Chapitre 2 - ALEXY

8 minutes de lecture

le 26/04/2020 et le 27/04/2020 & le 18/02/2022

J'ai l'impression désagréable d'être plongée dans du coton.
Je ne peux pas bouger, c'est comme si j'étais paralysée par le produit qu’on m’a injectée, dans le complexe.
Je peux sentir mes cheveux tomber sur le sol, chaque mèche bouclée s'écrasant par terre avec la légèreté d'une plume. Puis l'homme commence à me tatouer.
Quoi ?
Non, c'est impossible.
Plusieurs mois ont passé depuis ce moment. Je ne suis pas dans une des salles SV, je ne suis même pas dans le bunker. Je suis libre.
Mais non, sinon je pourrais bouger à ma guise. Quelque chose... quelqu'un m'immobilise à terre. Un poids lourds qui m'empêche de me soulever du sol.
Un poids lourd ? Mais que se passe-t-il ? Où suis-je ? Oh mon dieu, ils m'ont retrouvée, tout me revient!
En fait, mes premières impressions étaient bonnes. Je suis bel et bien revenue au bunker, et quelqu'un est peut-être même en train de raser une fois de plus mes cheveux. Je dois faire quelque chose. Je ne peux pas laisser mes efforts être anéantis en quelques secondes. Vite! Avant qu'ils ne renforcent la sécurité de nouveau... Je suis stupide, ils ont déjà pris de nouvelles mesures.
Il est trop tard.
J'ai laissé filer ma chance.
Et ce n’est pas la première fois.
- Alexy!
- Alexy!
- Alexy!
Soudain mon prénom résonne dans mon crâne, comme répercuté mille fois par un écho étranger.
- Alexy!
- Alexy!
- Alexy, réveille-toi!
- Alexy, nous devons partir!
- Alexy!
- Alexy, il faut y aller.
- Alexy, réveille-toi!
- ASTRID!
Comme un électrochoc, ce dernier mot me propulse enfin hors de la brume. Astrid... Pourquoi ce nom m'est-il si familier ? Personne ne s'appelle ainsi. Et pour cause... c'est un prénom qui sonne étrangement féminin à mes oreilles.
Alors pourquoi évoque-t-il tant de sensations en moi ? Pourquoi les rubans gris et noirs, ceux qui me sont inconnus, sont comme réveillés à sa mention ?
Un éclair me traverse.
Je sens mon corps s'arc-bouter, mes épaules s'enfoncer dans la terre.
Et je pars.

Recroquevillée dans la position du foeutus, je fais face à un mur gris, pas particulièrement chaleureux mais pas non plus inhospitalier, simplement très familier.
Je mets un moment à réaliser qu’une main douce et lisse est posée sur mon épaule… une épaule nue. Peau contre peau. Un contact bien trop intime à mon goût, mais qui ne semble m’inspirer aucune gêne, plutôt du réconfort.
La personne derrière moi finit par rompre le contact après un long silence, et lorsque sa main apaisante quitte mon épiderme, elle y laisse une sensation de froid et de vide. Je voudrais lui dire de revenir, mais ce n’est pas moi qui commande mes lèvres.
- Je serai toujours là pour toi, affirme une voix rassurante, bien qu’aussi un peu tremblotante.
Une larme unique roule et va se perdre dans mes cheveux.

