Chapitre 14: Danny

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Stacy

-Bien, suis-moi, fit la voix en s'adressant cette fois-ci à la jeune fille.

Il fit mine d'ouvrir la marche, mais voyant que Stacy ne le suivait pas, se tourna à nouveau vers elle.

Cette dernière était tétanisée. Une sensation de malaise profond, similaire à ce qu'elle avait ressenti dans l'étage intermédiaire face à tous ces corps entassés, envahissait son être de haut en bas. Elle concentra toute sa détermination, ou du moins ce qu'il en restait, dans sa voix, afin de réussir à aligner quelques mots sans flancher.

-Ce... Cet animal...

-Ce n'est pas un animal.

-D... Danny ? Il s'appelle... ?

Elle s'interrompit, horrifiée. Réagissant à son nom, l'intéressé s'était avancé vers elle et avait commencé à la renifler un peu partout. Son maître resta silencieux quelques instants, comme si la situation l'amusait quelque part.

-Il faut vraiment qu'on bouge, finit-il par murmurer. Une fois qu'ils auront fouillé l'immeuble, les Modérateurs reviendront vérifier le sous-sol.

La mention de la Milice réussit à sortir la jeune femme de son état de transe. Elle réagit aussitôt au quart de tour, son instinct de survie prenant le dessus.

-Le petit garçon qui m'a aidé ? Il...

-Il connaissait les risques, mais il tenait à accomplir sa mission jusqu'au bout. Ne rends pas son sacrifice inutile et suis-moi sans discuter.

Alors qu'elle était en train de lui répondre, l'homme se mit en mouvement, se dirigeant vers le fond du corridor. Stacy le suivit aussitôt, courant presque pour s'adapter à son rythme. Malgré la présence peu rassurante de cette... Chose, qui fermait la marche, elle parvenait petit à petit à mettre ses idées au clair.

Elle réalisa qu'elle n'avait aucune certitude que son présumé bienfaiteur soit réellement un membre du Mouvement Révolutionnaire. En réalité, elle ne savait rien de lui, d'autant plus que la pénombre l'avait empêchée de voir clairement son visage. Elle avait juste entre-aperçu, chose étonnante, des traits fins et délicats.

-Qui... ?

-Tais-toi et marche.

Le ton était sans appel, muni d'une telle autorité que la jeune femme se figea aussitôt. Cet homme avait visiblement l'habitude de se faire obéir. Secouée, elle se mit à marcher silencieusement, analysant la situation.

Elle venait vraisemblablement de se faire enlever. Elle conservait l'infime espoir que cet improbable duo soit envoyé par l'Insaisissable, mais elle en doutait. Cependant, entre tomber entre les mains de la Milice et ces deux-là, elle préférait nettement le second choix. Au moins eux ne risquaient pas de la ramener chez son père.

Néanmoins, elle commençait à paniquer. Elle ne savait pas où elle allait. Sa future destination la rapprocherait-elle de son but, ou au contraire, sa mission se verrait-elle compromise une fois de plus ? Ses ravisseurs n'étaient que deux, mais elle avait rapidement éliminé l'idée de les semer. Le premier marchait d'un pas souple, rapide, athlétique. Il débordait d'assurance, et Stacy ne se voyait pas pouvoir le fuir. Quand au dénommé Danny, c'était impensable. Il la rattraperait en quelques secondes, elle en était convaincue.

Réfléchir ne lui réussissait pas, cela ne faisait que l'accabler encore plus. Elle n'était pas découragée, pas encore, mais cette mission lui semblait de plus en plus impossible. Elle ne l'avait pas réalisé au départ, mais comment pourrait-elle retrouver celui qui échappait avec brio à la Milice depuis tant d'années ? Elle n'osait pas répondre à cette question, parce que cela reviendrait à admettre et accepter la réalité. Et ça, elle ne le voulait pas. Parce que cet objectif, ce but final, était ce qui lui permettait d'avancer malgré la peur qui lui inspiraient son père, les Modérateurs et cette chose contre-nature qui la suivait en la reniflant de temps à autres.

