Chapitre 8

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J’avais préparé une bonne plâtrée de spaghettis qui nous avaient contentés parfaitement. Etrangement je ne me sentais pas forcément mal à l’aise ou en stress, malgré une situation étrange dont la tension aurait pu faire défaillir bon nombre d’individus. De la façon la plus singulière je commençais à m’habituer à cette nouvelle existence et oserais-je dire que petit à petit je prenais un certain plaisir à vivre cette espèce d’enquête qui s’était imposée à moi. Chaque jour qui passait, mon esprit évoluait, ma volonté se renforçait. J’avais l’impression de changer, de devenir quelqu’un d’autre. Mon esprit divaguait quand une petite sonnerie retentit sur mon téléphone et me fis retomber sur terre. C’était une alarme que j’avais programmé pour me rappeler d’aller déposer la pellicule chez Polyx, le labo dont le nom m’avait été révélé par, disons une corne, aussi étrange que cela puisse paraître à dire. D’après ce que j’avais pu voir, le labo se situait à l’opposé de la ville, ce qui représentait une bonne heure de marche, je décidai donc d’y aller en métro. Clara n’était pas motivée pour sortir, et de toutes façons elle avait des cours à réviser. Je lui fis comprendre qu’elle pouvait rester là, ou même monter chez elle, histoire de vérifier que son appartement ne sentait pas trop le renfermé, vu le temps qu’elle passait chez moi ! Elle me lança un regard courtois et fâché. J’aimais la voir comme ça, mais mon cerveau n’était pas du tout disponible pour flirter et j’avais l’esprit bien trop occupé par la résolution de cette mystérieuse affaire.

Au bout d’une dizaine de stations, et avec un changement, je parvins enfin à destination. Il me fallait encore marcher cinq minutes pour parvenir au magasin, qui se trouvait dans une petite impasse. Le quartier était populaire, de grands immeubles en béton, issus des vastes programmes d’urbanisation d’après-guerre jonchaient la rue aux trottoirs mal entretenus. Des enfants criaient dans la rue, des vieilles femmes bavardaient sur les porches une besace à la main. Un vieil homme à l’échine courbée descendait la rue, avec sa casquette de marin et sa gitane maïs au coin des lèvres, il allait sûrement au PMU, dépenser sa maigre retraite. Je trouvais subitement cela étrange de localiser un laboratoire de photographie argentique dans un tel lieu, loin du centre-ville. Peut-être était-ce une très vieille enseigne, réputée qui était installée ici depuis des lustres. En haut de la pente, l’impasse filait à gauche, elle montait à flanc de colline jusqu’à une espèce mur de soutien qui fermait la ruelle. Bien au-dessus trônait une butte dont le sommet était coiffé d’un château d’eau monumental qui avait donné son nom à la petite voie. Je cherchais à présent le numéro 15. Etrangement, je ne vis aucune enseigne, ni panneau pour repérer le magasin. La seule chose que je pus découvrir était une sonnette, où le nom “Polyx” avait été inscrit. Il s’agissait d’ailleurs du seul nom présent sur l’immeuble. J’appuyai sur le petit bouton et une tonalité se fit entendre sur l’interphone, puis quelqu’un décrocha :

« Bonjour monsieur Rosat, je vous ouvre. Le labo est au fond de la cour, à droite. A tout de suite ! »

La gâche électrique de la porte ronronna, j’ouvris la grande porte vitrée. Je ne cherchais pas une seule seconde à comprendre pourquoi mon interlocuteur connaissait mon nom. Je dois dire que les choses me surprenaient de moins en moins. La petite cour intérieure était simplement décorée. Il y avait de jolis petits pavés au sol, et de la glycine qui habillait les façades. En haut, on apercevait le ciel, bleu et lumineux en ce début d’automne qui sentait l’été indien. Quelques hirondelles déchiraient l’uniformité de l’azur, dans un piaillement caractéristique. A ma droite, il y avait une porte vitrée où était inscrit Polyx, c’était donc là que se trouvait le mystérieux laboratoire. Un homme très élégant, vêtu façon fin XIXe siècle ouvrit la porte. Il portait une moustache fine et travaillée, un costume trois pièces anthracite et une paire de chaussures en cuir marron. J’avais l’impression d’être dans une bulle temporelle. En passant la porte pour rentrer dans cette cour, j’avais comme franchi un portail magique vers une autre époque mais pourtant mon téléphone me ramena à la raison, nous étions bien en 2015! Le curieux personnage me fit signe d’approcher :

