Chapitre 9

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En rentrant chez moi, je découvris Clara affalée dans le canapé. Elle était en train de lire un petit carnet. Cela ressemblait à un journal, du genre celui où l’on note ce qui nous passe par la tête. Et puis je me souvins de ce que m’avait dit Phillipe un peu plus tôt, après m’avoir donné de l’élixir rouge. J’avais été sous l’emprise de cette amnésie dissociative depuis une durée indéfinie. Je n’avais quasiment aucun moyen de me rendre compte depuis combien de temps j’avais pu errer dans cette réalité distordue, mêlée d’hallucinations et de paranoïa. C’était un réel problème car le plan original que j’avais échafaudé avait pu se trouver fragilisé par cette “absence”. Mais il était une chose dont j’étais certain, c’est que l’arrêt de mon traitement avait été initié par Clara, elle qui pensait que j’étais un toxico et que j’avais besoin de me droguer tout le temps. J’ignore toujours pour quelle raison j’ai pu lui cacher ma maladie et le besoin que j’avais de prendre les sels... Peut-être que j’avais eu peur de la perdre à ce moment-là et que sans doute, ma curieuse condition l’aurait effrayée. De toutes façons il était trop tard pour revenir en arrière et il me fallait désormais jouer finement pour ne pas me trahir, ni dévoiler les détails de l’opération. Je ne pouvais pas me permettre d’aborder le sujet de façon radicale, et aussi il fallait à tout prix que je sache ce qu’il s’était passé ces derniers temps. Clara me jeta un rapide coup d’oeil:

« Franchement en relisant ton journal je n’arrive vraiment pas à comprendre tout ce bordel !

— Oui c’est incroyable, fis-je un peu gêné. Je devrais relire tout ça pour essayer de faire une synthèse. J’ai l’esprit un peu embrumé en ce moment. »

Clara me tendit le petit carnet. J’y avais inscrit, jour après jour, ce que j’avais vécu. C’était un témoignage direct de mes visions, lorsque j’étais dans cet état second. Car cet état ne laisse pas de trace dans la mémoire, d’où le terme amnésie dissociative. Lors d’une crise, des phénomènes variés se produisent. Ils touchent les sens, comme une vision altérée de la réalité, des perceptions auditives parasites, des hallucinations olfactives. C’est un peu comme un état de sommeil paradoxal finalement mais dont on aurait le contrôle partiel. Des hallucinations tellement réalistes qu’elles semblent vraies, un peu comme celles provoquées par le datura.

La première entrée de l’agenda indiquait la date du 24 septembre, cela faisait donc au moins une semaine que j’avais perdu le sens de la réalité. Au gré des informations inscrites dans le carnet, j’arrivais à traduire certains éléments en faits réels, et retrouver ainsi la trace du plan que j'avais établi avec Tarol, mon assistant, mon bras droit, mon complice du vice mais je reviendrai sur ce personnage plus tard. J’essayais donc de recoller les morceaux, et ma jolie voisine allait m’être d’une aide précieuse.

« Clara, j’ai trouvé une bonne bouteille. J’aimerais en profiter pour que tu me racontes ta version, même si évidemment tu n’as pas vécu tout ce que moi j’ai pu subir. Mais je voudrais juste avoir ton sentiment sur ce que toi tu as pu constater. En fait je me dis que de voir la situation d’un point de vue différent pourrait faire remonter des informations, ou peut-être nous permettra de découvrir des détails passés inaperçus...

— Ok alors en gros moi je n’ai pas vécu ta nuit bizarre là, celle où t’as vu une femme sur la piste cyclable, enfin cette histoire d’enlèvement. Moi ça a commencé le lendemain en fait, j’ai trouvé chez moi une lettre qui était destinée à toi. Y’avait une photo dedans et des instructions comme quoi je devais te la remettre si je voulais que tu survives en gros. C’était juste dingue ! »

Elle venait de reconstituer un pan entier de mémoire que j’avais perdu, et je venais de comprendre que Talos avait fait du bon boulot. Je l’avais prévenu que si pour une raison quelconque je devais me retrouver en position de fragilité, comme dans le cas où je serais en incapacité de me traiter aux sels, il avait carte blanche pour intervenir de façon discrète et efficace. Il avait donc remarqué à un certain moment que j’avais sombré dans le côté sombre de la maladie, et il était intervenu en posant le courrier chez Clara. C’était judicieux et suffisamment indirect pour ne pas qu’on puisse me relier à lui. L’étudiante se resservit un verre de vin et continua:

