mes coups c’est ça ? Tu en veux plus ? demande-t-il d’un petit sourire, semblant se délecter à l’avance de mes cris.

Je ne réponds toujours rien. Il me dégoûte et pour rien au monde je ne lui ferais ce plaisir. Il se lève pour me redonner des coups mais cette fois, je ne crie plus. Je serre les dents, essayant de contenir ma douleur. Il a l’air agacé et me souffle à l’oreille que si je n’étais pas vierge, ma punition aurait été beaucoup plus amusante et plaisante pour lui.

Il me détache et je me laisse tomber sur le sol, tandis que le passage pour accéder à la petite pièce se libère. Mon frère se précipite vers moi et tente maladroitement de me retourner mais il se stoppe quand une grimace de douleur tord mon visage. Il se met à pleurer et me secoue pour tenter de me faire réagir mais je ne peux ni bouger, ni parler.

Mes parents s’approchent et ne m’adressent qu’un regard vide. Je ferme les yeux, épuisée. Mes sens ont tous disparus et je m’enfonce si profondément que j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais remonter à la surface.

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Je me réveille doucement mais lorsque mes sens reprennent du service, ma douleur revient. Je remarque que je suis dans mon lit, dans ma chambre, allongée sur le ventre, seule. J’imagine que mes proches ont interdiction de venir me voir avant que le chef des autorités ne m’ait sermonnée.

J’entends la porte s’ouvrir et lorsque je me retourne vers elle, je vois celui que j’attendais avec angoisse. Il vient vers moi et s’assoit sur le bord de mon lit. Il me regarde avec insistance et quand il voit mon état, il soupire. Je ne sais pas ce qu’il a en tête à cet instant précis mais il semble avoir un peu plus de cœur que celui qui m’a punie.

— Mademoiselle, pourquoi avez-vous fait ça ? Vous connaissez pourtant la loi, soupire-t-il.

— Je sais, réponds-je d’une voix rouillée à cause des cris.

— Vous savez que dans ces cas-là, je suis dans l’obligation de vous surveiller et de faire en sorte que vous ne recommenciez pas, me rappelle-t-il. Vous devrez également travailler dans le centre jusqu’à ce que nous soyons certains que vous ayez compris la leçon. Dans le cas contraire, nous nous verrons forcés de vous punir sévèrement, voire de vous tuer, vous en êtes consciente ?

J’acquiesce simplement et, comprenant que je ne lui serai d’aucune utilité vu mon état, il se lève pour sortir de la pièce. J’aimerais voir mes parents et mon frère mais je ne pense pas qu’ils pourront venir dans ma chambre avant ce soir. Le temps passe, inlassablement, et alors qu’il fait presque nuit, la porte s’ouvre à nouveau.

Par sécurité, je décide de fermer les yeux. Je ne suis pas assez en forme pour encaisser un reproche de plus. Un soupir retentit et quelqu’un prend place près de moi pour changer délicatement mes bandages. Quand la personne a fini, elle remet une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille pour me caresser la joue. Cette douceur maternelle, je la reconnaîtrais entre mille.

Pourquoi ma mère se montre si attendrie alors que j’ai brisé les règles de notre famille ? J’ouvre faiblement les yeux et un petit sourire apparaît sur son visage. Mon père est là aussi et ils semblent tous les deux soulagés que je sois consciente. Je m’inquiète cependant de ne pas voir mon frère, lui est-il arrivé quelque chose ? J’aimerais le demander mais j’ai peur de ne pas avoir la force d’entendre la réponse.

— Comment tu te sens ma chérie ? tente ma mère d’une voix douce.

Je hausse simplement les épaules, ne sachant pas quoi répondre.

— Tu sais…c’était complètement fou ce que tu as fait. Tu aurais pu te faire tuer.

Elle semble très affectée par mon état et laisse une larme s’échapper de ses yeux. Je voulais m’enfuir loin de tout ça, de ces règles qu’on nous impose dès la naissance, mais je n’avais pas pensé aux répercussions que cela aurait sur mes proches.

Je souris faiblement avant de fermer les yeux pour sombrer. J’avais voulu connaître la liberté mais j’avais été égoïste. J’espère juste que ceux que j’aime ne subiront rien par ma faute.

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