Le peuple des Mongs

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Le peuple des Mongs

 

Les Mongs constituent un peuple étranger dans la décharge. Nul ne sait d’où ils viennent. Leurs cabanes ne sont installées dans aucun secteur proche. On raconte qu’ils dorment au creux d’une vallée cachée, à deux heures de la favela. On raconte qu’ils composent une unique tribu qui se répand le matin dans toute la décharge, qu’ils payent un impôt gigantesque au préfet. On dit aussi qu’ils n’ont pas d’odeur, qu’ils organisent à chaque pleine lune une grande cérémonie au cours de laquelle ils mangent leurs morts. Mais surtout on les craint car on les soupçonne de constituer le principal réseau d’information d’Ankar. Ils sont partout, apparaissent et disparaissent dans la plus grande discrétion. On raconte tant de choses sur les Mongs que personne ne sait que croire. Mais le plus probable est qu’ils tentent de survivre comme tous les peuples de la décharge.

Ce dont chacun est sûr, c’est que tous les matins, quand la noria monte vers le secteur à la première lueur, ils apparaissent les premiers. Ils investissent les crêtes, les vallées. S’étirent à l’orée du secteur. Partout d’où ils peuvent compter et surveiller la montée des camions, préparer et attendre leur descente une heure plus tard. Ils se dispersent, et s’installent, solitaires. Un Mong est toujours maigre. Sa peau est plus pâle que celle des autres peuples. Ses yeux sont plus étirés, Ses cheveux plus drus. Les Mongs sont tous vêtus d’une chemise de couleur jaune ou bleue, d’un pantalon qui s’arrête sous le genou. Sur leur tête ils posent le chapeau conique qui les rend reconnaissables de loin.

Hoc n’en a pas appris beaucoup plus sur les Mongs. Il a rarement affaire à eux. Ils parlent peu. Ne sourient jamais. Ils s’accroupissent au bord du chemin, et entrent en somnolence. A même le sol ils ont déplié la balance de cuivre dont les deux plateaux hésitent sur l’équilibre. Tout près, un container de poubelle attend, dans lequel ils jetteront les lots qu’ils ont acquis.

Hoc remonte l’allée des Mongs. Ils évoluent presque au ralenti. Leur regard est fixe. Ils attendent. On les croirait en terre cuite. Le ronronnement des moteurs n’a pas encore commencé mais ils sont déjà à leur poste. Hoc n’ose pas leur adresser la parole. Eux ne lèvent pas la tête à son passage. Il ne les intéresse pas. Les Mongs ne s’éveillent que lorsque des récupérateurs passent à proximité avec des sacs remplis de choses négociables comme les bouteilles vides, les papiers, les sacs. Ils les sentent. Ils sortent alors de leur torpeur, lancent un salut sans la moindre mimique, et proposent de peser leurs trouvailles. Les prix sont fixés d’avance. Inutile de marchander ou d’espérer un meilleur prix un peu plus loin. Les Mongs forment un cartel immuable. Personne n’ira vérifier que les balances sont justes, que leur calcul est exact, que le prix est le bon. Non, Hoc, dans sa maigreur, ses mains libres et ses yeux vifs ne peut rien posséder de négociable.

 

Hoc sait tout cela. Ces Mongs là ne l’intéressent pas. Il existe d’autres Mongs, plus spécialisés. Des marchands qui n’achètent pas les choses banales que leurs confrères négocient au kilo. Eux sont ici chaque jour pour des objets différents, des images rares. Tout ce qui se négocie à la pièce. Bien sûr ces Mongs sont moins nombreux, et bien sûr les prix varient selon les objets.
On les appelle les recéleurs. Les recéleurs se distinguent par leur torse nu et leur cou tatoué d’un crovak. Leur chapeau est plus large et plus plat que celui des autres Mongs. Ils se regroupent tout au bout du chemin. Quand les récupérateurs se sont défaits du plus gros de leurs trouvailles. Alors les plus chanceux se dirigent vers les recéleurs pour négocier une dernière prise. C’est vers ces petits hommes aux yeux morts que Hoc se dirige. Il interroge le premier qu’il rencontre, lui tend le bout de papier qu’il serre encore très fort dans sa main :

- Tu me donnes combien pour çà ?

L’homme offre un visage couleur des herbes sèches. Il plisse ses yeux à faire disparaître ses pupilles, examine attentivement l’image.

- Un papier sans importance. L’image ne vaut rien.

- Je ne te propose pas le papier. Mais ce qui est dessiné dessus.

Le visage du Mong se crispe légèrement. Juste suffisamment pour que ses prunelles capturent l’image de Hoc campé devant lui. Puis il examine à nouveau le bout de papier.

- Un flacon de parfum !

Hoc ne peut réprimer un sourire. Il sait qu’à présent le Mong a vu l’intérêt de l’objet. D’ailleurs, la tête du marchand reste baissée, pour ne plus croiser son regard. Le regard des Mongs demeure caché quand il s’agit de discuter un prix. Ils savent depuis toujours que les yeux sont le point clé de la négociation. Il reprend à voix basse.

- Tu veux dire que tu possèdes un flacon ? En bon état ?

- En très bon état. Il y a même du liquide à l’intérieur. Alors, combien ?

Le Mong observe à nouveau l’image. Il semble hésiter.

- Tu sais, petit garçon, tout dépend du flacon. Tout dépend de ce qu’il contient. Le tien est-il exactement comme sur cette image ?

- Pas exactement. Il est un peu plus grand, plus long. Il y a quelque chose d’écrit dessus.

- Et le liquide à l’intérieur, y en a-t-il beaucoup ? De quelle couleur est-il ?

Hoc prend sa respiration. Il est heureux d’avoir parlé avec Van Thi, cela lui donne de l’assurance.

- Tu sais bien que si un flacon est aussi précieux que celui-ci, c’est qu’il contient un liquide tout aussi précieux. Il ne peut pas contenir beaucoup de liquide. Ce ne serait pas un parfum rare. Celui-ci que je possède est rose.

Le Mong recéleur hoche à nouveau la tête qui reste baissée. Il poursuit sur le même ton monocorde.

- Ton flacon m’intéresse. Mais je ne pourrai te donner le prix que lorsque je le verrai. Reviens me voir demain avec l’objet.

Hoc dandine d’un pied sur l’autre. Il ne veut pas se contenter de ce recéleur. D’autres aussi seront intéressés. Si ce flacon a un prix, il obtiendra le meilleur, comme pour les ravaks.

- Ecoute, je repasserai demain à la même heure. J’aurai le flacon. S’il t’intéresse, tu me le paieras aussitôt. D’accord ?

- D’accord.

Puis Hoc décide de partir. Au bout de quelques mètres, il ne peut réprimer sa curiosité.

- Tu payes combien un flacon de belle qualité ?

Le Mong n’a toujours pas bougé.

- Je ne sais pas, je t’ai dit. Tout dépend si … »

- Dis moi combien. Que je sache si je viens te revoir. Sinon je passerai chez un de tes confrères.

- Entre deux et cinq mille riels.


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