Chapitre 22 - ALEXY

17 minutes de lecture

le 09/04/2020 & le 16/02/2022

Je reste là sans bouger. Je pourrais y rester pendant des heures entières, sans parvenir à me remettre du choc.
De cette vision et de tout ce qu'elle implique.
Le Gouvernement a trouvé la solution à l'équation.
Mais il ne l'utilise pas.
Et il y a bien pire encore que cela. Je n'arrive même pas à réfléchir tant cette révélation m'assomme.
La seule chose que je n'arrivais pas à concevoir, depuis le début, était que mon kidnapping puisse être l'oeuvre d'une véritable équipe des Forces de Prévention, que ce ne soient pas des imposteurs. Et pourtant, avec cette preuve irréfutable devant les yeux, comment nier ?
Je me souviens parfaitement de tous ces mois passés dans l'obscurité à me demander comment ces personnes pouvaient se cacher du Nouveau Système, ce qu'elles représentaient vraiment et les objectifs qu'elles poursuivaient. Des « personnes » ? J'ai envie de rire de ma propre crédulité ! Comment ai-je pu ne pas m'en rendre compte ?
Tant de petits détails qui auraient dû me mettre la puce à l'oreille, comme les différents rangs de la hiérarchie nommés exactement de la même manière, les saluts si semblables avec ceux des Forces de Prévention, les histoires que les soldats se racontaient sur des vies normales dans une ville normale... J'étais trop concentrée sur mon fameux plan, trop stupide pour daigner écouter. Je ne faisais que capter quelques mots qui me donnaient l'axe principal de la conversation, et la suite ne m'intéressait pas outre mesure. Pourtant, qu'est-ce que ces informations auraient pu être précieuses, en dehors de tout ce que je viens de découvrir, pour mon évasion!
Stupide, naïve, ridicule, il n'y a rien de plus à dire.
Et surtout, d'une confiance aveugle et imméritée dans un système qui vient de me prouver toute l'ampleur de sa corruption. Cette découverte remet en cause tout ce que je croyais, toutes mes convictions et même toutes mes espérances. Je ne suis plus traquée par une simple organisation limitée, comme moi, par le besoin de se cacher du Gouvernement. Je fais face au Système lui-même, à Paris, à son Leader... et si cette horrible mascarade est connue des autres Leaders également, ce sont les spécimens les plus puissants de la race humaine que je défie, tous unis dans un même but : me retrouver.
Cette simple tapisserie vient de détruire ma vie encore plus que ces derniers mois d'enfermement. Parce qu'elle signifie que nos dirigeants nous manipulent affreusement depuis le début, que lorsqu'ils ont enfin découvert qu'un équivalent féminin pour la race humaine existe de lui-même, sans avoir été créé par leurs scientifiques, ils n'ont pas hésité à le cacher à chacun de nous.
Et pour une fois, je me place dans ce "nous", parce que je suis dans le même cas que tous ces hommes et ces enfants de toutes ces villes : moi aussi, j'ai été trahie, moi aussi je ne suis qu'un pion. Et une pensée en entraînant une autre, je me rends compte que si ça se trouve, je ne suis pas la première.
Si ça se trouve, je suis pas la dernière.
Si ça se trouve, toutes ces personnes à côté de moi, dans les cellules voisines, pendant toutes ces nuits, n'étaient pas des hommes, mais bien des erreurs génétiques comme moi. Des erreurs ? Vraiment ? Alors comment se fait-il que, si ma théorie est juste, nous soyons si... nombreuses ?
Ou alors, pire encore, les scientifiques du Gouvernement ont bel et bien réussi à créer une femelle humaine, mais au lieu de le révéler au peuple, nos Leaders ont choisi de le cacher pour mieux nous étudier et pour... pour quoi, exactement, en fait ? Quel intérêt à tout ça ? Maintenir le peuple sous contrôle en ne lui offrant jamais l'espoir de s'en sortir ? Ou bien en le gardant dépendant des machines pour survivre, alors qu'eux, ceux qui se clament nos protecteurs, peuvent pallier le plus gros problème de l'humanité d'un simple claquement de doigt ? A quoi rime toute cette mascarade ? Qu'est-ce qui se cache encore derrière la façade du Nouveau Système ?
