Nocturne 1

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Tiens, que se passe-t-il ici ? D'habitude c'est plus calme que ça.
Curieux, je gagne mon point d'observation préféré : le rebord de la cheminée. Même si elle ne fume pas, j'ai le plaisir de sentir la pierre tiède sous mes pattes. Je les replie et m'allonge sur le ventre, pour mieux garder cette douce chaleur.

Puis je relève la tête, la tourne à gauche, à droite, prends le temps d'écouter. Rien à signaler, aucun danger perceptible. Parfait.

Je reporte donc sereinement mon attention sur ce qui se passe en face de moi. Par la fenêtre éclairée, j'aperçois des va-et-viens. Certains sont calmes, d'autres plus empressés. Tiens, quelqu'un ouvre la fenêtre. Un peu de fumée sort. L'odeur désagréable me chatouille les narines et me fait éternuer. J'espère que cela ne va pas durer longtemps, sinon je vais devoir continuer mon chemin. Et je n'en ai guère envie. La fenêtre ouverte laisse passer des rires, accompagnés d'un brouhaha rehaussé de quelques voix fortes mais joyeuses. La musique qui me parvient est elle aussi entraînante, marquée de coups réguliers provenant sans doute de pas dansants. Je ferme les yeux pour mieux goûter cette bouffée de chaleur pure. Ces sentiments de joie, de bonheur et d'amour entremêlés, qui deviennent de plus en plus rares. Ils sont particulièrement intenses ce soir, et je m'en repais avec délice.
Un cri sur ma gauche, me met en alerte.
Je bondis, et me mets à courir dans la direction des hurlements qui se répètent. Surprise. Douleur. Peur. Désespoir. Que se passe-t-il ? Je saute de toits en toits, cherchant l'origine de tout ce malheur. Ca y est, j'y suis. Mais il est fou, il va la tuer !
Quelqu'un est au sol, se protégeant la tête des bras, les jambes repliées pour protéger son ventre. Un homme, les mains larges comme des battoirs, domine de toute sa taille. Il est défiguré de violence, au point que ses traits semblent avoir perdu toute humanité.
Comment intervenir ? Je regarde autour de moi. Ça se passe à un étage intermédiaire, auquel je ne peux pas accéder. Ah, une voiture vient de tourner dans la rue. Elle a des lumières bleues, de celles qui font peur aux humains, d'après ce que j'ai remarqué. Elle roule doucement, j'ai peut-être le temps... Je bondis sur le toit d'un garage, puis fonce sur une poubelle, que je renverse en prenant mon impulsion sur le couvercle. Je me détend à fond, espérant atteindre mon objectif.

Ouiiiiii, j'y suis !

Le conducteur pile, surpris par mon arrivée sur son capot. Il met ses essuie-glace en route, mais je n'en ai cure, je me contente de bondir en arrière. Voilà, je m'assieds sur le capot. La voix de femme recommence à hurler bien sûr, mais évidemment, dans leur voiture close, ces gens n'entendent rien. Il faut qu'ils sortent de là, et vite !

Alors, je me mets à miauler, en faisant mine de griffer la carrosserie.

Victoire, un est dehors ! Je saute sur le toit du véhicule et me dirige à l'autre bout. Tandis qu'il fait le tour, je ne cesse de les regarder alternativement, lui et la fenêtre allumée, seule là-haut dans la façade noire.

Lui aussi a entendu un cri. Il relève la tête, puis se penche vers son collègue par la portière ouverte. Ils discutent quelques instants. Puis, celui qui est dehors se dirige vers la porte d'entrée de l'immeuble, tandis que l'autre semble parler avec quelqu'un. Il utilise probablement un de ces appareils dont les humains ont le secret qui permet d'échanger à distance.

Satisfait, je regagne le sol d'un bond et vais voir ce que fabrique l'autre. Il est en train d'appuyer sur tout un tas de boutons, mais visiblement, ça ne sert à rien. Il soupire et semble découragé.

