Chapitre 23 - ALEXY

9 minutes de lecture

le 10/04/2020 et le 19/04/2020 & le 17/02/2022

Alors que la fatigue commence à me rattraper dangereusement pendant cette attente interminable sur laquelle se joue littéralement ma vie, celui qui semble être le plus haut gradé se retire lentement dans les ténèbres, sans pour autant que ses compagnons suivent encore le mouvement. Je décolle légèrement le pistolet de ma tête et l'agite de haut en bas, presque imperceptiblement mais suffisamment pour qu'ils le voient. Leur chef continue de reculer à pas lents et lance soudain :
- Faites ce qu'elle dit. Et que personne ne touche à sa radio, ou avant d'avoir affaire à la hiérarchie, c'est à moi que vous devrez répondre. Exécution!
Voyant que ses paroles n'ont pas plus d'effet que son geste, il crie de manière contenue :
- Tout de suite!!
Et enfin, ils se retirent un à un dans le tunnel jusqu'à disparaître complètement de ma vue.
Alors, je lâche l'immense soupir que je retiens depuis le début, et je m'accorde une légère pause tout en abaissant très lentement mon bras. Je sens l'arme cogner contre ma cuisse, mes doigts tremblent tellement que je suis sur le point de la lâcher.
Je sais bien qu'il me reste encore tant de dangers à traverser jusqu'à la liberté, que derrière cette porte il y a sûrement encore des soldats, et non pas simplement... le dehors. Mais j'ai besoin de ce petit temps de repos si je ne veux pas m'effondrer.
Une, deux, trois respirations, longues, posées. Contrôlées.
Et comme si j'étais encore dans ma douche, à la Résidence, je commence le compte à rebours pour réussir à m'extirper de sous l'eau chaude. Quant j'atteins cinq, je ralentis consciemment le rythme. Les secondes passent tellement vite, mais je n'ai pas d'autre choix que de les laisser filer entre mes lèvres.
4...3...2...1...
Je suis tentée de recommencer à partir de trois. Rien que trois petites secondes, ça ne peut pas faire de mal, et puis, c'en est trois de plus pour reprendre mon souffle. Mais à ma respiration de nouveau régulière, je sais que je suis en état de continuer la route. Je ne peux pas me faire des raisons plus longtemps.
0.
Je m'arrache du mur contre lequel je glissais petit à petit pour me retourner et, sans perdre une seconde de plus, sans me laisser une seule autre occasion de baisser les bras... je fais coulisser le badge dans la fente, qui vire du rouge au vert.
Déclic.
La porte s'entre-baille d'un millimètre sous ma paume.
Elle est bel et bien ouverte.
Et pourtant, qui sait ce qui se cache derrière ? Je ne peux pas affirmer que c'est la sortie en me basant uniquement sur ces panneaux EXIT que j'ai suivis, et c'est pourtant ce que j'ai fait. Cependant, avais-je un autre choix ? Je ne connais pas cet endroit, à part le couloir que j'ai arpenté tous les jours, alors cette solution est assurément mieux que de simplement me perdre dans les tunnels sans aucune logique. Ici au moins, j'ai quelques chances de réussite.
Après un coup d'épaule hésitant, à la fois fort et faible, représentation physique de mon indécision, je suis de l'autre côté, et le battant se referme dans mon dos tandis que je serre le passe si fort dans ma main que j'ai l'impression qu'il me découpe littéralement la peau.
Toujours au ralenti, j'observe ce qui m'entoure, la peur au ventre, pour découvrir que je suis dans une sorte de sas de décompression de forme allongée et aux murs blindés. Au-dessus de ma tête, l'éclairage diffuse sa lumière violente. A quelques mètres devant moi se dresse une autre porte dont la partie supérieure est faite d'un verre opaque et sûrement blindé. Et près de cette porte, ce n'est plus un boîtier qui m'attend, mais une série de boutons.