« Bonjour Edouard, comment allez-vous en cette magnifique journée ?

— Euh, bonjour, je suis désolé, mais je n’ai pas souvenir de vous avoir déjà vu ou parlé. Ma mémoire me trahit rarement. Et comment connaissez-vous mon nom, comment saviez-vous que c’était moi à l’interphone ? L’homme s’amusa de ma question.

— Calmez-vous je vous en prie ! Il n’y a pas de mystères voyez-vous, je vais tout vous expliquer, mais prenez la peine d’entrer ! »

La boutique, enfin plutôt le laboratoire, était parfaitement entretenu. Il y avait un bureau, une énorme bibliothèque, des classeurs, des armoires. Beaucoup de boiseries, une moquette épaisse d’un joli bordeau sombre. Je fus invité à m’assoir au bureau. De ce que j’avais pu voir, les machines ne se situaient pas dans la pièce. Peut-être qu’une arrière-salle servait à entreposer le matériel technique. Il y avait d’ailleurs une porte avec l’inscription “labo” derrière le bureau. Mon hôte s’installa dans un fauteuil en cuir derrière un bureau de style napoléonien, je m’assis en face de lui. Il se servit un verre de whisky, un très bon single malt écossais, et me proposa de trinquer avec lui ce que j’acceptai volontiers.
« Voyez-vous Edouard, il existe dans ce monde deux catégories d’individus. Les gens de goût, dont nous faisons partie, et les rustres, qui grouillent, partout. Nous sommes une sorte d’élite, et nous savons nous reconnaître entre nous. »

Je fis un bref signe de la tête, ne sachant pas vraiment quoi penser d’une telle assertion.
« Vous avez toujours douté de votre appartenance, et vos épisodes d’amnésie n’améliorent aucunement la situation. Pour preuve vous m’affirmez aujourd’hui, dans une sorte de panique réflexe, que vous ne me connaissez-pas. Je puis vous dire très cher, que vous n’êtes pas en grande forme aujourd’hui. »

L’homme ouvrit un tiroir de son bureau et en sortit une petite boite émaillée. Il l’ouvrit délicatement, à l’intérieur se trouvaient de petits cristaux rouges fins comme du sel.

« Edouard, voilà de quoi vous faire revenir à la réalité ! Prenez donc un peu de ces sels, ça améliorera votre concentration et vous retrouverez peut-être un peu de lucidité !

— Pardonnez-moi monsieur, mais tout d’abord il se trouve que j’arrive dans un lieu étrange, votre laboratoire en l’occurrence, dont le nom m’a été indiqué par un phénomène absurde et incompréhensible. Ensuite vous me saluez et me déclarez que vous me connaissez, pour enfin m’inviter à consommer un produit dont je ne connais absolument pas la composition. Et je devrais vous faire confiance et trouver la situation normale ? »

