38. Turbulences

9 minutes de lecture

Une semaine a passé. Giulia regarde sur sa tablette tactile les photos que m’a envoyées la tatoueuse.

— C’est encore plus excitant de te voir en photo que de te voir poser. Elle a un petit talent cette photographe.

Concentrée sur la route, au volant de ma berline break bicolore, je ne réponds pas. Je suis assise du côté gris métal, et Giulia du côté noir. Son bel accent devine :

— Nerveuse ?

— Je devrais ?

Mes mains moites glissent sur le volant. Je sors de la route puis emprunte la petite communale jusqu’au village qui précède celui de mes parents. Lorsque je me gare devant le manoir retapé en gîte, Giulia s’étonne :

— C’est là ? Ça a l’air classe !

— Je n’allais pas t’abandonner dans un trou. T’es trop classe pour un Formule 1. Normalement il y a un spa. Je vais t’accompagner…

— Non, tu es en retard, mon amour. S’il y a un souci, je t’appelle. Et puis toi aussi surtout, tu m’appelles, même si ça se passe bien.

— Je ne sais pas combien de temps ça peut prendre.

— Du moment que tu me rejoins ce soir, ne t’inquiètes pas pour moi, je vais profiter de la piscine et me faire draguer par des vieux en villégiatures.

Elle fait le tour de la voiture pour sortir sa valise du coffre. Je sors la rejoindre et elle me torpille avec des grands yeux :

— Va t’asseoir.

Je me rassois au volant, vidée de toute volonté, et elle se penche pour me tendre ses lèvres en murmurant :

— Il ne faudrait pas que le châtelain me voie t’embrasser.

Un baiser nous boutonne l’une à l’autre, puis elle me souhaite bon courage. Aujourd’hui, je fais mon coming-out… ou pas. Plus le temps se rapproche, moins je suis sûre de moi.

Après quelques minutes de route, je parviens à la maison familiale. J’ai le droit à l’embrassade de la mère au regard fuyant mon visage, à l’étreinte légère de mon père, puis à la bise de mes frères. Tristan est venu avec Élisa qui est toute pimpante et qui admire le costume que je porte. Lucas est accompagné de Marion dont le regard brûlant dit combien elle veut faire cocu mon frère. Bien que mon cœur appartient à Giulia, mon ventre réchauffe ses braises de désir en secret.

Nous nous retrouvons à table rapidement, et l’apéro qui n’attendait que mon arrivée remplit les verres. Afin de trouver le courage de procéder à ma déclaration, je vide les verres de whisky suffisamment vite pour m’en resservir deux.

Hélas, malgré toute l’ivresse du monde, il ne me vient aucune manière de l’annoncer délicatement. La crainte des regards, l’inconnu, tout le bloque. Peut-être aurai-je du directement amener Giulia, et supporter le clash en serrant ses doigts entre les miens. Je ne suis pas devenue la tueuse insensible que j’aurais voulu. Comment font ces filles et ses hommes pour l’annoncer en plein repas ? C’est un cliché peut-être un peu trop poussé.

Une lettre ? Non. Si mes parents veulent me le reprocher, je veux que ça se fasse face à face.

Le repas défile à une vitesse folle d’indécision, me rendant absente des conversations. Ma tasse à café vidée deux fois, mon incapacité à tout avouer me donne envie de pleurer. Ne suis-je pas devenue libre de dire ce que je pense ? N’ai-je pas dépassé cette étape ? Non, une partie de moi continue à se soucier du cœur de ma famille. Briser l’ambiance, perdre ces repas familiaux qui me tiennent chaud ? Hors de question !

Élisa gonfle la poitrine et plante ses yeux bleus dans les miens en annonçant à tout le monde :

— Bon, je vais me mettre en maillot pour la piscine ! Élodie, tu m’accompagnes ?

— Je viens avec vous, lâche Marion.

Jalousie entre belles-sœurs ? J’accepte car mon tatouage sera une manière de me déclarer sans avoir à choisir de mots. Nous gagnons toutes trois la salle de bains. Aussitôt la porte fermée. Élisa se mord la lèvre :

— Tout le repas, j’ai eu envie de t’embrasser.

— C’est… Je suis désolée, je ne veux pas provoquer ça.

— Allez, t’en a envie, murmure Marion dans mon dos.

Le baiser de la grande brune sur ma nuque enflamme mon brasero intérieur et la bouche d’Élisa vient se coller contre la mienne. Impuissante, obsédée par mon coming-out, je me laisse faire, comme on plonge dans un refuge de douceur, fait de plumes et de coton chaud.

