les lumières de Zangor

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Les lumières de Zangor

 

Hoc a dépensé les quelques riels qui lui restaient pour acheter du riz. Assis à même le sol, appuyé contre un monticule de plastiques, ses pensées hésitent à envisager le sort de Vana. Van Thi avait un air soucieux pour évoquer son ami. La vieille a parlé de venin. Tout s’embrouille. Que signifient ces mystères ? Comment retrouvera t-il Vana au milieu de la multitude ? Son inquiétude est si cruelle qu’il doit se forcer pour manger le riz chaud. Depuis qu’il a quitté le secteur B2542, Hoc ne partage plus rien avec personne. Il a croisé beaucoup de monde, et le voilà plus seul qu’au milieu des familles égoïstes de la favela. Plus Zangor se rapproche, plus les riels dictent les conduites.

Il trouve un endroit tranquille pour passer la nuit. Une dernière fois les questions se bousculent, sans jamais aboutir à réponse rassurante. Il ne veut pas laisser le découragement s’insinuer. Après ces jours de marche, Hoc ne sait pas à quelle distance se trouve Zangor. Le brouillard, épais et opaque ces derniers temps, cache les tertres suivants.

Il s’endort épuisé sur l’image de Vana.

 

Ce sont des cris stridents et des battements d’ailes qui le réveillent. Il ne reconnaît pas le croassement des crovaks. Ceux là sont plus aigus et transpercent les oreilles. Il se redresse. Le ciel est plus dégagé que la veille. Juste au dessus de lui planent de grands oiseaux gris et blanc. Leurs plumes brillent sous la lumière du jour. Leurs becs sont plus longs que ceux des rapaces de la décharge, légèrement recourbés sur le devant. Le bout de leurs ailes est noir. Hoc n’a jamais vu des volatiles pareils. Ils sont beaux et planent avec grâce. Leurs pattes repliées n’ont pas de griffes. Il en compte tout au plus une dizaine qui se suivent en cercle au dessus de sa tête. Il saute sur ses jambes. Hoc sait qu’il ne faut jamais rester inerte trop longtemps, car cela attire les prédateurs et attise leur voracité. Il agite ses bras pour indiquer aux charognards qu’il est bien vivant et qu’ils auront fort à faire. Les oiseaux tournent toujours, mais leur vol est moins fluide. Leurs cris sont stridents, peut-être pour marquer leur déception. Ils s’éloignent en décrivant des courbes de plus en plus larges. Hoc court dans leur direction. Il veut les voir encore, admirer leur aisance à fendre l’air, à flotter dans le vide. Ils ont disparu derrière une colline que le garçon escalade péniblement. Un brouhaha de cris et de ronronnements de machines lui casse les oreilles avant même d’avoir passé le sommet. Des milliers de ces élégants volatiles zèbrent le ciel en tous sens. Ils piaillent, tournent par groupes dans un ballet bourdonnant au chef invisible. Parfois, sur un signal connu d’eux seuls,  certains piquent vers le sol d’où ils remontent aussitôt, le bec fermé sur une prise indiscernable.

Hoc ne peut contenir un rire clair et nerveux. Il a posé sa main sur son front pour tempérer la réverbération qui fait mal aux yeux. Les oiseaux s’agglutinent au dessus d’un amoncellement de détritus que des camions verts déversent en une noria incessante. Ces entassements s’étendent à l’infini. Plus Hoc s’en approche, happé par la magie de ce festin gigantesque, plus il compte d’oiseaux. Leurs cris étaient entêtants. Ils deviennent effrayants.

 

Au sol des milliers de récupérateurs sont au travail. Certains éloignent les volatiles les plus entreprenants en battant l’air de leurs crochets de fer. Hommes et bêtes se disputent ici les reliefs de Zangor. Il croise des hommes qui ploient sous le poids de leurs sacs remplis des prises du jour. Ils paraissent mieux nourris et mieux vêtus que tous ceux que le jeune garçon a rencontrés jusque là.

- Quelle est la route de Zangor ? Lance Hoc à la volée, espérant que quelqu’un répondra. Mais personne ne réagit. Tous gardent la tête baissée. Ils marchent sur des fruits abandonnés, des légumes entiers.

