Chapitre 10

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Tout semblait donc rentrer dans l’ordre, et Clara, inconsciemment m’avait apporté suffisamment d’indications pour que je puisse remonter le fil de l’histoire. On peut dire que j’avais réussi à rattraper le coup d’une façon assez satisfaisante : premièrement j’avais réussi à ne pas trahir mon problème d’amnésie, et deuxièmement j’avais à nouveau un beau jeu de cartes en main pour remettre le pied à l’étrier et continuer le plan. Clara me tendit alors un paquet d’enveloppes :

« Ah et on en fait quoi de ces lettres-là ?

— Euh, quelles lettres ? Soudain je sentis que je trahissais ma mémoire.

— Ben les lettres avec les signes astrologiques !

— Ah, oui les lettres, je ne sais pas montre, on va voir ça ! »

L’étudiante paraissait troublée, elle sentait bien qu’il y avait un problème dans ma façon de réagir, et comme je n’avais aucun souvenir de ce courrier, j’avais bien du mal à agir de façon réaliste. Je devais recadrer le tir, sinon je risquais d’être démasqué en tant qu’imposteur.

« Ah oui les douze enveloppes ! Fis-je comme si c’était évident. Eh bien nous allons les conserver bien au chaud et les ouvrir !

— Une par mois, à mon avis c’est pour ça qu’il y a des symboles du zodiaque dessus ! »

Immédiatement, en évoquant les signes astrologiques, un éclair de mémoire parcourut mon hippocampe, qui par le biais d’échanges d’ions potassium instilla un signal nerveux, signal interprété par mon cortex et finalement décodé en tant que souvenir. J’avais déjà eu ce genre de réminiscences par le passé. Mon amnésie avait parfois été perméable, surtout quand elle était en lien avec des faits du passé, comme une vitre opaque qui ne masque pas totalement le paysage qui se trouve derrière, certains pans de mémoire parvenaient jusqu’au présent, filtrant péniblement à travers le voile amnésique. Et ce souvenir précis, c’était celui de rédiger ces douze lettres et de me les envoyer. L’idée était de leurrer Clara, de faire comme si j’étais victime d’une sorte de maître chanteur, ou d’un complot dont je peinais à comprendre les tenants et les aboutissants.

A partir de maintenant je reprenais le contrôle de la situation, et il fallait que je fasse deux rencontres au plus vite : le docteur Karl et Tarol. Pour le premier c’était facile, et j’avais toujours en mémoire son adresse. Quant à Tarol, je n’avais aucune idée du lieu où il pouvait se trouver. Peut-être qu’en relisant mon journal, en cherchant des indices dans des détails, je retrouverais sa trace. Je commençai par contacter le docteur, qui me donna rendez-vous pour le lendemain. Rien ne pressait et de toutes façons, j’avais une petite réserve d’élixir que j’avais trouvé dans la main factice. J’étais soulagé d’avoir réglé ce premier problème mais il fallait maintenant que je m’attèle au second : retrouver mon ami secret. En relisant le journal, rien ne transparaissait, si ce n’est le témoignage de ma folie passagère. Je m’attardai en revanche plus longuement sur la première lettre qui portait le signe de la balance. Elle renvoyait à un lieu, le cimetière du père Lachaise à Paris. En dessous des coordonnées géographiques figurait une inscription arabe, dont Clara avait transcrit la prononciation : « Al Ghul ». En faisant quelques recherches sur internet, je découvris que ce mot signifiait « esprit qui mange le corps » et qu’il avait donné en français les mots alcool et goule. C’était donc évident, je devais retrouver Tarol au cimetière, en un lieu précis. Le rapport avec l’alcool n’était cependant pas très clair, peut-être devais-je apporter un truc à boire ? J’avais donc un lieu mais je restais toujours en quête d’une heure et d’une date. Tarol m’avait-il déjà laissé cet indice ou attendait-il que je sois sorti de ma crise pour me communiquer l’essentiel. Il était déjà très tard et Clara avait fini par s’endormir une fois de plus dans le canapé. J’avais envie de la rejoindre, mais je devais réfréner cette pulsion pour le moment. Il était encore trop tôt pour entreprendre de la séduire un peu plus. J’éteignis les lumières du salon et m’isolai dans la salle de bain prendre une douche. C’est à ce moment que mon téléphone vibra. Un simple message d’un contact inconnu qui disait : « demain, 10 heures ! ». Tarol avait donc pris le risque énorme de me contacter d’une façon plutôt directe. Il avait tout de même attendu qu’il soit plus de trois heures du matin pour me l’envoyer, il se doutait que Clara ne le verrait pas à ce moment-là. Voilà donc que le second problème venait de se régler le plus simplement possible. Je pris ma douche, me brossai les dents et parti me coucher, finalement apaisé. Demain serait une longue journée.

Mon réveil m’extirpa d’un rêve absurde, il était un peu plus de huit heures. Je n’avais pas assez dormi, mais une douce odeur de café me chatouillait le nez. Ma colocataire de fortune était déjà levée et avait fait couler le précieux breuvage. Je me levai péniblement de mon lit chaud pour rejoindre la salle de bains et me débarbouiller sommairement le visage et me rafraîchir les idées. C’était mon rituel du réveil : un grand coup d’eau fraîche sur le visage pour me stimuler. Clara avait été chercher du pain à la boulangerie et elle lisait le journal en prenant son petit-déjeuner.