Leurs mains me déshabillent et elles s’effeuillent elles-mêmes. Une fois toutes trois nues, Élisa admire chaque détail de la fresque tatouée.

— Putain, y en a plein !

— Un baisodrome, rit Marion. Et t’as pas vu en-dessous.

La main délicate de la brune glisse à l’arrière de ma cuisse pour la lever. Élisa s’agenouille pour voir entre mes jambes, alors comme aimantée, sa bouche se pose délicatement sur ma fente. Ma gorge échappe un soupir incontrôlé et mes sentiments s’affrontent en moi. Elles ne savent pas pour Giulia et malgré mon cœur qui m’insulte de traîtresse, mon corps me pousse à profiter de cet instant imprévu.

Marion s’agenouille derrière moi, et alors ce sont deux langues qui flattent mon intimité, la première ouvre mon coquillage, et la seconde brosse délicatement ma perle.

Laissant de côté mon cœur, mon corps s’exprime librement en soupirs. Dieu que c’est délicieux de ne penser à rien ! Ni à mon annonce, ni à Giulia ! Seul le ressenti des papilles sur mes chairs m’importe, succulent à souhait, redoutable d’efficacité.

Lorsque mes jambes se font fébriles, Marion me maintient dos contre elle pendant qu’Élisa m’achève. Je lâche un cri aigu malgré moi quand mon ventre s’étreint spasmodiquement. La petite blonde se relève, la bouche luisante et les pommettes saillantes. Je blottis ses rondeurs pâles contre moi puis caresse ses cheveux en descendant une main vers se fesses. Marion nous interrompt :

— Lucas va comprendre si on passe trop de temps.

— Mais non, chuchote Élisa à qui je dévore le cou.

— Lucas sait, souligne Marion. Si on met trois heures, il va le dire à Tristan.

Élisa se refroidit brutalement. Elle accepte, alors nous enfilons nos maillots de bains. Un peu à contrecœur, car même s’il a joui d’une certaine intensité, mon corps voudrait encore profiter d’un peu de tendresse.

Un Bikini moitié rouge et moitié jaune enfilé, je les retiens avant qu’elles n’ouvrent la porte.

— Attendez !

Elles se retournent puis attendent, alors je confie un peu honteuse :

— Je n’ai pas eu le courage de vous arrêter, mais j’ai rencontré une fille.

— Mais c’est super ! s’exclame Élisa.

— Lorsque vous la rencontrerez, ne lui dites pas que je vous ai laissé faire.

Marion, le regard blessé, confie d’une voix douce :

— Ne t’inquiète pas.

Ayant bien compris que Marion aurait bien aimé profiter de mon frère et d’une relation cachée avec moi longtemps encore, que mon annonce lui transperce son cœur, je lui dis :

— Ça ne pouvait pas durer éternellement.

J’avance d’un pas pour l’embrasser délicatement, elle se laisse porter, sa poitrine tend le tissu de son Bikini. Puis lorsque nos langues se perdent pour la dernière fois, je soupire :

— Allez, allons montrer le tatouage.

Nous quittons la pièce, finalement sans le sourire, puis rejoignons le jardin. Ma mère laisse échapper une assiette depuis la cuisine en m’apercevant.

— Qu’est-ce que tu as fait ma fille ?

— Un tatouage !

— Mais c’est un indélébile ?

— Bien-sûr.

— Dieu que c’est hideux !

Je ne suis pas surpris de cette délicate remarque encourageante de sa part. Mais elle est tant dégoûtée par l’ensemble qu’elle ne regarde pas le détail. C’est Tristan qui remarque en riant :

— Mais c’est plein de fées goudou.

— Ça te plaît ? demandé-je.

— C’est énorme !

Tristan est un peu niais, il ne fait pas de parallèle entre l’artistique et le personnel. Déçue que même ça n’est pas suffi à mon coming-out, je fuis :

— On va se baigner.

— Mais pourquoi t’a fait des fées goudous ? rit Tristan.

— À ton avis, réplique Élisa.

— C’est vrai que des bites, ça aurait été moins sensuels.

— T’es un peu débile, des fois.

Il se vexe, laissant émerger dans son esprit la vérité qui lui paraissait trop incongrue. Son visage se décompose tant que Marion s’interpose entre lui et moi. Ma mère comprend aussi, explose de colère en me frappant avec le torchon :

— Ah non ! Tu ne vas pas me dire que t’es lesbienne ! Jamais ! Jamais tu ne me dis ça !

