Chapitre un

9 minutes de lecture

Quelque part dans une forêt, se trouvait un trou entre deux roches, assez grand pour laisser passer un gros rongeur. Il n’était pas facile de trouver cette entrée dans la grande forêt de sapins ; seule ceux qui avaient cherché un refuge lors de leur exil avait pu tomber sur ce petit paradis souterrain. La descente était raide, étroite et sombre, mais elle était un jeu d’enfant pour les rongeurs habiles et courageux. Il était impossible de se perdre dans ce petit tunnel, puisqu’il n’existait qu’un seul chemin.

À l’intérieur de la grotte, un petit groupe de souris vivaient dans la joie et la bonne humeur, qui partageaient leurs expériences et leurs vivres sans radinerie. La grotte était certes bien trop grande pour de si petits rongeurs, mais la solution avait vite été trouvée : l’aménager avec toutes les trouvailles possibles. Des feuilles d’arbres, des écorces, des glands, de la paille, de la fourrure de renard ou de cerf.

Mais il n’y avait pas seulement de la décoration naturelle. Certaines souris aimaient le danger et les objets artificiels, ceux fabriqués par les bipèdes, ces grandes créatures sans poil, qui se déplaçaient dans d’immense nids de pierres. Ainsi, la grotte possédait des fils métalliques, des punaises en plastiques, des boutons de chemises, de la craie blanche, des petits morceaux de tissu chaud, des petites feuilles de papier… Il était difficile de savoir tout ce qu’avait pu ramener ces petites souris chapardeuses ; peu importe si cela servait à leur survie, leur kiff était de voler le plus d’objets possible sans se faire prendre.

Les souris avaient de quoi subvenir à leur besoin : un filet d’eau alimentait les nombreuses sources de la grotte. Chacune servait à des choses différentes : la plus haute pour s’abreuver, la plus basse pour se rincer le poil. Il était important que leurs odeurs et leurs peaux ne se mélangent pas à l’eau qu’ils buvaient, car, selon l’une d’elles, ils pourraient tous tomber malades. La nourriture devait aussi être tenue loin de l’eau, car si un fruit venait à pourrir, l’eau ne serait plus utilisable pour un temps inconnu.

Parlant de la nourriture, elle était amenée de l’extérieur par les souris désignées comme les cueilleuses. Elles descendaient leurs trouvailles jusqu’au centre de la grotte, où le petit comité se retrouvaient le soir pour partager leur repas et leurs aventures, en souterrain comme à la surface. Les rongeurs appréciaient la présence des autres avec beaucoup d’enthousiasme, et le moment du repas était toujours une partie de rire et de conflit sans queue ni tête.

Chaque souris possédait un taffoni en guise de chambre, rangé selon leur goût. Il avait été difficile au début pour elles de se départager les creux où dormir, les plus grandes “chambres” se trouvant au plus proche de la surface. Ainsi, pour régler ces histoires de pièce à coucher, elles avaient utilisé un jeu que les bipèdes aimaient faire quand ils étaient en désaccord : la courte paille. Celle à avoir gagné récupéra le taffoni le plus haut, à la déception de certaines ; d'autres furent bien heureuses de ne pas gagner et de récupérer les trous les plus bas. Certes, il leur fallait grimper les fils métalliques installés au préalable pour atteindre l’entrée pour la surface, mais l’air au fond de la grotte était bien plus chaud et confortable pour les plus frileux des rongeurs.

Ce petit clan de rongeurs comptabilisait six souris. Elles appartenaient toutes à des familles différentes, et provenaient de régions opposées. Comment ces petits animaux avaient bien pu se retrouver et former une famille unie ? Aujourd’hui, aucune d’elles ne se posaient ce genre de question. La réponse était toute simple, et il n’y avait pas besoin de plus d’explication : elles voyageaient, et leurs chemins s'étaient croisés. La grotte était à présent leur nid, le seul, l’unique.

Il arrivait que la souris la plus apte à mener, parte à l’aventure accompagnée de son stratège et de son attaquante, pour explorer de nouvelles contrées. Elles laissaient donc seuls à la maison leurs trois amis.

- Cela fait longtemps qu’ils sont partis, constata une souris des bois naine après un petit éternuement, dû à l’humidité du terrier. Une demi-lune, ça commence à faire long.

- Ils ne devraient pas tarder à revenir, lui assura une longue souris du soir, qui nettoyait avec un chiffon des cupules taillées en forme de bol.