Que se passe-t-il réellement au coeur de nos villes, dans ce qu'on appelle communément le "Quartier du Gouvernement" ? Seul l'élite des militaires et des politiques y ont accès pour le strict nécessaire au bon fonctionnement des lieux... mais est-ce vraiment le strict nécessaire ? Les Leaders pourraient tout aussi bien nous mentir éhontément que nous n'en saurions jamais rien. Personne n'a le droit d'entrer, cette règle convient à tout le monde et personne n'ose jamais rien qu'effleurer en pensée l'idée de la briser. Et même si nous le voulions, comment le pourrions-nous ? Pour ce qu'ils appellent notre sécurité, mais pour ce qui m'apparaît maintenant comme le plus scandaleux des contrôles du peuple, les armes sont bannies de notre société : seules les Forces de Prévention en sont équipées, et chacun de nos gardiens, doit, d'après ce qu'on nous en dit du moins, déposer son arme à la Réserve à la fin de sa journée. Cette Réserve qui se trouve, comme par hasard elle aussi, dans le secret du QG...
Comment ai-je pu être aussi aveugle ?
Comment peuvent-ils l'être tous ?
Peut-être grâce à ce conditionnement que l'on nous impose dès la naissance, dans les Résidences et à l'Institution ? Quand j'y repense, jusqu'à maintenant, je n'avais moi non plus jamais remis en cause le Gouvernement, alors quelles raisons auraient de le faire de simples citoyens sans histoire ? Même avec mon enfermement et tout ce que j'ai subi, j'ai manifesté quelques doutes mais jamais pensé sérieusement à ce que nos dirigeants soient impliqués, corrompus, nous mentent et nous manipulent. Ce n'est qu'avec ces tapisseries, ces symboles trop grands pour être ignorés, que la vérité m'éclate enfin au visage, et je n'ai jamais connu quelque chose qui fasse aussi mal.
Je n'arrive pas à comprendre comment le Gouvernement maintient si tranquille un peuple aussi développé et intelligent, rendu toujours plus performant par les manipulations génétiques sûrement à l’oeuvre dans les Maternités, mais toujours est-il que la méthode semble efficace...
J'imagine maintenant que les rares révolutionnaires à se douter de quelque chose doivent être repérés immédiatement et neutralisés. Je n'ai peut-être jamais été réellement dans la seule intimité de mes yeux. Mon appartement, comme sûrement tous ceux des Résidences, et la ville dans son intégralité, devait être surveillé sans discontinuité. Mais dans ce cas, comment expliquer que je n'ai pas été démasquée avant le jour de mon Intégration ? C'est complètement absurde à moins que... à moins qu'ils n'aient su depuis le premier jour, mais qu'ils aient attendu exprès pour m'étudier tant que j'étais encore relativement inoffensive. Mais lorsque la menace est devenue trop grande, lorsque je me suis apprêtée à découvrir un monde qui m'ouvrirait peut-être les yeux et l'esprit, un monde où ils n'auraient plus le contrôle absolu sur moi, alors ils ont décidé que le jeu avait suffisamment duré.
Ce n'est pas un hasard si j'ai été découverte exactement le jour de la cérémonie, et cette étrange coïncidence me saute à présent aux yeux, comme tant d'autres... C'était dans la logique et l'évidence même que je ne pouvais pas être aussi chanceuse, que le Gouvernement ne pouvait pas être aussi pur qu'il aime à le prétendre. Mais non, j'ai décidé de fermer les yeux parce que la vérité était tout simplement trop dure à envisager, à accepter... je l'ai écartée par confort.
Je m'étouffe dans ma propre spirale de pensées, chacune en amenant une autre ; je suis ensevelie sous une avalanche de réflexions, questionnements, sentiments infinis tels que la culpabilité. Et plus les pensées s'accumulent, moins j'arrive à les gérer, mon esprit ne fait que produire mais jamais résoudre.