Élisa s’interpose :

— Calmez-vous Madame Tournier. Elle n’a pas choisi.

Comprenant que rien n’est faux, elle me frappe à nouveau en criant :

— Non ! Non ! Non !

Si le tissu n’a rien de douloureux, la détresse de ma mère est pire que tout ce que j’ai pu vivre jusqu’à aujourd’hui.

Mon père accoure depuis le jardin et l’étreint pour nous éloigner :

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Ta fille est lesbienne ! Ta fille est une putain de broute-minous !

— Ah ? C’est juste ça ?

Ma mère devient blanche alors il l’emmène s’allonger sur le canapé et lui lève les jambes sur l’accoudoir. Elle balbutie en me regardant avec des yeux torves.

— Ce n’est pas parce qu’un homme t’a fait ça, qu’il faut croire qu’ils sont tous comme ça.

N’ayant plus à craindre d’autre réaction, je lui dis :

— Il m’a fait ça parce que j’étais lesbienne, justement. Et il a tué Mylène parce qu’elle m’a embrassée. Je n’ai jamais aimé les garçons.

Sa voix devient aigrelette :

— Après tout ce temps… Va-t-en, va-t-en.

— Mais qu’est-ce que ça change ? questionné-je.

— Va-t-en, elle te dit ! s’énerve Tristan.

— Oh ! Calme ta joie ! réplique Élisa.

— J’y vais, ne t’en fais pas. J’ai une chambre au manoir, je savais que ça se passerait comme ça.

— Attends, je t’accompagne, le temps que Tristan devienne moins con.

Elle le torpille d’un regard mélangeant la noirceur et le dépit, puis nous gagnons la salle de bains où j’enfile le costume par-dessus mon maillot.

— C’est gentil Élisa, mais Giulia m’attend.

— Et, je peux rencontrer ma belle-sœur, non ?

Son sourire pétulant est vraiment agréable. Je l’embrasse délicatement sur les lèvres et lui confie :

— Ta gentillesse me manquera.

Marion frappe puis entre dans la pièce.

— Ça pétarade en bas. Lucas est en train de te défendre.

— Tu les as laissés ? s’étonne Élisa.

— Ils sont à deux contre deux. Ton père aussi te défend, et il reproche à ta mère d’avoir étouffé ta jeunesse par ses discours homophobes. Tu devrais peut-être intervenir.

Désemparée, je questionne :

— Qu’est-ce que tu veux que je dise ? Tu connais ma mère.

— Un peu.

— On va voir la copine d’Élodie, sourit Élisa.

— Je vous accompagne, alors. Je ne veux pas rester ici. Comment elle s’appelle ?

— Giulia, réponds-je.

— Giulia n’est pas jalouse, j’espère.

— Si, très. Mais gardez vos maillots, il y a un spa au manoir.

Marion une fois vêtue, nous quittons la maison en toute discrétion, sans même passer devant le salon où ça aboie tant que je ne distingue pas un mot. L’animal devant le danger choisit soit de l’affronter, soit de fuir. La seconde option semble unique autant pour mon cœur, que ma tête et mon corps.

Nous arrivons après quinze minutes presque silencieuses. Seule Élisa commente l’incident, incapable de comprendre ma mère. Moi je la connaissais, je la redoutais.

— Et Tristan, il a intérêt à changer de comportement !

Je ne dis rien. Elle l’aime, qu’est-ce que ça changerait ? Et puis je ne voudrais pas être la cause de leur séparation, surtout maintenant que Giulia fait partie de ma vie.

Avertie par SMS, la belle Italienne arrive à nous lorsque je gare la voiture. Marion ne peut s’empêcher de balbutier :

— Putain, le canon !

Le cœur un peu fier, j’esquisse un demi-sourire. Aussitôt ma portière ouverte, Giulia m’étreint avec force.

— Pleure si tu as besoin.

Comme si mon cœur était un barrage qui venait de céder, les vannes de mes yeux grandes ouvertes déversent le Niagara.

Mes deux belles-sœurs ne disent pas un mot, le temps que je me calme. Avant-même que je les présente, Giulia dit :

— Élisa, je présume et Marion, non ?

— C’est ça, répondent en chœur les deux autres.

— J’ai beaucoup entendu parler de vous.

— Et nous pas, confie Élisa.

— Ben, faisons connaissance. Venez, je vous fais visiter.

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