Chapitre 30 - ALEXY

7 minutes de lecture

le 09/03/2022 et le 10/03/2022

« C’est hors de question ! »
Sauf que je ne laisserai plus jamais personne me dicter ma conduite, mes décisions, mes actes, mes pensées… cela m’appartient à présent.
Je n’en aime pas plus mon corps : au fond ne pas être une erreur de la nature n’en efface pas moins tous mes souvenirs. Parce que oui, je les considère encore comme mes souvenirs, ma vie, ce qui fait de moi ce que je suis, le bon -même s’il est rare - comme le mauvais, même après les révélations simples, précises, d’Allen, que j’ai mis plus d’une heure à assimiler une bonne fois pour toutes.
« Et pourquoi ça ? Tu vois peut-être une autre solution ? Sacha connaît la vérité, et à cause des puces, nous n’avons pas la moindre chance de convaincre la moindre personne de nous croire. C’était d’ailleurs le but de cette mission en premier lieu, n’est-ce pas ? Et c’est toujours valable, alors nous n’allons pas abandonner, peu importe qu’ils aient pris de l’avance sur nous. Nous allons retourner la situation à notre avantage, et c’est à ma manière que nous le ferons. J’ai causé tout ceci, je le réparerai. »
J’ai particulièrement mal au poignet quand je termine d’écrire. Des puces qui contrôlent le cerveau des hommes, apparemment chimiquement différents de celui des femmes, faisant de moi la seule personne à pouvoir y résister. La seule ?
Pas précisément, puisqu’il apparaît que je ne suis ni la dernière, ni la première femme. Et même loin de là !
Je ne suis pas née dans une Maternité, mais bien naturellement, grandissant dans le ventre d'une mère humaine, et si l'Organisation ne m'avait pas arrachée aux griffes du Gouvernement, j’aurais connu le même funeste sort qu’elle.
La Guerre Fatale n'était pas une guerre nucléaire. Les sept Leaders qui dirigent actuellement les sept dernières villes sur Terre sont les descendants des instigateurs de cette folie. Des hommes qui pensaient que les femmes ne méritaient pas de vivre, qu'elles polluaient la race humaine. Que seule la part masculine de l'humanité pouvait survivre. Ils voulaient créer une race supérieure, aux compétences améliorées, et l'extermination des femmes en était la pièce centrale, de même que celle de tous les opposants.
Mais quand les hommes ont mis en place le Nouveau Système par la force et le mensonge, ils n’ont pourtant pas pu se résoudre à aller jusqu’au bout, pas pu se résoudre à appliquer leur propre idéologie. Par désir de montrer leur pouvoir, par envie ou par plaisir de prouver leur supériorité ? Je n’aurai pas les réponses à ces questions dans l’immédiat. Mais toujours est-il qu'ils ont conservé un certain nombre de femmes pour assurer leur descendance de manière pure. Ils ne voulaient pas que leurs successeurs naissent parmi les machines. Ils voulaient que leurs gènes soient transmis à leurs enfants. Ils voulaient le pouvoir total. Dans chaque Quartier du Gouvernement a ainsi vue le jour la plus horrible des prisons, enfermant à l'intérieur les dernières survivantes féminines de la race humaine.
C’est là que je suis née, de même qu’Allen, les filles suivant le même chemin que leur mère, et les garçons élevés puis cruellement sélectionnés pour assurer la succession de leur père. Mon… mon frère biologique ne m’a rien dit des conditions de vie de mes semblables là-bas, mais à en croire le dégoût qui perçait sur ses traits, je peux sans peine imaginer qu’elles sont traitées en bête de sexe, en moins que rien, en vulgaires objets qui ne méritent pas de vivre mais sont là tout de même par nécessité.
Je le crois, aussi incroyable son histoire puisse-t-elle paraître, car elle s’emboîte et éveille certains de mes rubans comme il m’est arrivé si souvent de le ressentir à son contact. Tous les détails qui ne faisaient aucun sens auparavant trouvent chacun une explication à présent : notre ressemblance frappante, et bien sûr les rubans qui m’apparaissaient comme étrangers parce qu’on m’a effacé la mémoire, en vue d’une mission que je n’ai pas pu remplir à cause de l’intervention de Sacha.
Savoir que j’ai moi-même consenti à m’engager dans une machination aussi vaste, et aux enjeux bien plus importants que ceux dont je croyais qu’ils tournaient autour de moi à peine quelques heures auparavant, me donne le tournis. Les informations qu’Allen m’a enfin données sont certes assommantes, mais je devine qu’elles ne représentent qu’une minuscule fraction de la vérité. Elles ne me disent par exemple rien de la personne que j’étais avant : correspondais-je plus à la petite Alexy enfermée à l’intérieur, ou est-ce au contraire la personnalité de l’ancienne moi qui a refait surface lors de mon enfermement pour me sauver de l’inévitable ?