Je m'approche, toute mon hésitation et mon angoisse oubliées, pour passer un doigt aussi léger qu'une plume sur le haut du cadrant. Je sens la poussière s'accrocher à ma peau rugueuse. Depuis combien de temps cet endroit est-il inutilisé ? Ce n'est assurément pas la seule issue, aucun constructeur n'est assez bête pour ne concevoir qu'une sortie à un bâtiment, quel qu'il soit. Mais alors pourquoi celle-ci est-elle aussi peu fréquentée ?
Je contemple alors les boutons, et je me rends compte que je ne sais absolument pas comment m'en servir. Si je me trouve, comme je le suppose, dans un sas de décompression, chacun d'entre eux peut activer une réaction en chaîne, autant pour me tuer que pour me libérer. Je cherche frénétiquement dans chaque coin de mon cerveau la manipulation qui me sauvera, comme si cela suffisait à déclencher un nouveau talent.
Mais si j'ai manifestement un don pour les armes à feu, ce n'est pas le cas cette fois. Je vais devoir trouver sans l'aide de cette partie de moi inexplorée qui semble si entraînée pour certaines tâches.
Au centre, un gros bouton rouge me nargue. Il semble à la fois me menacer et me défier d'appuyer.
Je tergiverse de longues secondes, puis finis par choisir la voie la plus simple : après tout, je n'ai pas le temps, et les petits boutons sont forcément moins importants que le gros, non ? C'est donc logiquement lui qui ouvre la porte sans autres étapes intermédiaires.
Non, pas du tout, me souffle la voix de la raison. Ce n'est absolument pas un raisonnement valable, rien n'est sûr! Mais comme je l'ai fait en suivant les panneaux EXIT, je décide que le chemin le plus rapide est le meilleur dans cette situation. Je n'aurai pas d'illuminations, et le fait est que je ne sais pas me servir de ce sas de décompression.
J'écrase mon doigt de toutes mes forces sur l'interrupteur, en m'imaginant peut-être qu'y mettre toute ma rage et mon désir de m'en sortir suffira à influer sur l'électronique.
Et c'est l'attente.
Au bout de dix secondes, il ne s'est toujours rien passé.
Ni incident, ni ouverture de la porte.
Juste rien.
De grosses gouttes de sueur roulent sur mon front, puis me piquent amèrement les yeux. Pourquoi ne se passe-t-il rien ? Il y a forcément une répercussion à ce que j’ai fait, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Mais ce silence, cette immobilité ?
Je m'apprête à réitérer mon geste, peut-être même appuyer sur d'autres boutons, lorsqu'enfin un son déchirant fait repartir mon coeur. Ce ne sont pas le bruit presque imperceptible et le léger déclic qui accompagnent normalement l'ouverture d'une porte.
Le mécanisme manifestement rouillé et les grincements stridents qui déchirent mes oreilles dénotent particulièrement dans cet univers moderne où tout semble parfaitement silencieux et contrôlé. Même avant mon kidnapping je n'avais jamais vu ou entendu un système aussi ancien.
Les deux battants s'écartent lentement, par saccades. Ils coulissent sur le sol, poussiéreux comme tout ici, et finissent enfin par rentrer complètement dans le mur, dévoilant à ma vue stupéfaite une énième porte, celle-ci cependant munie, comme les autres, d'un boîtier à fente. Je m'y précipite, soudain prise de frénésie, horrifiée à l'idée étrange que le sas se referme sur moi et qu'il ne se rouvre plus.

