Les faits qui se produisirent à la suite de ces événements furent tous plus singuliers les uns que les autres. Au lendemain de cette nuit de folie je décidai donc d’établir un journal pour y consigner toutes les choses marquantes qui allaient se produire désormais. Mon mystérieux interlocuteur avait été clair : Je devais suivre ses instructions si je voulais vivre. Clara se sentait elle aussi liée à mon destin, elle allait être ma compagne d’infortune à présent, un peu malgré elle. Au lendemain de La Nuit nous n’étions toujours pas en mesure d’expliquer pourquoi nous avions été choisis et qui était cette femme mystérieuse qui avait disparu sur la piste cyclable. Nous n’avions encore moins d’idées au sujet de l’identité de l’interlocuteur mystérieux. Autre curiosité, mon oreille se mettait à siffler à chaque fois que quelque chose d’important allait se produire. Cela avait au moins l’avantage de me préparer et d’anticiper les choses. Je me souvins alors de cette citation de Lactance :

« Les démons ont cette capacité de rendre tangible aux yeux des humains des choses qui n’existent pas dans la réalité. »

Je ne savais pas encore à quel point je m’étais aventuré dans des territoires sombres et infâmes, dont la simple évocation me pousse aujourd’hui encore à frissonner de tous mes membres. Ce que j’ai pu voir ou entendre dépasse l’entendement, et nombreux seraient les psychiatres à me déclarer fou à lier, mais je sais pertinemment que ce que j’ai vécu fut bien réel et que je n’avais pas été seul à être le témoin malencontreux de ces manifestations occultes et infernales. Il existe des mondes dont personne ne devrait connaître l’existence, des lieux d’oubli dont L’humanité a appris à enfouir au plus profond de son cerveau reptilien les moindres détails. Certains chamans racontent d’ailleurs que les visions qu’ils ont lorsqu’ils entrent en transe ne sont que les manifestations de souvenirs passés. Je laisse aujourd’hui ce carnet comme seul témoignage des faits qui se sont produits à la suite de cette malencontreuse nuit. J’espère que ceci pourra servir de guide, de leçons et d’avertissement à tous ceux qui un jour seraient amenés à être confrontés à de tels forces. Je regarde ma montre, nous sommes le 23 septembre 2016, il est 7h13. Dans quelques minutes nous serons sur le départ, pour accomplir la tâche qui m’a été attribuée voici un an déjà. Mais pour comprendre au mieux la situation dans laquelle je me trouve actuellement, il faut se rafraîchir la mémoire. Et quoi de plus précieux que mon journal, donc le contenu va vous être livré à présent.

- 24 Septembre –

Je viens de me réveiller. Nuit agitée à nouveau, mes rêves semblent inaccessibles. Nous avons beaucoup réfléchi hier soir avec Clara, on a essayé de comprendre, de faire le tri, de retomber sur terre. On a même fini la bouteille d’Auchentoshan 18 ans qu’un pote m’avait offert cet été. J’ai rejoint mon lit vers 22 heures je crois, et Clara est restée sur le canapé. Vu les circonstances, il était normal de ne pas la laisser rentrer seule hier soir. On a pensé à appeler les flics pour porter plainte, mais le risque que ça nous desserve plus qu’autre chose nous dissuada de la faire. J’ai eu l’idée d’étendre une grande feuille de papier blanche et de la fixer au mur du bureau, ainsi ce sera plus facile de noter tous les éléments qu’on a en notre possession. Nous avons aussi trouvé un surnom à notre interlocuteur étrange : Gorge Profonde en référence à sa voix caverneuse et au nom qu’on avait donné à l’indic’ dans l’affaire du Watergate en 1972. La tâche du jour va consister à essayer de trouver un labo pour développer le film que j’ai trouvé dans le foulard et aussi d’essayer d’identifier le lieu sur la photo floue. En tout cas, pour moi, ça ressemble à un cimetière mais je ne veux pas m’avancer. Clara a une copine en école d’architecture elle en saura peut-être plus.

- 25 Septembre –

Bingo! On a trouvé un petit laboratoire qui nous a pris le film, mais comme on est vendredi, va falloir attendre lundi pour le résultat. Clara n’est pas allé en cours aujourd’hui. Elle encaisse le choc je pense, et là c’est le contrecoup. J’ai fait quelques courses en rentrant du labo, ce soir on va essayer de manger un bon truc, histoire de se mettre un peu de baume au cœur! J’ai la désagréable impression d’avoir mis mon existence en pause depuis deux jours. Comme s'il n’y avait plus rien d’autre et que les longues journées d’automne se succédaient invariablement. Je vais commencer à mettre au propre les infos qu’on a. La grande feuille n’attend que de se remplir de noms. Il y a moi, Clara, Gorge Profonde ainsi que les inconnus Minna et Mark, dont nous allons devoir trouver l’identité. Peut-être que les tirages photo nous éclaireront. On va certainement passer pas mal de temps à enquêter, surtout moi qui suis à la maison toute la journée. C’est l’avantage d’être écrivain, s’il en est un !

- 26 septembre –

Ça y est, c’est le week-end, je crois que je vais me changer les idées et sortir avec les potes ce soir, ils ne sont pas au courant, et il faut que je reste normal, que je n’éveille pas les soupçons. Clara doit aller voir sa mère aujourd’hui et ce soir elle retrouve aussi des copines, y’aura sûrement l’étudiante en archi dont elle m’a parlé. On a encore débriefé hier soir, et franchement on ne comprend vraiment rien à cette histoire ! Ça semble tellement invraisemblable. J’ai de nouveau entendu ce foutu son strident dans l’oreille, et juste après j’ai entendu un gamin crier mon nom dehors, dans la rue ! J’ai été jeter un coup d’œil à la fenêtre mais pas moyen de voir d’où ça venait. J’ai l’impression d’être schizophrène, c’est horrible. Jason m’a laissé un message, il est au Cordial avec les potes, ils m’attendent impatiemment. Il a l’air tout excité, et il m’a dit qu’il avait un truc hallucinant à me raconter. Cher journal, je te quitte, demain une nouvelle entrée conséquente, enfin j’imagine, si je ne rentre pas trop bourré j’aurai quelques souvenirs.