- J’espère qu’il ne leur ai rien arrivé… Le nid des bipèdes n’est pas très loin, ils ont pu se perdre ou pire se… se…

- Voyons, ne leur porte pas la poisse. Comme je le dis, ils ne tarderont plus. La chose qui devrait les faire revenir, c’est la bonne nourriture chaude que nous préparons ici. Ce n’est pas toujours facile de se procurer lors d’un voyage un peu de viande. Orion doit avoir la salive à la bouche rien que d’y penser.

La souris du soir finissait de nettoyer ses cupules quand elle décida de changer le sujet de la conversation.

- Sinon Coco, c’est rare de te voir dans le coin. Que nous prépares-tu de fabuleux cette fois-ci ?

- C’est vrai que je suis souvent sur mes fabrications en ce moment, désolé, murmura la souris des bois, les oreilles basses. Je travaille sur une nouvelle fournaise qui nous permettrait de brûler tous les restes de nourriture que nous ne mangions pas. Ça sera plus facile de les remonter une fois brûlés. Je suis tellement à fond dans sa construction que j’en oublie de manger.

- C’est une nouvelle création très cool que tu nous fais là ! s’enthousiasma son amie. J’ai hâte de la voir à l’œuvre, mais ne te tue pas la santé, s’il te plait.

- Merci, Plume…

Coco et Plume étaient les seules souris à être restées au nid. Le premier ne sortait que rarement pour tester ces nouvelles inventions, ou pour aller chercher des outils dans une décharge de bipède plus loin de là. La deuxième n’était pas une bonne marcheuse ; de plus, elle vivait la plupart du temps la nuit, à l'inverse de ses amis, qui préféraient se déplacer en journée.

Coco était une souris des bois plutôt petite, timide et tout le temps angoissée, qui aimait la compagnie des machines et du métal. Il provenait d’une famille qui avait subi l’exil de sa forêt, à cause de la population croissante des bipèdes. En direction d’un nouveau territoire, il avait perdu les membres de sa famille dans un torrent qu’ils tentaient de traverser. Seul et effrayé, il était resté des jours entiers dans un trou de fortune, priant pour que son père, sa mère, ou l’une de ses sœurs, le retrouvent. Finalement, il était sorti de sa cachette quand il avait rencontrer Lune, une autre souris de la tribu, et il avait décidé de la suivre, au grand désaccord de la femelle.

Plume, elle, était une souris du soir assez grande pour son espèce, qui avait vécu au contact des bipèdes pendant un long temps. Curieuse de ces créatures géantes et sans fourrure, elle s’introduisait dans leur nid, à la recherche d’informations sur cette espèce menaçante. Ainsi, elle avait appris, en leur présence, leur langue ou en tout cas, une petite partie. Cela l’avait aidé à comprendre les livres, ou de nombreuses informations sur le monde où sur des histoires imaginaires étaient inscrites. Elle avait essayé d'apprendre l’alphabet, ce que les bipèdes utilisaient pour apprendre à parler et écrire. Son étrange obsession pour les bipèdes terrorisait sa famille, qui l'avait laissé de côté, alors qu’elle se perdait dans ses recherches. Elle aussi, rencontra Lune, qu’elle suivit avant de continuer sa route de son côté. Le destin avait voulu les réunir à nouveau quelques lunes après.

La grande souris rangeait les cupules dans une alvéoles de la grotte, et s’essuyait les pattes avec le torchon avant de laisser tomber sur la grande branche qui servait de comptoir.

- Que nous reste-t-il, comme provision ? demanda Plume.

- Plus grand-chose je crois. Assez pour nous deux, mais pas pour les autres.

- Hm. Je vais devoir faire une sortie nocturne, réfléchit-t-elle.

Le ciel était voilé par des nuages sombres, annonciateurs d’une pluie prochaine, voire d’un orage. Le silence de la forêt pouvait angoisser n’importe quelle souris, sauf Plume. La nuit était son domaine, et les hautes herbes qu’elle traversait la dissimulaient de tout prédateur volant. Même les chouettes, ces oiseaux à la vision perçante, ne pouvaient la repérer.

Plume avait accroché à son dos, un tissu qui servait comme un sac. Avec cela, elle pouvait ramener plus de nourriture au nid. Elle ramassait tout ce qu’elle trouvait qui plaisait à la famille de rongeur : des baies, des graines, des insectes, des coquilles d’œufs tombés de leur nid… Actuellement, il ne lui manquait plus qu’un peu de viande : mais trouver un cadavre de biche, de sanglier ou d’oiseau n’était pas une partie de plaisir. Plume n’avait pas un odorat très développé ; contrairement à son ami Aconit, une autre souris du groupe, qui pouvait traquer les plus infimes odeurs à des kilomètres à la ronde.