Je m'étouffe à moitié lorsque les images disparaissent enfin de mon esprit, mais les sensations, les pensées, les odeurs, elles, sont toujours là. Et je constate que dans l’immensité de mon subconscient, l’un des rubans inconnus, d’un rose pâle, m’évoque soudain quelque chose. Je deviens véritablement folle, ça y est, j'ai définitivement basculé de l'autre côté de la ligne.
Une douleur cuisante à la joue m'arrache à la confusion.
J'écarte les paupières au maximum et j'ai l'impression que mes yeux vont littéralement sortir de leurs orbites.
Je cherche de l'air à grand peine, happant autour de moi mais c'est comme si j'étais dans l'eau. Je n'arrive plus à oxygéner mes poumons, je vais m'asphyxier dans quelques secondes si je ne reprends pas ma respiration. J'ai beau aspirer, mon système respiratoire est complètement bloqué.
- Respire. Respire.
Une voix confiante m'enveloppe soudain. Elle atténue la pression et la peur.
- Respire.
Et soudain, l'air retrouve enfin le chemin de mes poumons, ma poitrine s'abaisse et se soulève, je reviens à la vie.
- Je suis là.
Je ne ressens aucune agressivité dans ces intonations, seulement un grand calme.
Ma vision se précise et un second choc me foudroie. Je suis face à moi-même.
Au-dessus de moi se penche une tête brune à l'abondante chevelure bouclée. Deux petites fossettes ornent des joues rondes et un visage d'une douceur telle que je ne peux que me sentir chez moi, terminé par un menton en pointe singulier. Des lèvres roses et fournies où le sang fait pulser la vie. Une peau hâlée, métissée, dont la teinte est exactement la même que la mienne.
Mais surtout, deux énormes yeux dignes d'un manga, d'un gris nuageux qui ne trompe pas.
Le temps que l'ébahissement laisse enfin place à des réflexions sensées, je commence toutefois à noter des différences. Infimes, certes, mais des différences assez nombreuses pour que je reprenne enfin le contrôle de mon corps.
Oui, ces joues aux angles arrondis ressemblent aux miennes, de même que la forme globale de son visage, mais je n'ai pas de fossettes, même quand je souris. De plus, ses traits sont tirés, tout comme les miens, mais pour d’autres raisons que je ne suis pas en état d’identifier pour l’instant, avec de grandes poches sous ses yeux striés de minuscules veines rouges. Ces lèvres pleines me sont familières, mais elles n'ont pas ce petit défaut qui fait que leur coin droit s'affaisse légèrement. Le grain de sa peau ne semble-t-il pas plus rugueux, plus sec que le mien ? Son front est plus haut que le mien. Et ces prunelles qui me troublent temps, ne sont-elles pas cerclées d'un liseré bleu que les miennes ne possèdent pas ?
Et surtout, différence notable que je n'aurais pas pu constater auparavant, aucune cicatrice ne court de son menton à sa tempe.
Ma respiration, encore oppressée, se libère enfin complètement.
- Ça va ? me demande l'étrange apparition.
Je prends alors totalement conscience du contact de ses bras sous moi, de mon corps qui repose entièrement sur une masse chaude et musclée, et c'est mon instinct de protection qui se réveille. Personne ne m'a jamais touchée ainsi, aussi proche, sans méchanceté. Je ne l'ai autorisé à personne, je n’ai fait que le subir sous la contrainte.
- Lâche-moi! Lâche-moi immédiatement! je crie, paniquée, en sentant ma poitrine se vider à nouveau de son air.
Son regard passe de la compréhension à la douleur. Comment ai-je pu le blesser autant avec de simples mots ? Je ne le connais même pas!
Mais il accède à ma requête sans dire un mot, me reposant délicatement sur le sol. Il s'assoit sur les genoux et me contemple tandis que je me dépêche de me redresser. Je lui lance un regard méchant, méfiant, puis je réalise ce qu'il vient de faire.
Il a obéi, il a pris le risque que je m'enfuie.
Ses paroles, avant que je ne m'évanouisse, me reviennent en mémoire : Astrid, je ne suis pas ton ennemi! Je fais partie de l'Organisation!
Et je ne sais pas pourquoi, à ce moment précis, je le crois, ce qui n’en fait pas moins de lui mon ennemi mais après tout... s'il fait vraiment partie de cette fameuse Organisation, que le Gouvernement est prêt à tout pour arrêter, ne sont-ils pas les mieux à même de me protéger contre le démon que j'ai réveillé ? L'ennemi de mon ennemi est mon ami.