Une Alexy qui ne s’appelle d’ailleurs pas comme ça, puisque mon vrai prénom est Astrid. S’il me fait écho dans un certain sens, sans mes souvenirs manquant je serais bien incapable de m’habituer à ce qu’on m’appelle ainsi. Et puis, la manière si féminine dont il sonne me perturbe profondément : dans mon ancienne vie, j’étais peut-être à l’aise avec mon corps de femme, rebelle aguerrie de l’Organisation, mais ça ne change rien actuellement. Alexy est ma zone de confort. Je suis tout de même prête à faire payer le Gouvernement par tous les moyens possibles, mais en restant telle que je suis pour l’instant malgré tout le mal que cela me cause. Je n’ai pas encore eu assez de temps pour réfléchir à cette nouvelle identité.
Et c’est d’ailleurs parce que mon avis est la seule chose à ne pas avoir varié d’un pouce que je continue d’insister auprès d’Allen. Qu’il soit mon frère – je n’arrive toujours pas à m’y faire – rend plus claire la manière dont il se rapproche souvent de moi, tout simplement parce qu’il doit être habitué à une proximité complice, mais aussi sa volonté féroce de me protéger. Mais aujourd’hui, je n’ai besoin de personne pour surveiller mes arrières, et son obstination représente le premier de la longue liste d’obstacles à abattre.
Je ne peux pas nier que mon plan est bancal et vacillant, sans aucune stratégie réelle et reposant complètement sur l’improvisation du moment. Un imprévu et il partira en fumée. Sauf que pour l’instant, c’est le seul plus ou moins potable que nous ayons à disposition, et nous avons besoin de décider de la suite des évènements le plus rapidement possible. Nous avons essayé de maintenir une conversation orale durant tout ce temps, avec peine, irrégulièrement et de mon avis de manière bien peu convaincante et nous devons maintenant mettre un terme à l’hésitation.
« J’irai, et c’est indiscutable, Allen. »
Certaines personnes sont plus attentives et plus disposées lorsqu’on insiste sur leur prénom : je sais que c’est mon cas car cela m’ancre dans la réalité quelques secondes de plus, mais des secondes intenses et précieuses. J’espère qu’il raisonne de la même façon que moi.
Il me regarde à nouveau avec les yeux de chien mouillé de tout à l’heure, lorsqu’il m’a annoncé la vérité dans les grandes lignes avant de développer avec le minimum de détails. Et malgré notre lien de fraternité tout nouveau, qui ne veut au final pas vraiment dire quelque chose pour l’Alexy qui a grandi dans un monde de Maternités, cet air me crispe. Je n’ai aucune pitié lorsque je me fais la réflexion qu’il se trompe lourdement sur moi s’il croit que j’ai besoin d’être couvée comme il le fait depuis notre rencontre. Notre deuxième rencontre.
Savoir qui je suis supposée être, même si cela ne réveille que de vagues émotions au fond de moi qui n’arrivent pas à remonter à la surface, suffit pour me convaincre que je suis capable d’endurer tout cela. Je suis capable d’aller de l’avant, je suis capable de me battre pour ma possibilité de futur, car je ne serais pas parvenue jusque là autrement.
Dans une autre vie, j’ai fait un choix, un choix qui m’a changée à jamais, sans, je pense, vraiment considérer les conséquences de cet acte. Dix-sept années de souvenirs horribles implantés pour rendre mon cœur aussi noir et lourd que des restes noircis. De la douleur, de la haine, du dégoût. Mais aussi de la force, la même force qui me permet de résister à la puce, parce que je n’en serais pas non plus là si je n’étais pas… une femme. Ce n’est pas le corps dans lequel je suis née qui détermine ma personnalité, simplement le fait que pour la première fois je me sens femme, et je sais que mon courage vient de cette partie de moi.
Ce constat m’arrache un léger sentiment de fierté, minuscule, imprévisible, mais tenace, aussi tenace que ma lueur.
Je sens pourtant que mon argumentaire n’a pas encore totalement convaincu Allen, dont l’accord, aussi frustrant que cela puisse être, est absolument indispensable pour mettre en route cette nouvelle mission. Dans cette histoire, il est au moins vrai que nous n’avons pour l’instant aucun moyen de contacter l’Organisation, et que leur homme infiltré à Paris est notre seul moyen de les joindre. Or, sans leur support, je n’irai pas bien loin.
« Je reviendrai. »
C’est une promesse, venue du fond d’un cœur étranger mais pas inconnu, un cœur qui tient et tiendra toujours à Allen, un cœur qui comprend sa douleur de me voir partir par-delà la rage du manque de confiance qu’il m’accorde.
Ainsi, même si en cet instant je ne pense pas vraiment les mots qui s’étalent sur le papier, je sais que je ferai tout pour ne pas briser ma parole.

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