Chapitre 13: Rencontre fortuite

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Stacy

Jusqu'ici, tout s'était parfaitement déroulé pour Stacy. Elle avait traversé assez rapidement les premiers étages marchands. Habituée au style architectural des étages supérieurs, elle avait été surprise par les bâtisses fades et sans couleur qui s'entassaient ici. De là où elle venait, les même les petites maisons comme celle de son précepteur semblaient bien grandes comparées à celles-ci. Plus surprenant encore, la population qui s'y entassait l'avait prise de court. Les rues étaient beaucoup plus animées, les allées et venues ne s'arrêtant jamais. Elle avait ainsi découvert avec stupeur que certains bâtiments abritaient non pas une mais plusieurs habitations, système qui lui sembla très ingénieux.

Pour son plus grand bonheur, elle avait également découvert qu'ici les prix étaient beaucoup plus bas que dans les étages nobles. Malheureusement, elle n'avait que très peu d'argent sur elle, si bien qu'elle n'avait toujours pas mangé depuis qu'elle était arrivée ici, presque une semaine plus tôt, se contentant de boire beaucoup d'eau. Mais au moins, ici, elle n'avait pas besoin de se cacher dans un coin de rue pour dormir un peu. Il lui suffisait de s'installer dans un bar quelconque, à une table vide et discrète, où elle pouvait passer la nuit en compagnie des ivrognes sans que le patron ne lui pose de question.

La quantité de Modérateur étant également nettement moins élevée, et grâce à son tout nouveau déguisement, elle n'avait plus besoin de raser les murs, ni de faire des détours pour rejoindre l'ascenseur descendant. Elle se retrouva ainsi assez rapidement au 88e. Cependant, elle restait vigilante et alerte, car elle voyait mal son père ralentir ses recherches pour autant. Même si elle trouvait un jour le courage de quitter la Tour et de s'exiler dans les mines, elle était sûre et certaine qu'il la pourchasserait jusque là.

Avant tout, elle avait besoin d'argent. En observant les différents habitants, généralement les plus pauvres, elle avait découvert qu'ils proposaient leurs services d'hommes-à-tout-faire afin de subvenir à leurs besoins. Ils étaient payés de façon horriblement ingrate aux yeux de la jeune fille, certes, mais c'était suffisant pour survivre. Et la survie passait avant tout.

Comme on la prenait pour un homme, il lui était aisé de trouver quelques bricoles à faire. Durant deux jours, en se privant et en enchaînant les petites tâches de la sorte (passant de la livraison de journal au nettoyage de façade), elle réussit à économiser un petit peu d'argent.

Malheureusement, les choses se gâtèrent rapidement. La jeune femme était en train de repeindre un mur pour quelques pièces. Elle s'attelait à la tâche depuis le début de l'après-midi, mais un mouvement qu'elle capta du coin de l'oeil attira son attention.

La foule s'agitait. En temps normal, ça ne l'aurait pas intéressée plus que ça. Après tout, entre les marchands ambulant, les musiciens qui faisaient la manche et les enfants à moitié nus qui couraient allègrement dans les rues, il y avait toujours de l'ambiance. Mais quelque chose clochait. Une atmosphère de peur se ressentait, et n'obéissant que son instinct, Stacy se redressa avec vivacité, lâchant son pinceau. Une patrouille, et pas n'importe laquelle. Elle était dirigée par un personnage qu'elle reconnaîtrait entre mille: Lucius, le fils du vieil Administrateur Alexandre Stanford.

Elle aurait dû s'enfuir, tenter de se mêler à la foule. Mais elle n'y arriva pas. Elle se figea, tétanisée, laissant les passants la dépasser. Par réflexe, elle enfouit la main dans sa poche, où elle conservait le précieux papier empli d'inscriptions que lui avait légué Théo. Elle avait été terriblement stupide. Elle pensait avoir été aussi alerte que d'habitude, mais la vérité était qu'elle s'était crue en sécurité ici. Elle avait relâché sa vigilance sans s'en rendre compte. Trouver du travail ? Quelle idée insensée.

A cent cinquante mètres de là, Lucius leva les yeux vers elle. Leurs regard se croisèrent, et au sourire cruel qu'il lui fit à ce moment là, elle sut qu'il n'avait été pas été dupé par son déguisement. Pas une seconde. Elle avait été idiote.

Il s'avança vers elle, sûr de lui, une quinzaine de Modérateurs armés jusqu'au dents sur ses talons. Elle reconnaissait leur uniforme, bleu nuit avec des épaulettes dorée, et un brassard rouge. La garde personnelle de son père, une troupe d'élite qui lui obéissait au doigt et à l'oeil.

Le temps sembla s'arrêter autour d'elle. Lorsqu'elle réalisa qu'elle avait échoué, qu'elle était perdue, et surtout qu'elle devrait retourner auprès de son père pour recevoir sa punition, elle faillit capituler. Plus Lucius s'approchait, menaçant, plus elle courbait l'échine, s'effondrant intérieurement.

