Chapitre 11: Sur les traces du fournisseur

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Evan

Evan détestait attendre. Non pas qu'il fusse impatient, mais le fait de perdre son temps créait en lui une sensation qui lui était désagréable. Chaque minute lui était précieuse, si bien qu'il ne dormait que très peu. Son regard demeurait alerte malgré tout, et ses réflexes ne lui avaient jamais fait défaut jusqu'ici.

Une sacrée aubaine, car il se trouvait actuellement dans l'antre du loup. Le 115e étage, où siégeait le Quartier Général des Modérateurs, une imposante bâtisse blanche, qui faisait également office de prison. Placée au beau milieu de l'étage, elle était l'ultime rempart entre le peuple et les nobles.

Il était venu seul. À l'instar de Jack, tous ses hommes de mains étaient activement recherchés, et n'étaient pas connus pour leur discrétion de par leur corpulence imposante. Il avait également laissé Danny dans l'une de ses cachettes, car il attirait trop l'attention.

Evan n'avait cependant pas peur ; c'était un sentiment qui lui était inconnu. Il avait appris a survivre seul depuis son plus jeune âge, et savait se défendre. Les racailles qui avaient eu la malchance de croiser sa route durant son enfance ne se comptaient plus. Ce n'étaient sûrement pas une centaine de Modérateurs armés jusqu'aux dents qui allaient l'impressionner, d'autant plus qu'il disposait d'un avantage qu'ils ignoraient.

Il attendait donc, tranquillement installés sur la terrasse d'un café assez côté au beau milieu d'une grande place animée. Il portait aujourd'hui une chemise faite d'un tissu délicat qui se fondait parfaitement dans le décor. Il avait même pris le temps de laver sa chevelure blonde et de se parfumer. Futile en temps normal, mais il n'avait guère eu le choix.

Afin de faire passer le temps, il avait commandé un cappuccino, qu'il sirotait en observant les passants. Certains étaient visiblement de la petite bourgeoisie, mais la plupart étaient des marchands. Ils déambulaient un peu partout, flânant tranquillement en ce début d'après-midi.

-Vous êtes un grand malade.

Il ne fit même pas mine d'être surpris par le nouvel arrivant, un petit homme entre deux âges à la moustache rousse particulièrement touffue, qui s'était assis précipitamment en face de lui. Après tout, il l'avait vu arriver de loin. Plus on essayait d'éviter les regards, plus on était visible pour qui savait être attentif.

-Pardon ?

-La Place de l'Antre Rouge ? Sérieusement ?

-Je ne vois pas où est le problème.

L'homme le saisit aussitôt au col et l'attira vers lui, hagard.

-Je ne risque pas ma carrière pour que vous choisissiez l'endroit le plus peuplé de la ville comme point de rendez-vous. Je vous pensais moins stupide que ça, mais je...

Sa phrase mourut dans un grognement de douleur lorsqu'une poigne de fer vint lui broyer l'avant-bras.

-C'est dans ce genre d'endroits que personne ne viendra nous soupçonner, dit Evan d'une voix froide, et surtout pas les Modérateurs. À moins que vous ne les ayez alertés en essayant d'être discret ? Il est aisé de repérer un homme au regard fuyant au milieux d'une foule de badins.

Il regarda son interlocuteur droit dans les yeux. Il le vit retenir son souffle, et sentit son pouls s'accélérer sous sa main.

-Je me contrefiche de la Milice. Vous avez osé me toucher, alors estimez-vous heureux d'avoir des informations qui m'intéressent. Si ça n'avait pas été le cas, vous auriez déjà perdu votre tête. Suis-je assez clair ?

Son contact, hocha promptement de la tête, pas rassuré du tout. Evan attendit cependant quelques secondes avant de le relâcher. Il tenait à préciser que c'était bel et bien lui qui était en position de puissance. C'était un détail qui risquait d'être très important en cas de négociation compliquée. Une fois libéré, le petit homme se frotta le poignet avec insistance.

-Bien, allons droit au but. On m'a dit que vous aviez des informations importantes à me donner.

-C'est exact. On m'a également parlé de rémunération, ajouta le petit homme d'un air hésitant.

Erreur fatale. Lorsque l'on marchandait avec la pègre, mieux valait montrer le plus d'assurance possible. Evan, de par son expérience, sut immédiatement qu'il serait aisé de le faire craquer.