Devant cette révélation stupéfiante, qui me concerne non seulement moi mais aussi elle, je la sens se réveiller doucement de l’état comateux dans lequel elle s’était plongée. Et tandis que je veux des réponses et n'arrête pas de déverser des questions, elle reste à l’inverse trop scotchée, trop pétrifiée pour oser formuler une seule phrase. L'entonnoir bouché que je suis devenue ne fait que déborder sans jamais se vider, le surplus retournant dans la bouteille pour se déverser à nouveau dans l'entonnoir dans un cercle sans fin : la bouteille ne se vide jamais.
Et je serais sûrement restée ainsi pour l'éternité si des claquements et des bruits de pas n'avaient retenti derrière moi, pour me ramener dans le présent.
Je n'ai pas le droit d'échouer.
Je n'ai pas le droit de tout gâcher.
Je n'ai pas le droit de leur donner satisfaction, c'est ce que je me suis juré le premier jour, et le jour d'après, et encore le jour d'après, et ainsi de suite chaque jour jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas près de changer. Me laisser abattre par cette fracassante révélation, ce serait perdre. Après tout, dans les faits, que modifie-t-elle à ma situation concrète ? Rien. Je dois toujours affronter les mêmes personnes, simplement sans le voile qui les recouvrait jusque là. Mon plan d’évasion reste le même, et seule ma haine en ressors grandie.
Ne pas les laisser gagner, c'est me relever, remettre les pensées à plus tard et passer à l'action. J'ai déjà gâché trop de temps, trop de chances, trop d'opportunités avec ma stupide immobilité stupéfaite. L'Alexy qui a su résister et mettre en oeuvre ce plan d'évasion balaye la petite Alexy dès l'instant où cette évidence, ce devoir, se fait clair dans mon esprit.
C'est tout naturellement que mes oreilles convertissent le bruit en distance, transmettant l'information à mon cerveau qui en déduit que tourner le dos à des ennemis qui courent bien plus vite que moi serait une fatale erreur, et étrangement, une erreur pire que de leur faire face.
Alors je me retourne, et une énième facette de moi prend le contrôle.
J'ai à peine le temps de cligner des yeux que déjà, mon coude entre en contact avec la surface dure d'un visage, m’arrachant un grognement car cela réveille la douleur dans mes épaules meurtries. Si, inexplicablement, je me sens capable de leur faire face, je ne dois tout de même pas oublier mon état d’extrême détresse physique. Me surestimer causerait ma perte. Je dois les abattre sans en venir à une confrontation au corps à corps, sans quoi je serais réduite en bouillie avant même d’intégrer la mêlée.
Tout est flou autour de moi, laissant seul quelques points précis totalement nets pour m’indiquer sur quoi exactement je dois me focaliser. Mon esprit cède la place à mon corps, à des réflexes anciens, enfouis, qui aujourd'hui, alors que ma vie et ma liberté sont menacées, refont surface. Cette brutalité qui canalise ma force et fait bouillir mes veines ne s'était pas déclenchée avant pour une raison évidente : je n'étais pas prête. En mon fort intérieur, je savais que toute l'habileté du monde au combat ne suffirait pas à me faire évader si je n'avais pas un minimum de clefs en main. Je devais attendre, et encore attendre, quitte à me faire prendre, jusqu'à ce que le moment soit parfaitement opportun. Et aujourd'hui que l'enjeu est véritable, que ce n'est plus une simple simulation ou une petite rébellion de mon corps torturé, aujourd'hui que j'ai réellement une chance, les instincts se réveillent.
Tout en respectant à la lettre la limite que je me suis fixée, de ne pas en venir aux mains, je rentre dans une danse effrénée qui me prend les dernières miettes d’énergie en moi. Mais si certains mouvements me sont interdits, soulever mes pistolets et viser est encore tout juste à ma portée.
