Chapitre 2

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« Des tas de gens sont morts par ma faute, sûrement trop. »

C’étaient là les premiers mots de l’histoire de Jeanne. D’ailleurs, elle n’était plus Jeanne, mais Rose, une mystérieuse femme, grande et musclée.

Jeanne, elle, était restée affalée sur son canapé ; le regard aspiré par l’image et une goutte de salive ruisselante sur sa lèvre basse. Quant à Rose, elle avait dit ces mots à un barman, dans un bar miteux, perdu en plein milieu d’un désert inconnu.

En ce moment, Rose reprenait la route désertique sur sa moto noir mat — qui vrombissait excessivement à chacun de ces coups d’accélérateur —, laissant derrière elle l’ombre du bar qui se faisait engloutir dans l’horizon vaporeux. Une veste en cuir et de longs cheveux blonds bouclés au vent, Rose se dirigeait vers la ville qui l’attendait là-bas, loin, après le désert.

Jeanne, elle, était enfouie dans son pyjama, toujours assis sur son fauteuil, les paupières presque closes. Les minuscules ventouses, qui parsemaient son front ruisselant de sueur, lui faisaient parvenir de douces impulsions électriques. Son cerveau était en pleine stimulation. Son corps lui aussi était actuellement bombardé de légères décharges ciblées qui lui faisaient ressentir les vrombissements de la moto, le vent qui frappait sur ses bras ou même le battement cardiaque factice de Rose.

Plus tard, Rose était enfin arrivée à sa destination. Sur le toit d’un haut immeuble. Elle devait protéger un riche chef de la mafia pendant une transaction. Travail bénin en somme. Rose se grattait le genou avec le canon de son fusil d’assaut SCAR-H. Elle passait le temps en regardant le vide par-dessus les rambardes de sécurité.

Jeanne fut prise de vertige. Jusqu’à ce qu’une détonation la tire de sa léthargie mentale.

Une fusillade venait d’éclater.

Un bidon d’essence explosa non loin de Rose. Elle courut puis s’accroupit en vitesse derrière une bouche d’aération. Son fusil était tombé plus loin. Tant pis, elle avait son meilleur ami caché près de sa ceinture. Elle tirait à l’aveugle en passant le bras au-dessus de sa tête. Le recul de son .50 GS était si puissant qu'elle avait la sensation de se luxer l’épaule à chaque fois qu'elle pressait la détente.

Jeanne, haletante d’excitation, ressentait son bras la chatouiller agréablement.

Quelques secondes plus tard, une seconde explosion survint. Rose fut éjectée du toit et propulsée dans le vide ; elle attrapa au dernier moment un rebord à peine assez grand pour y glisser ses doigts.

Jeanne fut prise d’une intense émotion ; ses poils de bras se hérissèrent comme s’ils voulaient s’échapper de sa peau. Rose, de son côté, gardait son calme, un hélicoptère devait venir la chercher…

Un réveil sonna. Mais ce n’était pas dans la vie de Rose. Malheureusement.

Jeanne fut contrainte de sortir de sa séance d’Hypnos journalière. Elle retira avec animosité son équipement et les câbles déroulés revinrent automatiquement à leur place initiale, sous l’accoudoir de gauche. Lasse et frustrée, elle se tourna vers l’origine du bruit qui l’avait injustement tiré de son agréable séance d’Hypnos, un moment sacré. Minuit. Le réveil de Jeanne venait de sonner minuit, demain elle devait se lever à huit heures et il lui fallait huit heures de sommeil pour assumer une journée complète. C’était l’hygiène de vie qui allait avec sa routine. L’hygiène de vie conseillée par le Gouvernement Mondial. Tout le monde ici, s’accrochait à la même routine. Elle fut tentée de reprendre le cours de son épisode, mais décida de laisser ses rêves prendre le relais. C’était souvent moins bien et peu mémorable, mais une pilule devrait égayer tout ça. C’est ce que Jeanne se disait chaque soir, sans trop d’espoir.

Les paupières closes et le visage empourpré après avoir englouti la pilule d’avant sommeil, elle s’enroula dans ses draps ; une jambe dehors, une jambe dedans ; partie pour des songes que la pilule ne lui laissera pas l’occasion de se souvenir.

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