Chapitre 9: Cavale

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Stacy

Une semaine. Cela faisait une semaine que Stacy n'avait pas mangé. Elle avait réussi à s'abreuver plusieurs fois chaque fois qu'elle avait trouvé une fontaine, mais n'osait pas voler de la nourriture. Si les Modérateurs débarquaient, elle était fichue.

Elle s'était réveillée dans cet étage mystérieux. Elle avait clairement conscience qu'elle n'aurait jamais dû découvrir cet endroit, et avait soudainement pris peur. Elle avait tenté de prendre la fuite dès son réveil, mais ses jambes n'avaient pas réussi à la porter. Elle s'était alors traînée tant bien que mal dans ce qui restait de son vomi, au milieu des cris des folie, de celles qui crachaient où urinaient sur son chemin, des odeurs indescriptibles et des horreurs au delà de l'imagination. Car elle avait bien vu, comment elles survivaient. D'où provenait leur nourriture et leur source d'eau.

Elle s'était ensuite écroulée, épuisée. Elle avait besoin d'attendre que son corps assimile le trop-plein d'informations. Mais cette fois-ci, elle était restée éveillée. Elle avait conscience de chaque sensation, du temps qui semblait s'écouler au ralenti. Elle était restée ainsi cloîtrée des heures durant, peut-être même une journée entière. A moins que ce ne soit une nuit entière ? Elle l'ignorait.

Elle en avait profité pour faire le point. Sa mère, ainsi que Théo, les deux êtres les plus chers à ses yeux, étaient désormais tous les deux décédés. Cette fois-ci, elle était vraiment seule. Ce fut sans doute la nouvelle la plus difficile à avaler. Stacy n'avait pourtant pas le temps de faire son deuil, car elle était pleinement consciente de sa situation.

Visiblement, son précepteur faisait partie du fameux Mouvement Révolutionnaire, qui causait tant de soucis à son père. Le fait que sa mère était également un ancien membre ragaillardit légèrement la jeune femme. En choisissant la voie de la fuite, elle marchait sur les pas de sa génitrice. Car Stacy en était désormais persuadée, quelque chose n'allait pas dans le système que son père protégeait. L'existence même de cette pièce, de cet étage caché, en était un exemple.

Ce fut avec effarement qu'elle s'était remémorée chacune des servantes qui avaient été "récompensées". Elle ne connaissait que le personnel de sa propre Maison, mais elle était sûre et certaine que tous les nobles, du moins les hommes, étaient dans la confidence. L'effarement s'était ensuite transformé en un élan de compassion, avant de se muer en un profond dégoût. Elle s'était relevée, époussetant ses vêtement. Elle s'était aperçue, avec surprise, qu'elle serrait encore dans son poing le morceau de papier que Théo lui avait confié. Elle avait bien évidemment essayé de lire les quelques formules physiques qui y étaient inscrites, mais elle n'y comprenait rien. Mais cela l'avait ragaillardie. Elle s'était redressée avec assurance, bien décidée à trouver ce fameux Insaisissable. Elle comptait bien recevoir des explications, notamment sur sa mère.

Déterminée, La jeune femme s'était avancée dans le dédale de cages. Elle avait baissé les yeux, respiré avec la bouche, et s'était efforcée d'ignorer les cris des femmes enfermées. Elle ne pouvait rien pour elles, et cet endroit la débectait déjà. Sans s'en apercevoir, elle était allée bien loin de la sortie la veille, si bien qu'elle avait mis une bonne vingtaine de minutes à atteindre la porte.

La suite des événements s'enchaîna plutôt vite. Elle avait repris l'escalier en colimaçon, qui descendait vers le bas, et était ressortie derrière une petite échoppe, dans une ruelle du 119e. Elle avait ensuite réfléchi très rapidement. Logiquement, les gros cadors du Mouvement Révolutionnaire ne se trouvaient pas dans les étages supérieurs, où les Modérateurs avaient placé leur quartier général. Elle devait donc descendre tout d'abord vers les étages marchands, et mener sa petite enquête.