« Ce courrier que j’ai reçu et qui t’était destiné, dedans il y a avait une photo un peu floue d’un sorte de porte de pierre, on a su par la suite, grâce à une copine que ça venait d’un cimetière à Paris. » Elle me tendit l’image et je reconnus immédiatement le point de rencontre qu’on utilisait avec mon comparse. C’était discret et calme, on pouvait y échanger sans crainte d’être écoutés ou observé. La discrétion des cimetières a toujours été légendaire. Et puis les morts ne parlent pas ! Au dos de la photo il y avait un texte manuscrit.

« C’est la transcription des instructions que tu as reçu par téléphone, comme t’avais l’ampli je l’ai écrit moi-même, c’est ce que l’inconnu nous a dit de faire en tout cas.

— Oui je me souviens très bien, fis-je en faisant semblant de m’en rappeler.

— Je crois que c’est à ce moment que ça a vraiment commencé à partir en vrille ! »

Evidemment, je me devais de mimer la surprise et l’incompréhension, car bien entendu, ce texte avait parfaitement du sens maintenant que j’étais à nouveau moi-même. Je ne pouvais pas l’expliquer encore à la jeune femme, j’aurais pris trop de risques à ce moment-là. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser que pour elle ça devait être un sacré sac de nœuds. Au fil de la soirée nous continuions d’échanger sur les faits les plus curieux, comme la corne miraculeuse ou la vieille femme qui n’étaient rien d’autre qu’une hallucination. J’avais dû aller en ville avec ce vieux trophée qui trainait chez moi, un héritage de mon grand-père qui chassait. Et les hallucinations s’étaient alors brodées autour. Quant à l’épisode de la main tranchée dans le lavabo, je restais perplexe. Clara l’avait vue aussi bien que moi, donc ce n’était pas une hallucination, et n’ayant aucun souvenir clair de ce moment, il fallait que je creuse.

« Et cette main tranchée ? C’est atroce, je sais plus où je l’ai mise d’ailleurs.

— Tu l’as mis au congélo ! C’est vraiment crado, et d’ailleurs promet moi de ne jamais me demander si je veux une glace quand je suis chez toi ! Jamais !

— Ah oui au congélateur, mais bien sûr pour la conserver ! »

Voilà qui était fait ! En allant dans la cuisine, je demandai d’un ton amusé à Clara si elle voulait une glace. C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour la tenir éloignée. Bien entendu elle refusa en me lançant le premier objet qui lui tomba sous la main : une paire de chaussettes.

J’étais en train de fouiller le congélateur et Clara regardait la télé en m’attendant, je l’entendais de loin rabâcher que j’étais vraiment immonde. Je ne mis pas très longtemps à retrouver le membre sectionné, coincé entre les haricots verts et les frites. Je fus écœuré sur l’instant mais bien vite je compris que ce n’était qu’un leurre. En effet il s’agissait, bien que parfaitement imitée, d’une simple main en caoutchouc. Un objet de farce et attrape, mais d’une qualité remarquable. Encore un coup de Tarol songeai-je. Je sortis délicatement l’objet du sachet où je l’avais disposé quelques jours plus tôt, il était glacial. Bonne nouvelle, la lettre H figurait bien sur l’index. A l’intérieur il y avait une petite boîte en métal, que je me mis à extraire de l’intérieur de la main. J’étais toujours seul dans la pièce. La petite boîte contenait de l’élixir rouge, assez pour tenir une bonne semaine. Je compris donc que Tarol lui-même avait élaboré ce plan pour me faire parvenir, discrètement s’il en est, un peu de remède. Il devait être assez en panique pour employer de tels moyens, mais je lui étais redevable, il avait essayé coûte que coûte de m’extirper d’une situation hautement hasardeuse. J’étais aujourd’hui à nouveau sur pieds et je me fis la promesse de ne plus jamais arrêter mon traitement. Demain j’irais voir le docteur Karl pour régler une fois pour toute ce problème.

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