La nuit se faisait longue, et le sac de provisions grossissait à vue d’œil. Il devenait lourd sur le dos de la souris, qui n’avait pas une bonne musculature. Pour éviter de transporter son sac sans rien trouver, elle le laissa au pied d’un arbre, après avoir creusé un petit trou qui pourrait cacher le butin. Elle se remit en route, grimpant un arbre dans l’espoir de pouvoir trouver quelque chose d’intéressant.

Son regard s’attarda alors sur un nid d’oiseau, où une mésange couvait ses œufs.

Ça serait drôle, d’avoir un oiseau de compagnie.

Un cri strident la sortie de ses pensées. À défaut d'un bon odorat et d'une force développée, Plume avait une bonne ouïe. L’animal qui venait de pousser ce râle d’agonie ne devait pas être très grand et très loin. Plume descendit de son arbre pour reprendre son sac et courir en direction de la bête. Le tissu faillit s’accrocher à plusieurs reprises aux ronces et aux branches mortes, ralentissant la course de Plume.

Faites qu’il reste quelques morceaux !

Elle s’arrêta net quand elle sentit l’odeur du sang. À travers les fougères, la souris observa un loup, qui déchirait de ses longs crocs la viande du ventre d'un marcassin. Plume avait prié pour que le prédateur soit un renard : ces animaux féroces aimaient tuer tous ceux qu’ils trouvaient, sans toutefois manger les victimes de leur attaque. Le loup pouvait bien laisser ses proies sans les manger, mais il les apportait généralement avec lui. Il n’avait pas grand estomac. Alors Plume priait à nouveau, cette fois pour que l’animal laisse un peu de viande.

Malheureusement, il avait l’air vorace. Il déchiquetait la chair et les tripes du marcassin comme un fou furieux, et plusieurs morceaux finissaient par s’échapper de sa gueule et tomber plus loin. C’était une chance pour Plume : elle devait la saisir au plus vite.

Laissant à nouveau son sac, elle rampa dans les herbes pour dissimuler sa présence, les yeux rivés sur la mâchoire du loup. L’animal était bien trop concentré à mettre de la viande de partout. Il ne captait pas la présence de Plume. La souris arrivait au morceau le plus proche, mais il était bien trop petit pour elle et les autres. Alors elle partit en chercher un autre : et comme la malchance était de son côté, le morceau le plus intéressant était à une queue de renard de la patte du loup.

Je vais finir dans le ventre de ce loup comme dessert !

Son cœur commençait à battre un peu trop vite à son goût. Plus elle s’approchait de l’animal sauvage, plus son cerveau lui sifflait de fuir. Mais elle affronta son instinct primaire, et elle put enfin atteindre ce délicieux morceau de viande. Plume le saisit délicatement avec ses dents, et le tira sans un bruit vers les fougères. Quelques secondes plus tard, une fois qu’elle fut cachée entre les herbes, le loup se tourna vers les chairs éparpillés pour les dévorer. Elle soupira de soulagement.

Plus jamais ! Orion s’en occupera, la prochaine fois.

Elle enfonça la viande dans le sac, le jeta sur son dos, et courut malgré le poids en direction du nid. La nuit n’était toujours pas finie, mais les provisions faites ce soir leur permettraient de tenir au moins quatre jours. Si Bœuf ne se levait pas d’ici là…

Une fois au terrier, Plume sortit du sac les glands et les baies capables de glisser dans le terrier jusqu’à la grotte. Seule la viande, les graines et les coquilles resteraient sur son dos. Tout venait de glisser, quand Plume crut entendre le battement d’aile d’un oiseau. Sans réfléchir, elle sauta dans le trou, et sentit quelque chose lui griffer légèrement le bout de la queue. La souris venait d’éviter l'assaut d’une chouette effraie, qui s’envola en poussant un cri strident.

Le cœur de Plume avait failli s’arrêter ; elle s’immobilisa de peur, essayant de reprendre son souffle. Elle avait évité la mort de si près que son corps s’était glacé à l’avance. Elle tremblota, son poil hérissé sous sa nuque. La souris avait beau se lustrer la fourrure, tout se redressait à nouveau. Elle devait se mettre en tête qu’aujourd’hui, elle ne pourrait pas cacher sa courte mésaventure à Coco et Bœuf. L’avantage était qu'elle aurait une petite histoire à raconter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Lyncas Weiss ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0