Mon oreille se mit à siffler et mon téléphone à vibrer. Un message d’un contact inconnu s’afficha sur l’écran : “Fais lui confiance, rappelle-toi, tu ne peux pas mourir. Pas encore !” Je me doutais de l’identité de son auteur, et non sans hésitation, je pris une pincée de sel que je mis à diluer dans le whisky. Pourquoi avais-je fait ça ? Je n’en n’avais aucune idée, mais ce geste me sembla soudainement familier, comme si je l’avais pratiqué des milliers de fois... Nous levâmes nos verres, puis trinquâmes. Je bus le verre cul sec et mon regard se voilà immédiatement. Mes paupières se refermèrent et je fus pris d’un puissant vertige. Des flashs lumineux stroboscopiques activaient frénétiquement mon nerf optique, c’était comme une migraine ophtalmique, mais en bien plus puissante. Et puis d’un coup tous les symptômes disparurent, et je savais exactement où je me trouvais et avec qui. En quelques secondes, j’avais retrouvé une mémoire que je n’avais jamais eu conscience d’avoir possédé un jour. En un mot j’étais amnésique et je venais de m’en apercevoir à cet instant même. Le nom de mon interlocuteur percuta mon esprit :

« Phillipe ! Hurlai-je

— Ah c’est toujours aussi merveilleux de vous voir sortir de la torpeur Edouard. Je nous ressers deux verres pour fêter ça ! »

L’enthousiasme de monsieur Polyx était notable, et son visage se décrispa un peu plus.
« Il faudra que vous retourniez voir le docteur Karl, je n’ai plus trop de sel et il semblerait que vous n’en n’ayez pas pris depuis un moment. Il faudrait être sûr d’ailleurs, d’en consommer régulièrement, afin d’éviter qu’une telle amnésie vous frappe à nouveau. Vous avez pris beaucoup de risques ces derniers temps, et cela a failli mettre en péril notre opération.
— Oui je sais, j’ai traversé une grosse période de vide, et puis je suis tombé amoureux de ma voisine, la petite étudiante. C’est elle qui m’a incité à arrêter le traitement. La pauvre, elle s’imagine que l’élixir rouge est une drogue. Je devrais peut-être lui exposer la situation.

— A vous de voir Edouard, mais n’en dites pas trop, elle ne vous connait pas assez pour avoir pu se rendre contre de votre épisode amnésique récent. Vous avez certainement dû l’impliquer dans l’affaire d’ailleurs, mais je ne sais pas vraiment de quelle manière.

— Je pense que j’ai dû m’imaginer suivre une enquête, mais que je n’ai pas dû comprendre tous les détails. Aussi curieux que cela puisse paraître, je ne garde aucun souvenir de mes épisodes... J’espère que je trouverai un moyen de savoir ce qu’il s’est passé ces derniers jours. J’ai vraiment perdu les pédales, je ne sais pas ce qu’il m’est passé par la tête pour arrêter l’élixir. Tout ça par amour, un tel aveuglement, je n’en suis pas fier Phillipe. »

La réalité avait repris sa place dans mon esprit. Je me sentais propre et limpide, je devais juste éclaircir la situation, rentrer et parler à Clara. J’avais des choses à régler une fois pour toute, et devais prendre rendez-vous d’urgence chez le docteur, car j’étais à court de traitement. Je sortis la pellicule de ma poche et la déposai sur le bureau du photographe.

« Pas de vagues, vous savez ces photos ne doivent pas fuiter. Chaque chose en son temps. Dès que ce sera développé je viendrai les chercher, et pour la première photo, j’aimerais un agrandissement. Que la partie commence ! »

Mon enthousiasme débordant était la clef du succès. Je n’avais jusqu’à présent jamais échoué, et je savais qu’il fallait s’entourer de personnes compétentes et fiables. Que les trous creusés dans les champs avaient été nombreux, et que les parasites croupissaient à six pieds sous terre. Il fallait inspirer la crainte et le respect, sans quoi d’autres prétendants prenaient un peu trop d’aisance et de confiance. Il fallait mater toute volonté de s’imposer dans le jeu. Je contrôlais les règles pour m’assurer d’une victoire constante. Je sortis mon téléphone pour appeler Clara :

« Salut c’est moi, j’arrive d’ici une heure. Besoin d’un truc en particulier ? La soirée va être fantastique, on a pas mal de choses à se dire !

— Ramène du pinard dans ce cas, et du rouge !

— Parfait à très vite »

Je raccrochai, et ne pus retenir un léger rictus. J’étais de retour, et la ville pouvait frémir !

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