C'est à cet instant précis, alors qu'elle baissait les bras, qu'une explosions retentit à deux pas de là. Le bar juste en face du mur qu'elle était en train de repeindre quelques instants plus tôt s'était brusquement enflammé, apparemment sans raison, créant un nouveau mouvement de panique. La jeune fille n'eut guère le temps d'assimiler l'information car une petite main lui saisit le bras.

-Suivez moi Mademoiselle Grimmsworth.

Elle baissa les yeux. Un petit garçon, âgé d'à peine une douzaine d'années. Sale et maigrichon, il la regardait cependant d'un air déterminé.

-Qui... ?

-Plus tard.

Profitant de la brève diversion, il s'engouffra dans un dédale de ruelle en courant, veillant à ce que la jeune fille le suive. Moins agile, elle n'avait pas son pareil pour louvoyer entre les passants et se retrouva rapidement essoufflée, mais elle tint bon. Le garçon, dont elle ignorait le nom, ne cessait de jeter des regards alertes autour de, tout en gardant la tête froide. Il savait exactement où ils allaient, n'hésitant jamais à un croisement.

-C'est ainsi que j'aurais dû être, songea-t-elle. Prête à n'importe quelle éventualité...

Elle sentit la culpabilité lui serrer le coeur. Elle avait été à deux doigts d'abandonner. D'abandonner non seulement le leg de celui qu'elle chérissait, mais également sa liberté. Car malgré la faim, la peur, et le manque de sommeil, qui l'avaient rendu méconnaissable, elle avait apprécié ces moments où elle vivait sans la présence oppressante de son père. Même si elle ignorait tout de lui, elle remercia intérieurement le garçon, qui lui avait donné un nouveau sentiment: l'espoir. Elle survivrait à cette journée, elle s'en fit la promesse.

Son guide pila net devant un bâtiment quelconque, manquant de la faire trébucher. Avant qu'elle ne puisse poser la moindre question, il rentra à l'intérieur et se dirigea vers ce qui semblait être une cave à vins, la jeune femme sur ses talons.

-Dis-moi, comment tu...

-Tu n'as pas besoin de connaître mon nom, dit-il en se dirigeant vers un tonneau.

-Mais alors...

-C'est l'Insaisissable qui m'envoie.

Stacy en resta bouche-bée.

-Il sait que je cherche à le contacter ? Mais alors...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase, car elle s'aperçut avec stupeur que l'adolescent avait "ouvert" le fond du tonneau telle une porte. Porte qui menait à un escalier descendant, mal éclairé, lui rappelant une sensation de déjà-vu. Un étage caché.

-Vas-y, lui ordonna son bienfaiteur.

-Et toi ?

Il poussa un grognement agacé.

-Pour une fois, boucle la et fais ce qu'on te dit. Les Modérateurs arriveront d'une seconde à l'autre, tu courrait bien trop lentement pour qu'on les sème, alors rentre là dedans et cours sans te retourner.

La jeune femme ouvrit la bouche sans rien dire, choquée. D'une part parce que ce gosse de douze ans lui semblait très courageux pour son âge, et d'autres part parce que jamais, au grand jamais, un plébéien n'avait osé lui adresser la parole de la sorte.

-Je...

Elle fut interrompue par des bruits de pas précipités, ainsi que des cris.

-Oh et puis merde.

Avec une force qu'elle ne lui soupçonnait pas, il la saisit par le bras et la jeta sans ménagement jusqu'en bas de l'escalier, ou elle se ramassa avec difficulté en serrant les dents de douleur. Elle avait dû faire une chute d'une quinzaine de marches, peut-être plus. Elle vit alors avec stupeur la porte se refermer, et elle se retrouva dans le noir complet. Par réflexe, elle voulut remonter les escaliers, voir si celui qui venait littéralement de se sacrifier pour sa survie avait des chances de s'en sortir, mais une voix, glaciale, l'interrompit dans son mouvement.

-A ta place, je ne ferai pas ça. Tu rendrais juste sa mort inutile.

Quelques mots. Juste deux phrase. Mais Stacy ressentit immédiatement une peur irrépressible lui saisir le ventre. Cette voix... Elle était implacable, dénuée de toute émotion. Elle ne pouvait pas être humaine.

Son interlocuteur sortit une lampe-torche qu'il alluma, illuminant faiblement la pièce. La jeune femme pris alors conscience de deux chose.

Premièrement, ils n'étaient pas seuls dans la pièce. Quelque chose était accroupi et la regardait de ses yeux verts d'un air menaçant tout en poussant un grognement rauque. De la bave coulait à travers ses dents, et ses mains griffues, raclant le sol, semblaient prête à se déchaîner au moindre mot de son maître.

Deuxièmement, elle réalisa que cette chose, était humaine. Un adolescent châtain d'environ quatorze ans, qui se tenait accroupi sur ses quatre membres tel un chien, vêtu uniquement d'un pagne abîmé. Son corps, sec et musclé, était couvert de cicatrices. Ses yeux, cependant, ne reflétaient qu'une démence bestiale. Lorsqu'il réalisa qu'elle l'observait, il s'agita de plus belle.

C'était malsain. Contre-nature.

-Calme-toi Danny, murmura la voix, glaciale.

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