Je prends rapidement connaissance de la situation dès le moment où je me retourne : pas moins de dix soldats qui ne sont plus qu’à quelques mètres et qui semblent courir plus vite que la lumière. Cela ne suffit pas à me faire renoncer. Je balance ma jambe gauche vers l’arrière dans un geste tout à fait naturel, prenant ainsi à la fois un léger recul mais gagnant également en stabilité. Ainsi positionnée et certaine de ne pas m’écrouler, je tire mes deux premières balles dans un intervalle quasi-nul où le canon de mon arme ne se décale que de quelques millimètres, juste assez pour passer de l’oeil d’un premier soldat au front d’un deuxième. Les deux s’effondrent sans un bruit au milieu du fracas de la course de leurs compagnons qui, s’ils le remarquent, n’affichent pas la moindre réaction.
Ce laps de temps, bien que court, a cependant suffit aux suivants pour arriver à ma hauteur. Sans jamais défaire mes appuis solides, car une migraine lancinante commence à pointer sous mon crâne, et la terre à tourner légèrement, je m’écarte sur le côté juste à temps pour éviter la prise d’un des gardes qui visait mon cou. Tout en maintenant mon attention focalisée sur le feu de l’action, je note que son mouvement n’était pas destiné à tuer, et qu’en confirmation de mes déductions, leurs ordres sont de me ramener saine et sauve.
Saine et sauve, quand je ne suis guidée que par une seule chose : la mort. De ce point de vue, le combat est parfaitement inégal, et en ma faveur, mais leur nombre fait aussi pencher la balance de leur côté.
Dans une technique souvent utilisée, j’abats la crosse de mon arme sur la nuque du garde que j’ai déséquilibré tout en reprenant ma position initiale. Si cela ne suffira pas à le tuer, il sera dans les vapes largement assez longtemps pour que je sois loin d’ici ou de nouveau prisonnière.
Bien, cela m’en fait donc quatre sur onze.
Rester pragmatique est ma seule chance de m’en sortir, et mes ennemis semblent avoir fait le même raisonnement car ils se sont brutalement arrêtés et reculés à cinq mètres de moi environ.
Sept.
Sept, c’est le nombre de personnes qui se tiennent entre moi et ma liberté, un nombre dérisoire mais en ce moment littéralement énorme.
Le sang pulse sous mes tempes, et j’ai une conscience aiguë d’être au bord de l’évanouissement.
Désespérée, je feinte sans beaucoup de technique de tirer par la gauche tout m’accroupissant dans le même temps de manière à viser de ma main droite le soldat à l’opposé, soit le plus à gauche de leur formation. Il tombe à terre dans un gargouillement satisfaisant tandis que la balle ressort de l’autre côté de son cou pour érafler le mur en béton. Sans prendre un seul moment de répit, j’abats exactement de la même manière trois autres gardes, feintant et virevoltant pour qu’ils ne sachent jamais d’où proviendra le coup.
Plus que trois. Je fais rouler ce nombre dans ma tête, tout en essayant de contenir ma joie de même que mes tremblements incontrôlables.
Trois, trois qui se ruent sur moi dans un même élan en constatant qu’il ne reste plus qu’eux debout parmi toute leur escouade. J’arrive rapidement à la conclusion qu’être ainsi encerclée, avec un des leurs dans mon angle mort, est ma plus grande faiblesse. Je dois résoudre ce problème, et ensuite m’occuper des deux autres sera beaucoup plus facile. Dans une volonté renouvelée à la fois téméraire et complètement ahurissante, me laissant guider par le talent, je retourne alors un de mes pistolets derrière ma nuque et appuie sur la gâchette à l’aveuglette.
Je n’ai pas le temps de vérifier que j’ai fait mouche, et je dois laisser cette partie là à la chance tandis que, la nausée au bord des lèvres, frémissante d’une terrible envie de m’écrouler je vise un des deux derniers. J’atteins son épaule car mes paupières à demi closes ne me permettent plus de viser quoi que ce soit, et, alors que le dernier se jette sur moi et enroule ses bras autour de mon corps, je plante mon pistolet à la jointure de son gilet pare-balles, juste sous son aisselle. Une déferlante de haine me quitte en une onde sismique que je pourrais presque voir flotter dans l’air tandis que je laisse voler ma dernière balle.