Un petit coup d'oeil à sa tenue, ainsi que l'odeur qui s'en dégageait, lui avaient tiré une grimace. Des relents de sueur et de vomi émanaient du délicat tissu, qui était tâché de toute part. Stacy avait donc décidé de changer de tenue, pour paraître la plus discrète possible. Elle s'était donc faufilée par la fenêtre d'une petite maison, non loin de la ruelle où elle se trouvait, et s'était changée à la hâte, laissant ses habits sur place et ne conservant que ses chaussures. Par chance, elle avait trouvé un jean noir presque à sa taille quoi qu'un peu long, mais un simple ourlet avait réglé le problème. Elle avait également trouvé un t-shirt assorti, ainsi qu'une veste brune un peu large. Elle avait également mis la main sur un peu de monnaie, qu'elle comptait bien économiser.

Elle s'était ensuite dirigée vers l'extrémité Sud de l'étage. De part et d'autres de chaque pallier de la Tour, respectivement au Nord et au Sud, se dressaient en effet deux immenses piliers, partant du sol jusqu'au plafond, épais d'environ quatre mètres de diamètre. Il s'agissait de l'Ascenseur, le seul moyen connu permettant de voyager entre les étages. L'un servait à descendre, l'autre à gravir un étage. Leur rôle (Nord ou Sud) alternait à chaque étage. Ainsi, gravir la totalité de la Tour mettait beaucoup de temps, car il fallait traverser toute une ville pour passer d'un ascenseur à un autre.

Car la Tour, immense, comptait (du moins officiellement) un total de 121 étages, divisés en 5 parties aux fonctions précises.

Les étages inférieurs alimentaient la Tour. C'était la zone industrielle de la cité géante. On y trouvait usines et centrales électriques, ainsi qu'une gare routière permettant des expéditions à l'extérieur, vers les mines.

Juste au dessus, on trouvait les serres et les fermes d'élevage, qui servaient de garde-manger aux habitants. Les Agriculteurs, qui habitaient la même zone, étaient chargé de leur entretien.

Venaient ensuite les étages où vivaient la majorité de la population. Nombreux étaient ouvriers dans les usines, tandis que d'autres travaillaient dans les mines. Cependant, la plupart gagnaient leurs vies de diverses façons différentes, et menaient une vie simple et tranquille.

Plus haut se trouvaient les étages des Marchands, la "banlieue". Dans l'échelle sociale, ils se trouvaient juste en dessous des nobles, avec qui ils interagissaient de façon récurrente. C'étaient eux qui recevaient les ressources venues des quatre coins de la Tour, avant de les redistribuer contre de l'argent. Ils géraient l'économie et fixaient les prix.

Les deux "quartiers supérieurs" se dressaient juste au dessus. Dans le premier vivaient les Modérateurs et leurs familles. Ils représentaient la milice de la Tour, et étaient l'incarnation du pouvoir et de l'influence des Administrateurs, à qui ils obéissaient au doigt et à l'oeil. Ces derniers vivaient d'ailleurs juste au-dessus, dans les quartiers des nobles. Au nombre de trois, ils étaient chargés par l'Eglise (installée au 121e étage) de maintenir l'ordre.

La jeune femme savait que par mesure de sécurité, une patrouille de Modérateurs gardait l'ascenseur au 95e et au 96e, qui constituaient la limite entre leurs quartiers et celui des Marchands. Ce serait le point le plus difficile à franchir, et si son père était à sa recherche, cela lui serait impossible.

Car elle était certaine qu'il s'était déjà aperçu de sa disparition. Logiquement, il ne pouvait pas savoir qu'elle avait découvert le passage secret, mais s'il l'apprenait...

Bien déterminée à lui échapper, elle était ainsi descendue, étage par étage, le plus discrètement possible. Elle avait ainsi passé une semaine à dormir dans des ruelles peu agitées, à éviter les patrouilles et à boire l'eau des fontaines pour éviter de se déshydrater. Par peur de se faire repérer, elle hésitait à chaparder de la nourriture. Le peu de monnaie qu'elle avait sur elle lui servirait plus tard, pas maintenant.

Son estomac criait famine, et elle se sentait dépérir, perdre des forces. Néanmoins, cette situation lui évitait de trop réfléchir à ce qu'elle avait vu durant cette fatidique soirée. Elle lui permit, notamment, de relativiser et faire son deuil, et c'est ainsi que dix jours après sa fuite, elle se retrouva au 96e, bien décidée à éviter la patrouille.

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