Je me recule d'une vingtaine de centimètres pour pouvoir mieux l'observer. A part les ressemblances physiques évidentes, nous sommes strictement opposés. Ma méfiance contraste fortement avec son regard ouvert et très sincère, et la douleur que je peux y lire à mon égard avec mon envie de le neutraliser immédiatement. Je devine qu'il a environ mon âge, peut-être un peu plus même. Il porte une veste de camouflage militaire verte, des vêtements de l'ancienne armée. Puis mes yeux se posent à côté de lui, où une mitraillette semble me narguer.
Je me glace.
Evidemment qu'il m'a lâchée lorsque je lui ai demandé puisqu’il a largement les moyens de m'arrêter par la suite. Je n'ai plus qu'une seule solution : coopérer en espérant, en priant pour que mon intuition soit juste et qu'il fasse vraiment partie de l'Organisation. Je ne sais pas quoi dire. De toute manière, il ne répondra sûrement pas à mes questions.
Puis, un deuxième élément me frappe. Lorsqu'il m'a interpellée, il n'a pas dit Alexy. Enfin, si, au début. Mais peu avant que je ne m'évanouisse, il m'a alors appelée Astrid. Je m'en souviens parfaitement, tout comme je me souviens de la panique dans son regard à ce moment-là. Les mots sortent de ma bouche avant que je puisse décider si c’est avisé, mais comme toujours je suis plus contrôlée par mes émotions que l’inverse :
- Tout à l’heure, tu m’as appelée Astrid. Pourquoi ?
Ses yeux gris, si semblables aux miens, se troublent. On dirait que les nuages à l'intérieur se sont épaissis encore plus. Le liseré bleu disparaît, mangé par le mauvais temps.
- Je ne t'ai jamais appelée ainsi. Nous savons que tu t’appelles Alexy.
Pour je ne sais quelle raison, peut-être la dureté excessive dans ses paroles, je sens qu'il ment. Je n'ai jamais eu et n'ai pas d'hallucinations. Même sous l'effet de l'adrénaline et de la peur, je sais très bien ce que j'ai entendu. Je ne peux pas me tromper, sur cela je n'ai aucun doute.
- Si, j’en suis sûre.
Mais qu'est-ce qui me prend d'insister ? Même en admettant que j’arrive à lui arracher les vers du nez, ce ne devrait pas être ma première préoccupation. Il y a un million de questions plus intéressantes à poser, comme par exemple comment l’Organisation m’a retrouvée, et si je tiens absoluement à cette foutue histoire, comment connaissent-ils mon vrai prénom ?
Et puis peut-être n’est-ce qu’une erreur de langage après tout, peut-être mes sens sont-ils émoussés par tout ce qui vient de m’arriver, y compris cette étrange vision… encore un mystère à élucider, qui se rajoute sur une pile déjà pharamineuse. Alexy et Astrid se ressemblent un peu au niveau de la prononciation. Dans l'action, il a pu les confondre.
- Puisque je te dis que je sais comment tu t'appelles! Arrête d'insister, tu ne trouves pas qu'il y a des choses autrement plus urgentes à régler ? Comme par exemple la DFAO qui est en ce moment même à nos trousses et qui ne devrait plus tarder à nous retrouver. Après ton évasion que j’imagine spectaculaire, si nous restons au même endroit, nous allons nous faire prendre. Alors maintenant, fais-moi confiance et lève-toi. On doit partir.
Son discours musclé, un brin exaspéré, mais surtout inquiet, me fait soudain comprendre l'urgence de la situation. Il n'a tort sur aucune des choses qu'il vient de me crier. Et maintenant, j'ai le choix entre faire ce qu’il m’ordonne, ou prendre le risque d'ignorer ses avertissements. Mais au final, ai-je vraiment le choix, me rappelle la mitraillette posée sur le sol ?
La promesse que je me suis faite de faire payer le Gouvernement se rappelle à moi. Ainsi donc, je suis face à l’Organisation, mot qui m’a hantée pendant des semaines sans que j’en comprenne sa signification réelle, et cause de tant de souffrances. Quel que soit ce qu’ils défendent vraiment, je vois en eux un allié potentiel dans la volonté inexplicable qui m’anime de réduire le monde entier en cendres.
J’assène fermement, d'un ton sans appel :
- On prend mon rover.
- Evidemment, se contente-t-il de répondre en haussant les épaules, comme si c'était une évidence, avant de brusquement se rembrunir.
- Mais avant tu vas m’aider à réparer les dégâts que tu as causés.

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