Le piège

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Guttural, clairement inhumain et profondèment inquiétant, voilà ce qui poussa les deux malheureuses visiteuses des Voiliers à s'engouffrer dans la première cage d'escalier qui passa à leur portée. La peur agissait sur le système nerveux de telle sorte que les réactions les plus logiques étaient remplacées par un instinct de survie qui n'avait rien de rationnel. Elles étaient les premières à se moquer de ces personnages de thriller ou de films d'horreur qui n'étaient pas foutus de prendre la bonne décision pour sauver leur peau alors même que l'évidence est sous leur nez. La réalité était tout autre désormais car la peur guidait les pas de la gestionnaire de copropriété, encore échaudée par sa découverte dans l'armoire électrique, et de son assistante. Elle les poussait à s'enfoncer plus loin encore dans le bâtiment, à s'éloigner le plus vite possible de ce hululement sinistre. À en perdre le souffle, toutes les deux gravirent les escaliers menant au second étage, oblitèrant clairement la première sortie tant leur esprit était aveuglé par la terreur. Il faisait sombre dans la cage d'escalier, la lumière filtrait difficilement par le skydome situé tout là-haut, au quatrième étage. Le plastique qui le composait était à son tour obscurcit par une couche de crasse identique à celle qui couvrait le miroir du hall. Aucun détecteur n'allumèrent les ampoules des luminaires à leur passage, laissant les deux jeunes femmes évoluer dans cette pénombre lugubre qui envellopait tout le bâtiment A.

L'air brûlait dans leurs poumons, les muscles raidis par le soudain et desespéré effort. À la peur encore latente, s'ajoutait une fatigue terrible que l'adrénaline retombant, fit couleur dans leur veine. Les mains sur les genoux, Émeline peinait à reprendre son souffle, elle pouvait maudire ses vieilles habitudes de fumeuse pour cela. Amel se laissa tomber sur le sol froid du palier, recroquevillant ses genoux contre sa poitrine et les oreilles bourdonnantes encore du soudain effort qui les avait amené toutes les deux ici.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce que c'était que ça putain ? peina-t-elle à articuler, perdue entre la colère et l'incompréhension.

Émeline secoua la tête, retrouvant petit à petit une respiration plus ou moins calme. Quand elle se redressa, elle eut toute la peine du monde à cacher le tremblement qui s'était emparé de ses mains.

— Je sais pas, j'en sais rien, marmonna-t-elle la mâchoire encore crispée.

Elle regarda autour d'elle pour remarquer qu'outre le silence terrible, la lumière faiblarde et crasseuse qui les entourait, il ne règnait ici qu'un relan de décrépitude monstrueuse. La peinture des murs, autrefois d'un beige on ne peut plus classique, apparaissait cloquée. Le revêtement était sale, parsemé de coulure de rouille et de crasse. Là où tout s'écaillait, le béton fissuré de l'edifice apparaissait comme griffé. Non... gravé, plutôt. Le garde-fou qui servait d'appui pour Amel n'était qu'un squelette de fer complètement rouillé, qui barloquait dangereusement quand l'assistante avait le malheur de bouger un peu trop.

— J'ai pas de réseau, constata Amel qui eut en tête d'appeler au moins l'agence ou n'importe qui ?

Dans un coin de son esprit, la chose ne l'étonnait même pas. C'est toujours lorsque l'on a un besoin urgent de passer un coup de fil que la technologie décide de vous envoyer balader en beauté. La jeune assistante en eut presque un rire amer et dépité en rangeant son portable dans sa poche. Puis elle porta son attention sur la "patronne", intriguée par son comportement. Émeline s'était approché du mur décrépit, passant les doigts sur les gravures incrustées dans le béton, perplexe.

— C'est... à rien comprendre, regarde ça, dit-elle presque absorbée par sa propre découverte, on dirait des dessins où j'sais pas quoi...
— Y'a que ça qui t'interesse ? s'énerva soudainement Amel, merde ! Y'a un truc qui rôde dans l'coin, on sait même c'que c'est. L'immeuble entier tombe en ruine, comme ça - elle claque des doigts - sous nos yeux, on s'retrouve coincées ici et toi, y'a que des gribouillis sur un mur qui t'questionne ?

Dit comme ça, la situation n'était clairement pas enviable. Et Amel avait raison. Son accès de colère fit froncer les sourcils d'Émeline qui se détourna de sa découverte bien trop vivement pour un caractère d'ordinaire assez facile.

— Et tu veux qu'on fasse quoi, hein ! siffla-t-elle, le regard mauvais, c'est d'ma faute p'têt ?!

Son amie sursauta et eut un mouvement de recul, elle n'avait jamais vu une telle expression chez Émeline. Cette dernière s'en rendit compte en voyant l'expression surprise d'Amel et s'adoucit de nouveau. Pas le temps de s'excuser car avec ce mouvement brusque, le garde-fou contre lequel Amel s'était adossé se décrocha complètement et vacilla dans le vide. La jeune assistante partit en arrière avec lui, son coeur aurait pu lui sortir de sa poitrine sous le choc et c'est un hurlement de surprise qui franchit la barrière de ses lèvres. Dans un reflexe clairement insoupçonné, poussé à nouveau par l'instinct, Émeline eut juste le temps d'attraper fermement l'avant-bras de son amie avant qu'elle ne bascule definitivement dans le vide. Elle tira de toute ses forces en arrière, se laisse choir à même le sol et Amel retomba lourdement tout contre elle tandis que le garde-corps s'écrasa deux étages plus bas dans un terrible boucan de métal tordu. Le son résonna dans toute la cage d'escalier et les couloirs adjacents pour finalement être à nouveau dévoré par le silence des lieux. Il y eut un petit moment de flottement d'à peine quelques secondes où elles reprirent leur esprit, un instant qui sembla durer des heures avant que le hululement, plus proche cette fois, se fasse entendre de nouveau.

— Merde ! Merde ! Ça revient, grinça la gestionnaire qui se débattait pour se remettre sur ses pieds.

Le sol collant de crasse et de mousses poisseuses faisait glisser la semelle plate de ses chaussures. Amel en eut la nausée, à peine remise de sa précédente frayeur.

— Viens, allez ! Suis-moi ! On se tire de là ! Si on ne peut pas passer par l'entrée, on va sortir par le parking. Tu m'entends ? Allez, lève-toi.

C'est son amie qui fit un effort surhumain de volonté, pour cette fois ne plus se faire surprendre qui la tira par le bras, ouvrant de sa main libre la porte du palier donnant sur le second étage. Amel se laissa emporter par la poigne de fer d'Émeline et la porte se referma sur elle dans un claquement sourd.

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