Je pleure.
Je pleure, et ça suffit à exprimer tout ce que je ressens.
La tristesse que ce que je vois fait remonter, l'étonnement du paysage qui s'offre à mes yeux embués, mais plus que tout, dominant… la joie. Du bonheur pur comme je n'en avais jamais ressenti auparavant. Le bonheur qu'on ne peut connaître qu'en retrouvant quelque chose que l'on ne savait pas infiniment précieux avant d'avoir cru le perdre pour toujours.
Le bonheur de la liberté.
Je ne savais pas ce que voulait dire ce mot avant aujourd'hui. Je n'en avais jamais eu pleinement conscience. Je ne faisais qu'imaginer son sens, alors même que je le vivais malgré la prison que représentait ma vie. Comme pour tant d'autres choses, comme pour tous ceux qu'on aime, on ne peut ressentir complètement la force de nos sentiments qu'en perdant l'objet de notre joie.
Des arbres, une forêt à la croissance accélérée après les bombardements qui ont tout réduit à néant. Mais une forêt tout de même, qui s'étend à perte de vue après la clôture électrifiée, dernier obstacle à ce plan insensé.
Et à la place de gardes, garés contre l'immense bâtiment... une dizaine de voitures blindées dont les roues énormes semblent conçues pour les terrains difficiles. J'hésite quelques instants, pèse le pour et le contre : une étrange force me pousse vers les voitures, je ne peux pas lui résister. Et, comme j'ai combattu les gardes, je sens au fond de moi que je serai capable de piloter ces engins monstrueux.
Grâce à mon coup de théâtre, j'ai gagné un peu de temps, mais mon sursis ne sera pas éternel. Un bien pour un mal. Je perdrai certes du temps à aller chercher l'un de ces range rovers, mais j'économiserai une énergie incroyable en me déplaçant avec ça plutôt qu'avec mes jambes. Je m'éloignerai beaucoup plus vite d'ici.
Cette pensée achève de me convaincre et je me précipite vers la voiture la proche, qui n'est qu'à quelques dizaines de mètres de moi. Je lance une prière rapide pour qu'elle ne soit pas verrouillée, prière exaucée sitôt formulée. Je saute sur le siège conducteur, cherche d'un geste mécanique la clé sur le contact.
Elle y est.
Ce n'est pas possible, pense la partie logique de moi. Je ne peux pas avoir autant de chance, aucun soldat ne laisse la clé enfoncée après avoir utilisé un engin aussi précieux. Mais après tout, que sais-je du fonctionnement de ces hommes ? Je ne suis pas militaire, je n'ai pas été formée ainsi, alors cela fait peut-être simplement partie du protocole. Ils n'imaginent sûrement pas qu'ils se feront attaquer, ou voler.
Pendant que mes pensées s'envolent, je démarre le moteur et appuie à fond sur la pédale d'accélération. Les gestes me viennent automatiquement. Les mains crispées autour du volant, je regarde à travers la vitre arrière et m'aperçois soudain que le portail, ouvert il y a encore quelques minutes, se referme lentement. Des lumières clignotantes éclairent les barbelés et la clôture, de chaque côté de la porte coulissante, et un hurlement de sirène me parvient :
- Avis à toutes les unités! Avis à toutes les unités! Procédure d'évasion enclenchée! Fermeture de toutes les issues internes et externes!
Mon coeur s'emballe. La litanie se répète ainsi trois ou quatre fois avant de laisser simplement place au cri de l'alarme.
J'appuie encore un peu plus sur la pédale, toute mon attention concentrée sur ma manœuvre et l'espace qui s'amenuise de seconde en seconde, comme si la simple volonté de mon esprit pouvait ralentir le mouvement de la grille.
- Allez, allez, espèce de tas de ferraille! hurlé-je sans plus me retenir. C'est pas le moment de me lâcher.
Mon demi-tour achevé, quelques mètres me séparent encore du portail, que je franchis en à peine trois seconde, lancée à pleine vitesse.
Un raclement assourdissant fait trembler le véhicule tout entier, envoyant des secousses à travers mon corps, quand je me retrouve coincée entre la clôture et la porte qui se referme inexorablement. La vitesse de la voiture faiblit légèrement, puis la pression semble diminuer et je repars à un rythme normal. Derrière moi, un bruit de balle heurtant le métal blindé me provoque un nouveau sursaut. Je ne prends même pas la peine de vérifier dans mon rétroviseur et pousse simplement le moteur à fond sur la piste qui ouvre la forêt devant moi.
Je ne sais pas vers où je me dirige, je ne sais pas ce qui m'attend après, je ne sais pas s'ils arriveront à me rattraper, je ne sais pas si les dommages infligés au rover, pris en sandwich en forçant le passage trop étroit, sont importants. Je ne sais même pas s'ils continuent de me tirer dessus, si une de mes roues est crevée ou si je suis touchée.
Parce que, mêlé à l'adrénaline, un sentiment de triomphe indescriptible me confirme ce fait incroyable et pourtant bien réel : je suis libre.

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