En quelques minutes à peine, pas moins de onze soldats gisent à mes pieds, certains juste évanouis mais la plupart morts. Des étoiles dansent devant mes yeux, mais pour avoir économisé le gros de mes forces physiques, je suis encore miraculeusement capable de tenir debout.
Je ne prends pas la peine de réfléchir.
Pas la peine de m'appesantir sur les dégâts, l'exploit inespéré auquel je viens d'assister, ou encore l'horreur que je devrais ressentir devant un tel carnage, car ce n’est absolument pas le cas.
Je me baisse dans les flaques de sang, consciente que l'échange de coups de feux devrait m'apporter de nouveaux adversaires d'ici une poignée de secondes, jette mes pistolets déchargés à terre pour en prendre de nouveaux, de même que toutes les munitions que je réussis à trouver rapidement : trois grenades, une lampe électrique et un autre badge, au cas où...
La course pour la survie reprend, et je jure n'avoir jamais parcouru une telle distance en si peu de temps.
J'ai traversé la moitié du hall lorsque j'entends les premiers cris. Des ordres lancés avec une panique croissante, des hurlements pour appeler un médecin, un décompte des morts, des exclamations de surprise... quels qu'ils soient, tous ont rapport avec moi, et tous me confirment la même chose, bien qu'indirectement : leur but reste de me capturer vivante, quitte à ce que je m'échappe. A présent que j'ai menti aux deux premiers soldats sur ma véritable nature et sur les informations que je détiens, je suis plus précieuse que jamais à leurs yeux. Je suis leur meilleure chance de trouver, piéger et détruire l'Organisation. Ils préfèrent encore me suivre en imaginant que je les conduirai à mes compagnons que de mettre fin à ma vie.
Je compte bien jouer là-dessus également s'ils parviennent à me rattraper.

***

Déclic de fusils qui se chargent, d'armes en tous genres déclenchées.
A nouveaux des ordres lancés dans la confusion.
Chuchotements dont le secret n'arrive pas à être maintenu.
- Personne ne tire!
- Ne tirez pas!
- Gardez vos positions!
- Tirez uniquement si vous avez une ouverture, mais que vous ne risquez pas de la tuer!
- Le capitaine la veut en vie, soldats!
- Lieutenant, elle se dirige vers la sortie ouest, envoyez des hommes armés pour l'intercepter, mais surtout qu'ils ne tirent pas de coups mortels!
Pensées affûtées et aiguisées comme des lames de verre, qui transpercent mon esprit avec la précision que seul un sentiment aussi intense peut avoir.
Il n'y a pas le choix, il faut continuer. Tu ne connais pas d'autre sortie que celle indiquée par ce panneau sous lequel tu passes en ce moment. Il est trop tard pour reculer, de toute manière, maintenant que tu es engagée dans ce tunnel qui te semble interminable. Il faut continuer! Même s'ils arrivent à temps pour t'arrêter, tu sais ce que tu dois faire, tu as suffisamment de moyens de pression sur eux pour les convaincre de te laisser passer. Ce sera une patrouille sans expérience, composée de soldats paniqués comme ceux de la dernière fois. Ils ne sauront pas vraiment quoi faire face à l'inconnue que tu représentes, il n'ont jamais eu affaire à une telle situation. Tu vas jouer sur la peur que tu leur inspires, sur les ordres qu'ils auront reçus, sur ta valeur aux yeux de leurs supérieurs et sur leur angoisse de mal faire qui les poussera à ne rien faire du tout. Il faut continuer!
Alors je continue, me répétant mentalement mes propres instructions tant j’ai peur de les oublier, dans ma fatigue.

Petit à petit, je laisse derrière moi le bruit assourdissant de l'excitation du hall pour replonger dans les ténèbres et le silence bien connus des tunnels. Seul le faisceau tremblant de ma lampe qui se balance au rythme de mes mains éclaire l'obscurité. Je n'ai pas besoin de plus.