Tiens, qu'est-ce qui brille sous les buissons ? Oh, je crois que ça pourrait bien lui être utile, mais jamais je n'arriverai à prendre ça avec mes pattes... Alors je miaule en le regardant.

« Qu'est-ce que tu veux ? Ça t'a pas suffit de bousiller notre voiture avec tes griffes ?

- La carrosserie n'a rien, je viens de vérifier. Tiens, voilà l'autre. Il s'approche de moi, et me grattouille la tête.
J'aime beaucoup sa manière de faire et son odeur. Mais on n'a pas vraiment le temps, là, on sympathisera plus tard.

Alors, je baisse la tête. Il voit à son tour le truc qui brille.

- Tiens, des clefs, ça pourrait peut-être te servir, Gustave !

Et hop, l'objet brillant vient d'atterrir entre les mains de l'autre homme. Il parvient à déverrouiller la porte en seulement quelques secondes.

A peine est-elle entrebâillée que je cours ventre à terre dans l'escalier, le gars sympa sur mes talons. C'est au troisième étage. Ça y est-nous y sommes. La porte n'est même pas fermée, et je ne ralentis pas l'allure. Je fonce, toutes griffes dehors, vers la cheville de l'agresseur.

Sa main, qui s'apprêtait à asséner un nouveau coup, dévie vers moi, mais heureusement, le Gentil me suit toujours et l'arrête d'une parole. Je relâche la pression, préférant aller me poster près de la femme. Elle a les yeux gonflés et fermés, et sa respiration semble compliquée.

Alors, je me mets contre son dos, et je commence à ronronner, lui transmettant autant que possible toute la chaleur que j'ai emmagasinée juste avant que son calvaire ne commence. Je la sens fourragée dans mon poil. Elle y laisse quelque chose de poisseux, mais je la laisse faire. Si cela peut lui faire du bien, tant mieux.

Pendant ce temps, le Gentil a obligé l'autre à s'éloigner. Il est à présent assis sur une chaise, les mains attachées derrière le dos, sous nos regard attentifs. Il vomit des mots dont je ne comprends pas le sens, mais cela m'indiffère. Tant qu'il ne peut pas davantage nuire physiquement à sa victime... Je me concentre sur elle. Mais cela ne peut durer que quelques minutes, pendant lesquelles elle discute avec le Gentil. Sa parole est hachée, mais son ton est bien présent. Cela me rassure.

Des bruits de pas montent l'escalier en toute hâte. Voilà l'autre occupant de la voiture, et il n'est pas seul. Deux hommes arrivent, portant une sorte de drap. Ils me repoussent. Je m'assieds un peu plus loin, les regardant ausculter la femme. Puis je redescends, comprenant que tous vont partir, et n'ayant aucune envie de me retrouver enfermé dans ce sinistre endroit.

Quelques minutes plus tard, ils me rejoignent dehors. La femme, allongée sur le drap, est mise dans une grande voiture blanche.

Le Violent est contraint de monter dans la voiture que j'ai stoppée tout à l'heure, accompagné de l'autre.

Gentil, lui, tient un petit humain dans ses bras. Il ressemble à la femme. Alors, je décide de l'accompagner, pour voir ce qu'on en fait. Gentil le dépose dans les bras de son collègue, puis il s'installe dans la voiture. Zut, je ne vais pas pouvoir les suivre.

Je remonte donc sur les toits, le plus vite et le plus haut possible, pour voir où ils vont.

Il roulent quelques minutes, puis s'arrêtent et rentrent, quelques bâtiments plus loin.

Je vais voir de plus près. Mais bien évidemment, je ne peux pas aller à l'intérieur.
Alors, je m'assied près de la porte, décidé à attendre.

Comme le soleil se lève, le Gentil sort. Il semble surpris de me voir, mais m'invite d'un geste à l'accompagner. Alors, je le fais. J'ai le ventre qui gargouille, et une grosse envie de câlins. Sans compter que j'apprécierai un petit somme au chaud.

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