Chapitre 6

7 minutes de lecture

- 28 septembre –

Journée difficile. Découverte d’une “main” dans mon lavabo. J’ai reçu peu de temps après cette découverte deux messages sur mon téléphone. Gorge Profonde en est l’auteur, il m’a envoyé une photo de la victime nommée Mark. C’est son index que je devrai apporter d’ici un an au lieu désigné sur la photo. D’après une copine de Clara, ce lieu se trouve au cimetière du père Lachaise, à Paris. Demain j’irai chercher les photos au labo.

Ces quelques lignes que je venais d’écrire dans mon journal me rappelaient avec dégoût ma journée d’hier. Une sale journée, un mélange de gueule de bois et d’horreur. Cette matinée me paraissait étrange, la lumière du soleil illuminait mon appartement. Je pouvais sentir les rayons solaires filtrer à travers les vitres qui me réchauffaient le visage, ça me faisait du bien, physiquement et moralement. Clara avait dormi à nouveau dans l’appartement, elle allait finir par s’installer définitivement chez moi à ce rythme. Quelle situation étrange ! Je ne savais vraiment pas à quoi m’en tenir avec elle. D’un côté elle me séduisait de plus en plus, mais d’un autre la situation actuelle ne permettait pas à nos sentiments de s’exprimer clairement. Nos cerveaux étaient comme moulinés par une situation complexe, sordide et inextricable. Je regardais ma montre, il était déjà neuf heures passées, le labo ouvrait à dix heures. Il était temps d’aller récupérer les résultats de mon intrigante découverte. Je me dirigeai vers la salle de bain quand soudain un flash visuel m’arrêta net. Je repensai à cette main, tout ce sang dans le lavabo, et ce ne fut qu’au prix d’un énorme effort que je parvins à pénétrer dans la petite pièce. Je me passai le visage sous l’eau et m’habillai rapidement. Clara dormait encore sur le sofa. Je lui posai un message sur la table basse juste à côté de ses lunettes : “Je file au labo chercher les photos, je ramène des croissants, bisous”. La rue était agitée ce matin, il y avait un trafic dense, les voitures klaxonnaient, les scooters doublaient à toute vitesse, s’engouffrant dans la file discontinue d’automobiles. Le ballet des grands boulevards était encore un peu plus perturbé par les bus qui desservaient l’arrêt Jaurès, très fréquenté. Comme le labo n’était pas très loin, je décidai d’y aller à pieds. Sur le chemin, je passerais devant la boulangerie et je pourrais m’y arrêter au retour. C’est à ce moment précis qu’une vieille dame s’approcha de moi. Elle me semblait particulièrement âgée, elle avait comme surgi de nulle part, sans même que je n'aie eut le temps de la voir s’approcher alors que j’étais perdu dans mes pensées à organiser ma petite sortie matinale. Elle portait de vieux habits rapiécés, un châle sur les épaules, et sa tête était couverte d’un foulard en soie bleue. Elle marchait péniblement, avec une canne en bois, ses pieds étaient difformes et gonflés, ils remplissent de tout leur volume la paire de vielles charentaises en laine. D’un signe de la main elle m’invita à l’écouter, elle avait un message important à me dire :  "La mort vous noie, la mort vous porte. Quittez l’île, le navire chavirera bientôt. Je vous ai vu, il y a dix ans, je vous vois dans un an. Je suis ici et ailleurs, en dehors du temps."

Sur ces mots étranges, elle me tendit péniblement un objet qu’elle sortit de sa poche. C’était une sorte de corne d’animal. Une corne de chèvre ou de bouc, je ne savais pas dire exactement de quelle espèce il pouvait s’agir. Elle m’invita à la prendre et à ne surtout pas l’égarer. Que cet objet était un lien entre les différents mondes, un fil reliant les réalités universelles. Je ne comprenais rien à sa logorrhée mystique, mais je pris tout de même l'artefact. Je saluai la vielle dame et continuai mon chemin. Je parvins non sans difficultés à glisser la corne dans un petit sac que je portais en bandoulière, je n’ai pas envie de tenir ce truc bizarre dans ma main et puis de quoi aurais-je eu l’air en me trimballant avec ça dans la rue ? Les gens se poseraient des questions, je devais rester très discret. Je me retournai quand même pour jeter un dernier regard à la vielle folle. Mais étrangement je ne vis plus personne sur le trottoir. Je ne comprenais pas ; je l’avais quittée il y a une minute à peine. Elle marchait pourtant si lentement, elle n’avait pas pu se volatiliser aussi rapidement ! Mon oreille se mit alors à siffler et, au loin, de l’autre côté du boulevard à une centaine de mètres, j’aperçus la vielle femme qui me faisait signe. La corne dans mon sac se mit alors à vibrer si fortement que je fus obligé de l’extraire. Elle émettait une odeur atroce de fumier, et commençait à chauffer. Le sifflement de l’oreille s’arrêta alors brusquement. La corne retrouva son état normal, plus d’odeur, plus de chaleur, elle ne tremblait désormais plus du tout. La vielle femme disparut pendant les quelques secondes où je l’avais quitté du regard, le temps de m’occuper de l’objet étrange. L’épuisement moral que je subissais était à son comble. Ma vie était devenue un véritable film d’épouvante. La réalité, de plus en plus difficile à cerner, devenait de plus en plus pénible à accepter. J’avais l’impression de sombrer lentement vers la folie.