Alors elle marcha, longtemps, sans songer à autre chose que de placer un pied devant l'autre. Trente minutes, une heure, voire plus, elle l'ignorait. Elle remarquait juste que le couloir continuait de descendre, bifurquant de temps à autres, se resserrant par endroits avant de s'élargir à nouveau. Parfois, un carrefour apparaissait mais son ravisseur, lui servant en l'occurrence également de guide, n'hésitait pas une seule seconde.

Ils finirent par se retrouver devant une porte d'où s'échappait un courant d'air. Plutôt que de l'ouvrir directement, l'homme se tourna tout d'abord vers elle.

-Ecoute moi attentivement. De ce que je sais, tu ne connaissais pas grand chose de ce qui se passe ici bas, du haut de ton nid de nobles.

-Je...

-Une fois que tu auras franchi cette porte, tu te retrouveras à la lisière de la zone qu'on appelle "les Enfers". Les Modérateurs n'y ont aucune autorité, et tu seras relativement en sécurité.

La jeune femme ne pipa mot. Vu sous cet angle, cette perspective semblait alléchante. Néanmoins, elle flairait le coup fourré.

-Mais ?

-Mais il va falloir respecter quelques règles. Premièrement, ne dis pas qui tu es ni d'où tu viens. Ce serait signer ton arrêt de mort. Et deuxièmement, tu seras sur mon territoire. Si jamais tu me désobéis, Danny s'occupera de ton cas.

Comme pour soutenir la menace de son maître, la bête grogna en s'agitant.

-Alors quoi, explosa Stacy, à bouts de nerfs, alors que son interlocuteur se retournait et s'apprêtait à ouvrir la porte. Tu m'emmènes dans un endroit inconnu puis tu fixes des soi-disant règles en pensant que je vais t'obéir comme ça sans réfléchir ?

Le stress, accumulé durant toutes ces semaines, y était sans doute pour beaucoup dans cette prise de parole spontanée, mais il y avait tout de même une part de vérité. Car la jeune femme en avait assez de fuir. Elle restait malgré tout une noble, la fille d'un Administrateur.

Elle avait malheureusement choisi le mauvais moment, et surtout la mauvaise personne, pour laisser éclater sa frustration.

Elle entendit Danny grogner de plus belle. Elle vit le bras de son ravisseur jaillir vers elle avec une vélocité qu'elle ne lui soupçonnait pas. Un éclair argenté l'éblouit brièvement, et elle sentit un liquide chaud couler sur son visage.

Puis, la douleur, vive et insoutenable, survint. Elle voulut crier, mais seul un faible gémissement sortit de sa gorge.

Avec horreur, la jeune fille passa lentement ses mains sur son visage. Le simple fait de poser ses doigts sur sa peau ne faisait qu'accentuer sa souffrance, si bien qu'elle s'écroula à genoux, refrénant à grand peine ses larmes. Pour la première fois de toute son existence, elle avait été blessée physiquement par quelqu'un d'autre. En tant que noble, il était inconcevable que cela arrive un jour, et pourtant. Elle comprit que c'était une façon de lui montrer que le titre, donné par sa naissance, ne représentait rien ici-bas. Là où les lois n'avaient aucune valeur, elle était aussi vulnérable que n'importe qui. Et comme n'importe qui, elle devait respect et obéissance à cet homme.

Furieuse et résignée, elle releva son regard et fixa pour la première fois le visage de son tortionnaire.

Il semblait beaucoup plus jeune qu'elle ne l'avait imaginé. Un visage froid, fermé, et agrémenté de deux yeux d'un bleus électriques, qui reflétaient faiblement la lueur de la torche. Des yeux qui ne laissaient transparaître aucune émotion. Ils se toisèrent ainsi quelques secondes, se jaugeant l'un l'autre, avant qu'il ne finisse par rompre le silence.

-Bienvenue aux Enfers, dit-il d'une voix blanche en ouvrant la porte.

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