39. Révérences

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Dimanche, les filles m’ont retrouvée à nouveau au manoir, pour me donner des nouvelles de la famille. En Bikini, autour d’un spa, nous avons trinqué autour d’un cocktail, juste pour essayer d’éloigner les heures passées du côté des souvenirs.

Tristan s’est emmuré dans un silence qui ne lui ressemble pas. Lucas ayant appris que Giulia est là, il essaie de convaincre les parents de la rencontrer. Pourtant, ma mère ne rejette pas la faute sur l’Italienne, car elle a clairement entendu que je l’avais trahie, non seulement en lui mentant toute ma jeunesse, mais également en préférant l’écume de moule au lait de saucisse.

Ayant besoin d’un terrain neutre et de mesurer leur réelle envie de rencontrer Giulia, j’ai exigé que ça se fasse au restaurant du manoir. Cher à souhait, et il est évident que mon père, pourtant plus à l’aise en mode bonne franquette, a convaincu ma mère de venir.

C’est donc très bien sapés que je les vois avancer dans l’allée gravillonnée, accompagnés de mes frères et leurs compagnes. Observant à mes côtés par la vitre, vêtue de son plus bel ensemble, Giulia lâche avec un ton de prédateur :

— Que le match commence.

Une voiture passe, assombrissant la vitre et laissant apercevoir une fraction de secondes mon visage. À nouveau je le déteste, à nouveau je voudrais que tout redevienne comme avant mon agression. Mes phalanges s’accrochent à celles de Giulia pour me rappeler ce qui m’est arrivé de bien depuis. À dire vrai, hormis Giulia, je n’ai pas conservé grand-chose de positif de ma nouvelle vie. Mes plans culs éphémères avec mes belles-sœurs sont des actes isolés, tellement vides de sens dans une vie. Le close-combat n’a été qu’un moyen de garder la tête hors de l’eau, et aurait été inutile en d’autres temps. Quant au changement de travail ? En aurais-je eu envie, alors que je concluais positivement avec Mylène ? Non, finalement, le seul véritable point avantageux de tout ce parcours est ma rencontre avec Giulia. Pourvu que ce soit une histoire qui dure !

— Ça va ?

— Je devrai peut-être mettre mon masque, pour adoucir ma mère.

— Trop tard, Sexy Monster.

Le portier ouvre le hall et mes parents pénètrent. Ma mère et mes frères affichent une surprise non-dissimulable en apercevant la belle jeune femme qu’est Giulia. S’attendaient-il à une junky ? À une butch ? Mon père avec un sourire radieux et des yeux éclatants de bonheur m’étreint puis lui fait la bise :

— Je suis le papa d’Élodie.

— Je me serais douté, répond Giulia. Et vous devez être sa Maman ?

— Non, c’est moi rit Élisa.

L’Italienne ignore la blague et ajoute :

— Élodie vous admire tant !

— Vraiment ? s’étonne ma mère avec sarcasme.

— Depuis que nous nous connaissons, elle me parle de vous au moins une fois par jour. Elle craignait tant ce jour où elle devrait nous présenter. Mais je sais qu’elle tient son caractère du vôtre, donc qu’au-delà des premières appréhensions, vous savez juger…

— Pas la peine de me faire de la lèche !

Giulia est refroidit par la sécheresse de ma génitrice. Giulia passe à mes frères, en commençant intelligemment :

— Tristan, je présume. Le frère le plus rigolo ? Je ne sais pas quelque de vous deux Élodie préfère, mais elle parle souvent de toi. Lucas, enchantée. Heureusement que vous avez été là pour Élodie… tous les deux.

Tristan reste aussi bloqué que ma mère et me regarde droit dans les yeux :

— Maintenant, dis-moi. Est-ce que t’as couché avec Élisa ?

Alors que j’ai envie de pleurer et que je ne trouve aucune esquive verbale, Giulia pose un regard si noir que Tristan fait un demi-pas en arrière. Elle lui ment :

— Je n’ai pas envie de le savoir, donc tu poseras ta question un autre jour.

— Ouais, je la poserai, dit-il en gonflant le torse.

— Mais tu peux mettre un oui à quatre-vingt-dix pour cent sur ta question, aucune femme ne résiste à Élodie. — Elle sourit, passe une main dans mon dos. — Notre table est réservée, passons à des choses plus réjouissantes ! Venez Monsieur Tournier

Ma mère retient mon père par le bras et lui ordonne à voix-basse, dents serrées :

— Ne t’approche pas d’elle.

Giulia qui ne manque pas de répartie, lui dit :

— Je suis végétarienne.

— Et ?

— Et je ne toucherai pas à la saucisse de votre mari.

Mon père et mes deux frères éclatent de rire. Tout en avançant vers la salle de réception, elle ajoute :

— L’important, c’est de manger cinq fruits et légumes par jour. Et l’abricot, c’est plein de vitamines.

Le serveur cache mal son hilarité avant de nous installer. Giulia est à ma droite, assise à côte de Lucas. Élisa fait tampon entre moi et Tristan, Marion entre mon autre frère et mes parents. Ma belle Italienne, toujours dans la provocation avec son ton détaché et avenant, leur dit :

— J’ai déjà essayé par deux fois la carte. Si je peux vous conseiller, les moules de la région sont délicieuses.

Marion et Élisa baissent les yeux pour ne pas pouffer de rire. Ce genre de caractère et de jeux de mots un peu crus aurait plu à ma mère venant d’une fille hétérosexuelle. Mais là, elle reste froide, nous ignorant l’une l’autre du regard.