« Salut, baragouina-t-elle en mâchant sa tartine !

— Bien dormi ? Ce foutu canapé n’a jamais autant servi que ces derniers jours, j’aurais dû investir dans un convertible ! Enfin bon si tu te sens bien dessus !

— Ouais ça va mais de toutes façons j’ai pas l’intention d’y passer toutes mes nuits hein !

— C’est vrai que mon lit est grand, il y a de la place pour deux, répondis-je en faisant un clin d’œil.

— Hahaha dans tes rêves mon pote ! »

Mon talent de dragueur s’arrêtait à la première étape : comment parler à une fille. Je n’avais jamais été très doué, et visiblement la maturité m’avait apporté tout un tas de talent, sauf celui de la séduction ! De toutes façons une liaison aurait été à ce moment-là une distraction dont je n’aurais pas pu supporter l’investissement nécessaire. J’avais bien envie d’elle, mais j’avais des choses à réaliser avant cela. Et c’était plus important que tout. Je pris un rapide petit déjeuner, quelques tartines et du café, puis filai m’habiller. Il me restait une heure pour aller à mon rendez-vous. Je prétextai aller faire quelques courses, sans autres précisions. Je lançai à l’étudiante un double des clefs de mon appartement :

« Si tu bouges, penses à fermer la porte derrière toi ! J’ai quelques courses à faire, je reviens en fin d’après-midi.

— De toutes façons faut que j’aille en cours, j’ai un partiel bientôt. Au travail ! »

Je descendis prendre le métro pour aller au cimetière. J’achetai une bière au passage chez un petit vendeur à la station car après tout le message dans la lettre mentionnait le mon alcool ! Les coordonnées du message indiquaient un endroit assez précis, un tombeau qui se trouvait dans la partie ouest du père Lachaise. En arrivant devant le portail principal du cimetière, une autre réminiscence parcourut mon esprit. Je connaissais bien ce lieu et j’avais le sentiment d’y avoir passé énormément de temps et instinctivement mes pas me dirigeaient vers le point de rencontre. Je n’avais pas besoin de plan, ni de repères. Je reconnaissais parfaitement les lieux de passage, les allées, et les stèles mortuaires. Là, la tombe d’Oscar Wilde, couverte de baisers. Un peu plus loin celle de Molière, trônant comme posée sur des pilotis. Les lieux étaient très calmes en ce mercredi matin, et on croisait que très rarement des badauds qui cherchaient la sépulture de Jim Morrison ou celle d’Yves Montand. Parfois un jardinier avec sa camionnette tonitruante, secouée par les pavés venait perturber le calme des lieux. Au bout de l’allée qui montait, alors que je m’approchais de mon lieu de rendez-vous, une silhouette sombre apparut, elle m’était étrangement familière. C’était un homme vêtu d’un long manteau en laine noire portant un chapeau et qui faisait les cent pas, paisiblement. Il se tourna dans ma direction et, en me voyant, il vint à moi d’un pas assuré. Tarol était à l’heure et son visage familier acheva de me réconcilier avec le passé :

« Edouard, enfin ! Quel plaisir de te retrouver, tu m’as fait peur tu sais. J’ai cru que tu resterais une éternité dans ta foutue amnésie. Je savais plus quoi faire pour que tu réagisses ! J’ai pris des risques et ton étudiante aurait très bien pu repérer quelque chose. Promet moi de ne plus jamais retomber !

— Dimitar ! Tu n’imagines même pas ce que j’ai vécu de mon côté. C’était la merde mais j’ai réussi hier soir à détricoter tout l’affaire… Je reviens de loin tu sais. Il va me falloir un peu de temps pour reprendre mes esprits. Tiens, au fait j’ai ramené une bonne bière, comme tu me l’avais demandé !

— Hahaha, je vois que tu n’as pas oublié. Et quel breuvage ! De la super qualité, ironisa Tarol.

— Ecoute j’ai fait comme j’ai pu j’ai chopé ça dans le métro, y’avait pas grand choix, on ira à la Fine Mousse boire quelque chose de décent, mais en attendant trinquons à nos retrouvailles ! »

Nous nous sentions un peu coupables de boire une bière comme de vieux alcooliques dans un cimetière, mais le moment était trop beau pour ne pas fêter ces retrouvailles. Je venais de naître une seconde fois, et plus que jamais j’avais envie de continuer la grande aventure dans laquelle nous nous étions lancés avec mon ami. Dimitar Tarol était d’origine bulgare et je le connaissais depuis une dizaine d’année maintenant. Le destin nous avait lié d’une façon tout à fait fortuite. Nous avions eu un accident de la route, mais au lieu de nous éloigner, le temps avait fait de cet incident une formidable manière de construire une amitié forte et durable. Nous nous faisions tellement confiance que nous avions mis au point une formidable opération, qui, si elle parvenait à son dénouement, allait changer radicalement la face du monde. La première étape du projet Phénix était simple : nous allions capturer le Président de la République.

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