Un homme plus jeune que les autres lui coupe le chemin. Il porte sur son dos un sac plus lourd que lui. Probablement file t-il vendre son butin aux Mongs.

- He toi, indique moi la route de Zangor.

L’autre ne se retourne pas. Il continue d’avancer, ployant sous la charge.

- Je veux juste savoir dans quelle direction je dois marcher.

Le récupérateur a tourné la tête. Il s’immobilise au sommet de la colline et détaille Hoc d’un air consterné. Il le fixe niaisement comme si le gamin parlait une langue étrangère.

- D’où viens-tu ? Tu as des objets ? Marmonne t-il

- Du secteur B2542, répond Hoc en haussant les épaules. Dis-moi la bonne direction pour Zangor.

Un peu en contrebas, des machines monstrueuses s’activent dans un bruit métallique et le ronflement crapoteux des moteurs. Elles repoussent devant elles les ordures pour les entasser un peu plus loin. Des récupérateurs suivent, alléchés par les trésors mis à jour à leur passage.

Hoc atteint, haletant, le sommet du monticule. Il se trouve tout près du type qui le dévisage toujours avec curiosité. L’homme fait un geste pour désigner l’horizon : derrière le monticule escarpé, Zangor s’offre aux regards, dans l’incroyable majesté de ses rêves agités.

 

Jamais dans ses souvenirs Hoc n’a vu Zangor aussi nettement.

Jamais son imagination n’avait embrassé la hauteur invraisemblable de ses tours dont les cimes piquent les nuages toujours plus sombres.

Les tours sont quadrillées d’une infinité d’ouvertures de verre dont les reflets renvoient l’image mouvante d’un ciel instable. 

 

Toutes semblent se disputer le dessein de monter toujours plus haut. Près d’elles s’activent des machines aussi hautes qu’elles, tournant un unique bras infini. Elles transportent avec solennité au bout de longs filins des blocs qu’elles amènent jusqu’au sommet, tels des insectes au long corps et aux antennes de fer.

Tout autour, sur des étendues infinies, les maisons et les immeubles de Zangor s’étalent comme un lac. Hoc détaille ce décor avec ravissement. Contempler la grande ville d’aussi près est une victoire. Puis il tente de discerner l’activité qui suinte. Il se trouve bien trop loin pour distinguer routes et véhicules, encore moins hommes, femmes et enfants, mais il sent la tension dégagée par l’agitation fébrile.

Vana se trouve dans la grande cité. Dans une de ces tours obsédées par la hauteur. Hoc a mal à son cœur. Il hait les pressentiments : il a peu de chances de retrouver son ami dans un univers aussi vaste. Tout ici est monstrueux. La grande ville s’exhibe, impudique, obscène. Elle invite à se faire toucher comme les filles de la favela qui vendent leur corps et demandent quelque chose en échange. Si près du but qu’il s’est fixé, Hoc est submergé par la tristesse du désespoir.

 

L’enfant se laisse tomber lourdement sur le sol. Il attend. Il veut constater que l’image va s’évanouir. Il s’attarde au même endroit toute la soirée. Elle ne s’est pas effacée. Il en a oublié la faim et l’angoisse. La nuit s’est refermée sur le paysage. Lourde et chaude. Mais il n’est pas tombé de pluie. Le ciel est redevenu clair, et Hoc a contemplé longuement les  points brillants au dessus de sa tête. Autrefois, dans son secteur, il lui était arrivé d’en apercevoir. Jamais autant. Van Thi expliquait qu’il s’agissait d’autres mondes. Des mondes à une distance infinie du notre. Hoc a souvent tenté d’imaginer ce que cela pouvait signifier. Il n’y est jamais parvenu.

Quand l’obscurité a glissé, des points lumineux se sont allumés un par un sur les tours de Zangor. Au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient, ils ont scintillés toujours plus nombreux. Avant même que le ciel ne disparaisse dans le noir et que la pénombre ne noie le paysage, les tours se sont transformées en d’immenses torches brillant de mille feux. La lueur de leurs flammes recouvre d’un halo le lac de maisons autour d’elle à des lieues à la ronde, transforme les routes en rubans dorés.

Hoc, ébloui, peut imaginer d’autres mondes.


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