Dans mon autre main, je tiens un pistolet fermement calé dans ma paume. J'en ai glissé deux autres dans l’élastique de mon pantalon par mesure de sécurité, de même que j'y ai attaché les grenades. La seconde petite carte magnétique est quand à elle coincée dans ma bouche, entre mes dents.
Aucun bruit à part celui de ma respiration sifflante, en accord avec ma course saccadée, et, peut-être, ou peut-être est-ce simplement un effet de mon imagination, le grincement de mes articulations sur le point de me lâcher. Bientôt, une lueur verte apparaît, le panneau salvateur « EXIT » ainsi qu'une flèche qui m'indique de continuer tout droit.
Je cours ainsi sur plusieurs centaines de mètres en montée, gravissant parfois des escaliers, ce qui me rassure sur le fait que je me rapproche bien de la surface, tout en suivant les indications aux carrefours sans même jeter un seul coup d'oeil aux autres tunnels, jusqu'à ce qu'enfin une porte se dessine devant moi. Je pourrais presque l'atteindre, je sens presque ses contours durs et froids contre ma main...
Mon élan, de même que mon enthousiasme, se fracassent contre une masse dure comme de l'acier, et pourtant chaude, que je percute de plein fouet dans mon épaule gauche. Le cauchemar calme dans lequel j'évoluais est remplacé dans la seconde par des basses rugissantes. Je me retiens de tomber de peu pour me stabiliser encore quelques mètres plus loin, lorsque mon dos heurte enfin la porte.
Je le sens, je peux le palper, ce boîtier où se démarque la minuscule fente prête à accueillir mon badge.
Sans prêter attention à la vingtaine de gardes qui me font face, menaçants, je profite de mes dernières secondes de liberté pour éteindre et lâcher ma lampe électrique, la remplacer par le passe qui se trouvait dans ma bouche, et replacer ma main dans mon dos contre le boîtier. Il me suffirait d'une demi-seconde, un geste sec du poignet, et la porte s'ouvrira dans un déclic familier, comme, je l'espère, toutes les portes de ce complexe.
Mais je ne peux pas, pas encore.
Il est temps de passer à la dernière étape, la plus dangereuse.
L'inconnue de ma propre équation.
Je soulève mon arme, qui pèse soudain des tonnes dans ma main, alors qu'elle me semblait légère comme une plume lorsque je la pointais encore sur mes ennemis.
Je plaque le canon tremblant contre ma tempe et prie pour que les soldats ne voient pas dans l'obscurité cet infime mouvement involontaire, incontrôlé, qui trahit mon indécision. Pourtant, je sais que je le ferai, si j'y suis forcée. Tout est mieux que de retourner à mon ancienne condition. Ou plutôt rien n'est pire.
La lumière vive d'une lampe se pose sur mon visage, je me force à ne pas plisser les yeux malgré les larmes qui commencent à déborder de mes paupières.
- Je n'hésiterai pas, et vous le savez, maintenant que vous avez également la certitude de qui je suis réellement. Ce cas de figure fait partie de ma formation, comme il fait partie de la vôtre. Ne jamais vivre assez longtemps pour se faire capturer vivant par l'ennemi, quitte à mettre fin à ses propres jours.
Ca y est.
Je l'ai dit.
Mettre fin à ses propres jours.
Plus un mouvement ne déchire le noir. On dirait que le temps s'est suspendu. Dans ma tête, il l’est bel et bien.
- Maintenant, je vous laisse le choix. Décevoir vos supérieurs en leur annonçant, une fois que je serai loin, que vous avez dû me laisser m’échapper. Ou bien les décevoir encore plus, risquer votre vie et votre grade, en leur disant non pas que je suis libre et toujours en vie, mais que je suis ici, entre vos mains, comme ils vous l'ont ordonné… morte. Vous n'avez que deux options. Alors, la peste...
Soupir.
- ... ou le choléra ?

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