-Contentez-vous de répondre à ma question.

-Mais...

Le regard glacial qu'il reçut lui ôta les mots de la bouche.

-Le fournisseur. On m'a parlé d'un certain... Archibald ?

Le petit homme se fit soudain méfiant. Beaucoup plus méfiant.

-Qui vous a dit ce nom ?

-Franklin Pins.

Son contact resta silencieux un moment, tâchant de paraître le plus impassible possible, mais Evan voyait. Evan savait. Il ressentait cette peur, voilée derrière un masque de pierre. Il reprit la parole à voix basse, dans un murmure sourd.

-Vous savez ce qui lui est arrivé, à lui et à sa famille.

-On dit que le Voyageur a eu raison de lui.

-Et le Voyageur se trouve actuellement devant vous.

L'homme le regarda un instant, avant de pousser un soupir de résignation qui fit trembler sa moustache.

-"Archibald" n'était qu'un nom de code, rien de plus. C'est un petit noble qui s'occupe de la distribution, mais ce n'est pas lui qui fournit.

-Alors...

Pour la première fois depuis leur échange, son contact eut un sourire. Mais c'était un sourire poli, crispé, presque ironique.

-Les ordres viennent de haut. Beaucoup plus haut.

Evan resta interdit, comme à son habitude, mais son cerveau se mit à carburer à toute vitesse. En une fraction de seconde, il assimila l'information, en déduit les conséquences et calcula toutes les possibilités qui s'offraient désormais à lui. Son contact ne lui apprenait pas réellement quelque chose de nouveau, il ne faisait que confirmer ses doutes.

-Bien, je vois. Et bien, merci pour votre collaboration, Monsieur Pinkel.

Le dénommé se figea aussitôt, alerte.

-Cet échange devait se dérouler sous couvert d'anonymat.

-Certes. Mais j'ai pris quelques... Précautions.

-Je suis désolé, dit-il en se levant, mais les risque est trop grand. Je vais...

-Vous n'allez rien faire du tout, imposa le jeune homme. Ou du moins, pas comme vous le pensez. Contentez-vous de vous lever tranquillement et de retourner chez vous. Au 113e, si je ne m'abuse. Votre femme et votre fils vous attendent sûrement je présume. Comment s'appelait-il, déjà ? Charlie, c'est ça ?

Au fur et à mesure qu'il parlait, le visage de l'homme prit une teinte de plus en plus pâle. Avec une lenteur millimétrée.

-Je sais ce que vous êtes en train de faire, mais me menacer n'y changera rien. Vous ne savez pas dans quoi vous vous lancez...

-Oh que si, lui sourit froidement Evan. Vous n'imaginez pas à quel point...

Laissant sa phrase en suspens, il se leva à son tour.

-Sur ce, bonne journée à vous Monsieur Pinkel.

-Je suppose que vous ne comptez pas me payer.

Il s'agissait clairement ici d'un constat, et non d'une réelle question.

-Bien sûr que si, je suis un homme de parole. Vous avez eu ce que vous méritiez, mon cher Archibald.

Et à nouveau, il le fixa d'un regard impassible. Son contact, pris de panique tenta aussitôt de se redresser, mais il se sentait patraque, affaibli. Sa vision devint trouble, et sa tête se mit à tourner.

-Que...

Alexandre Pinkel, dit Archibald, baissa la tête vers son avant-bras. Il réalisa alors que le jeune homme avait pressé sa main si fort qu'il n'avait pas senti la petite aiguille le piquer, et qu'à cet endroit précis se trouvait désormais une tâche violacée de forme circulaire, d'environ quatre centimètres de diamètre. Horrifié, il voulut crier, mais sa voix s'étouffa dans un rauque. Il commençait à avoir de plus en plus de mal à respirer, sa panique n'arrangeant rien. Puis vint le premier spasme. Il sentit plus qu'il ne vit l'agitation autour de lui, mais il était déjà trop tard. Lorsqu'une patrouille de Modérateur accourut quelques secondes plus tard, il avait le visage figé dans un rictus, les yeux exorbités et de la salive s'écoulait de sa bouche. Son coeur, quant à lui, avait cessé de battre.

Ce jour-là et jusqu'au soir, les Modérateurs quadrillèrent le secteur dans l'espoir de trouver un quelconque meurtrier, mais c'était inutile. Evan était déjà loin.

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