J’arrivai enfin au labo. Ma tête allait exploser, je retournais toute l’affaire dans mon cerveau, ça m’obnubilait, j’étais agité et confus. Le vendeur au comptoir sembla préoccupé lui aussi. Il était au téléphone mais je ne comprenais pas ce qu’il racontait, il parlait une langue que je ne reconnaissais pas. Il s’énervait en faisant de grands gestes puis il raccrocha subitement en me jetant un regard sombre.
« Monsieur Rosat ? Ce type avait une sacrée mémoire, me dis-je. Je lui avais apporté la pellicule vendredi et il se souvenait de moi ? Est-ce-que par hasard il avait pu jeter un coup d’œil aux photos qu’il avait développé ? Était-ce pour ça qu’il était furieux au téléphone ? Il m’avait jeté un sombre regard à mon arrivée, il avait sûrement vu les images et ce qu’il y avait dessus devait être atroce. Un meurtre ? Des cadavres, je ne savais pas mais j’imaginais tout un tas de...

— Monsieur Rosat! Vous m’entendez ?

— Euh oui pardon, je suis perdu dans mes pensées en ce moment, je m’excuse. Vous avez pu développer les photos ?

— Monsieur, il y a un problème. Soudain mon visage se décomposa, mes jambes s’affaiblirent.

— Comment ça “un problème” ?

— La machine pour développer est tombée en panne ce matin et je n’ai pas pu travailler sur votre film. Je suis désolé, j’étais avec le patron au téléphone, il m’a traité d’imbécile et a menacé de me virer si je ne rétablissais pas la situation d’ici la fin de semaine.

— Je suis navré. Puis-je récupérer la pellicule dans ce cas, je vais trouver un autre labo ce n’est pas dramatique.
— Je comprends monsieur, la voici. Me lança le type qui était soudain devenu presque penaud.

— Merci et courage à vous ! »

En sortant du magasin je passai un coup de fil à Clara, qui devait être réveillée désormais. Trois sonneries retentirent avant que je l’entende décrocher. Visiblement je venais de l’extraire de sa torpeur matinale et l’entendis bailler un grand coup:

« Clara ? Tu ne devineras jamais, c’est mort pour les photos ils n’ont pas pu faire le développement chez Fyrat Photo, leur matos a lâché ce matin même.

— Merde ! Fit-elle tout naturellement. Et du coup ça se passe comment t’as un autre labo en tête ?

— Ben j’allais te le demander, je ne suis pas spécialiste, je peux chercher sur internet au pire... »

Un sifflement strident caractéristique se mit à me torturer le crâne, la corne vibrait à nouveau. Mais cette fois elle n’émit aucune odeur, ni chaleur. En la sortant de mon sac, je constatai qu’elle était recouverte d’un liquide noir et visqueux, qui sortait de la partie évidée de l’objet. C’était comme si on s’en était servi comme d’un verre ancestral qu’on aurait rempli de goudron. Je renversai l’étrange substance sur le trottoir, et une flaque sombre s’étala sur le sol. Le liquide se comporta étrangement, comme si la gravité n’avait pas d’emprise sur lui. Petit à petit, des filaments se dessinèrent et la flaque uniforme commençait à se parsemer de vides. Une sorte de dessin se formait, c’était incroyable à observer, surréaliste. Je jetai un rapide coup d’œil autour de moi, il n’y avait personne pour m’observer. Je reportai à nouveau toute mon attention sur le spectacle incompréhensible qui se jouait à mes pieds. C’est au bout d’une minute environ, que je pus alors discerner clairement le mot “Polyx” qui s’était formé avec les filaments de liquide. Je notai sur un papier l’étrange inscription, et celui-ci disparu presque aussitôt, l’écriture magique ainsi que le liquide dont elle était composée. En un battement de cil, cette poix mystérieuse s’était volatilisée, ma corne était redevenue normale et mon oreille ne sifflait plus du tout.

« Clara ? Tu es encore là ? »

Elle avait raccroché...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Frnçs Rch ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0