Le repas commence. Giulia parle surtout avec mon père, comme avec Lucas. Lucas semble enchanté, quant à mon père, il est conquis, peut-être même amoureux. Ma belle Italienne ne lâche plus aucune remarque offensante et, lorsqu’elle répond à une question, elle regarde tout le monde pour les inclure dans la conversation. Toutefois, après presqu’une heure de sagesse, lorsqu’arrive le dessert, elle revient à la charge :

— Vous devriez rencontrer mes parents, Madame Tournier. C’est une famille très catholique. Quand ils vont faire la connaissance avec Élodie, je pense qu’ils voudront organiser son meurtre. Si ça peut vous soulager, vous organisez ça entre vous, histoire de nous surprendre, de faire dans l’originalité.

Ma mère grincheuse, pense avoir le dernier mot et glisse, les épaules droites et le regard affûté :

— Pourquoi me dîtes-vous ça ? Je tiens à ma fille.

— Ah ! Ben c’est bien ! Alors c’est moi le problème ? Je ne suis pas assez bien pour elle ?

— Non ! Vous manquez de poil au menton !

— Ça ne se voit pas car je l’épile, mais j’ai de la moustache.

— Vous allez faire votre intéressante longtemps ?

— Il faut bien. Je fais la discussion à moi toute seule. On se croirait à un enterrement, pas à un repas de fiançailles.

— Parce que ça en est un ?

— Ça devrait y ressembler, vous ne trouvez pas ?

— Certainement pas.

Prenant à parti l’ensemble de la table, Giulia rebondit :

— On ne vous a pas raconté notre coup de foudre ? C’était dans un kebab, pas vraiment ce cadre-là. Mais, le coup de foudre ne prévient pas, il déclenche mille émotions, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas comment, il nous attire, nous rend heureuses. Et chacune ne désire plus qu’une chose : partager ce bonheur avec tous nos proches. L’amour, c’est la chose la plus merveilleuse sur terre, et vous êtes en train de le transformer en une mélasse gluante et nauséabonde.

Ma mère ne se laisse pas désarçonnées par la verve courtoise mais acide qui est revenue à elle :

— On ne peut pas vraiment parler d’amour, vous êtes une femme.

L’impatience de Giulia commence à se faire sentir et ses mots heurtent plus violemment :

— Oui, et vous une sorcière, sinon une harpie.

Ma mère cingle en colère :

— Vous n’êtes qu’une pute de luxe, sans aucune estime de votre corps !

— De ce point de vue, oui. Je fais gratis à votre fille, c’est un manque d’estime pour une pute. Mais je me console en me disant que je suis encore jeune, canon et bien dans ma peau, et pas grosse vieille et aigrie comme vous. J’ai l’impression de dîner avec la sorcière des mers de la Petite Sirène. — Les autres pouffent, même Tristan. — Comment une femme comme vous peut avoir un mari aussi gentil ?

Ma mère claque sa serviette sur sa table :

— J’en ai assez entendu ! Je ne suis pas venue ici pour me faire insulter !

— Ne vous mettez pas en colère, vous allez tâcher d’encre votre culotte !

Cette fois-ci, personne ne sourit car ma mère et furax. Elle seule d’ailleurs, ne comprend pas l’allusion et se retrouve incapable de répliquer. Elle se lève et mon père ordonne d’une voix tonitruante :

— Assis !

Nous sursautons tous, ma mère y compris. Elle se replace sur sa chaise, tandis que Giulia garde à raison le silence. Rarement notre père s’est énervé, mais les orages les plus rares sont aussi les plus violents. Comment rappelés à notre enfance, nous nous faisons plus petits. Il croise les mains puis prend la parole d’une voix posée et basse, comme s’il allait nous lire un conte :

— Nous avons tous traversé une période difficile ces derniers mois et, à mes yeux, celle pour laquelle ça a été le plus difficile, c’est Élodie. Malgré toute la force qu’elle a puisée en elle pour le cacher, je pense que nous avons tous vu à quel point c’était difficile et dur au quotidien. Ce qui m’importe, et ce depuis qu’Élodie est née, c’est qu’elle soit heureuse. Après ce drame, rencontrer Giulia est un soulagement. Vous semblez une personne pleine d’esprit, jolie, vous acceptez Élodie malgré ses cicatrices, et c’est finalement le meilleur dont elle puisse avoir besoin. La nouvelle, je comprends, a pu surprendre, certains d’entre nous. Maintenant, il faut laisser ses a priori de côtés, accepter la différence. Donc au nom de mes fils et moi-même, puisque je ne laisse pas le choix à Tristan, je vous souhaite la bienvenue dans la famille.

— Merci, susurre Giulia.

— Je ne promets pas le bon accueil de ma femme, mais le nôtre sera toujours exemplaire.

Cette dernière phrase s’adresse particulièrement à Tristan. Il baisse les yeux, Élisa s’énerve :

— Dis quelque chose ou je te quitte !

— Ouais, ouais… Bienvenue.

— Puisque tout le monde est contre moi, s’insigne ma mère. Vous avez gagné.

— Ce n’est pas une bataille, lui répond Giulia.

Une voix masculine pénètre brutalement notre bulle de discorde :

— Excusez-moi, y aura-t-il des cafés ?

Tout le monde approuve, puis un silence mortuaire dévore le manoir. C’est Marion qui relance une conversation lambda. Elle essaie de toucher à des points d’intérêts de ma mère, mais sans lui tirer une phrase.

Finalement, ils nous quittent. Ma mère fait la bise à Giulia, sorte de calumet de la paix crapoté en secret.

Nous les regardons repartir, et Giulia questionne ?

— On va nager ? On baise ?

— Je ne sais pas, j’ai envie de rien.

— Viens, un câlin, ça te fera du bien.

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