Chapitre 1

3 minutes de lecture

En général, la seule chose qu'on pouvait entendre depuis l'appartement c'était quelques voitures qui passaient sur l'autoroute, située à une centaine de mètres de là, derrière une haie d'arbres. Le son était atténué par la densité végétale. On pouvait reconnaître, sans aucune ambiguïté, le bruit caractéristique des pneus sur la chaussée détrempée par l'averse soudaine qui venait de s'abattre. Le silence brutal de la nuit était percé par des petits sons aléatoires, et parfois, la sirène d'un véhicule de police ou d'un camion de pompiers rompaient avec la monotonie sonore. Certes, l'été, il y avait aussi les grillons et sauterelles qui faisaient un bruit de fond caractéristique, celui qui rappelle les chaudes nuits d'été de notre enfance à devoir se coucher tôt alors que les adultes s'amusaient sur les terrasses. J'ai d'ailleurs toujours aimé la nuit. Toujours. Je ne sais pas d'où cela me vient mais c'est une constante chez moi : travailler la nuit, sortir la nuit, voyager la nuit, écrire la nuit. C'est une sorte de face cachée du monde, un territoire peu exploré, où l'immense majorité de l'humanité ne s'aventure que très peu. Alors bien sûr les gens sortent, mais pas tous les jours, et ils ne sortent pas juste parceque le Soleil n'est plus là, mais parce qu'ils ne travaillent pas à ce moment-là. C'est un choix d'évidence et pas un choix de cœur ! Si on le souhaite, on peut dire que la nuit nous appartient, pour peu qu'on s'approprie correctement cette chose immatérielle. Hugo soulignait le côté sombre et inquiétant de cette ambiance nocturne, il la dramatisait, évoquant les pêcheurs confrontés à l'obscurité maritime. Son magnifique poème Oceano Nox dont l'incipit sera devenu très célèbre, est un texte fabuleux, mais il s'attache à dépeindre la nuit comme une chose bouleversante et tragique. Cela dépend du contexte et il est évident que l'obscurité ne sied pas à toutes les situations.

Mais revenons-en à notre histoire. J'allai à la fenêtre fumer une cigarette et faire une pause bien méritée. Je m'étais aventuré dans l'écriture d'un roman et le travail était considérable. Mes longues pauses nocturnes me permettaient de me rafraîchir les idées. Dehors, le silence était de mise dans cet environnement urbain, cela peut paraître étrange mais le chaos de la journée retombe assez vite, car les humains vivent avec des horaires assez réguliers, du moins dans les petites villes. Par la fenêtre, j'arrivais à apercevoir un petit bout de piste cyclable, à peine éclairée par des lampadaires à LED, et qui longeait la voie rapide. Pour l'avoir pratiquée de nuit seul, je peux vous garantir que l'ambiance y était plutôt déconcertante. Et c'est donc logiquement que je fus intrigué par cette femme que je vis marcher sur cette piste isolée en ce soir de septembre. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'une personne ivre, à cause de ses mouvements erratiques. Mais en regardant plus attentivement, il semblait plutôt qu'elle faisait des gestes à quelqu'un d'autre, une personne située hors de mon champ de vision, dont il m'était impossible de déceler la présence.

C'est alors que me vint une idée : j'avais une paire de jumelles astronomiques dans le tiroir du bureau, c'était le moment de s'en servir, comme James Stewart dans Rear Window ! La situation était trop intrigante pour retourner à l'écriture. En observant de plus près la situation, il paraîssait clair que cette femme faisait des signes à quelqu'un, des gestes vifs, d'angoisse, de détresse. Comme pour signifier à l'autre de partir, de la laisser tranquille. Je cherchais dans la direction vers laquelle elle semblait s'exprimer quand soudain, un énorme fracas de tôle vint déchirer le silence nocturne. Je reposai les jumelles, afin d'avoir une vue globale. On pouvait découvrir alors l'origine de ce tumulte : deux véhicules complètement détruits étaient échoués sur la portion d'autoroute, il y avait du verre et des détritus qui jonchaient la voie. Au bout de quelques minutes, je vis les occupants sonnés sortir de leur voiture, apparemment sans blessures graves. J'appelai tout de même les secours, depuis ma vigie d'où j'avais une bonne vue globale de la situation. Je ne pus m'empêcher alors de regarder à nouveau la femme étrange, qui avait certainement entendu elle aussi l'accident. Je repris mes jumelles, et observai la scène, où s'était joué il y a quelques instants le prologue d'une pièce si singulière. Je fus immédiatement bouleversé. Il n'y avait tout simplement plus personne sur cette piste, juste un foulard rouge, au sol, celui de cette curieuse femme. La scène était vide et les acteurs avaient quitté les planches, mais pas sans laisser d'indices. J'eus alors l'idée d'aller voir directement sur place.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Frnçs Rch ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0