Chapitre 17 - Une semaine plus tard - SACHA

6 minutes de lecture

le 19/04/2020 & le 15/02/2022

Pour Alexy, cette semaine est un trou noir, elle ne se rappellera même pas l'avoir vécue.
Pour moi, c'est la mise en place de la plus grande manipulation jamais imaginée.
Depuis des jours, nos meilleurs spécialistes s'acharnent sur elle, sans toutefois parvenir à démentir ce que je soupçonnais. Et à présent, tout est prêt. Il ne reste plus qu'à attendre.
Attendre une durée raisonnable pour que sa propre évasion lui paraisse réaliste. Bien sûr, il y a aura quelques incohérences, que l'ancienne elle aurait remarquées. Mais cette Alexy là n'existe plus. Tout a été effacé de son esprit, comme le prouvent nos tests sous hypnose ainsi que le sérum de vérité injecté dans ses veines, qui ne peut de toute façon marcher que sur les esprits les plus faibles. Ce qu’elle est à l’évidence devenue.
Elle ne se souvient de rien, rien qui se rapproche de près ou de loin à l'Organisation : mieux encore, ses souvenirs ont été remplacés par des faux, comme si elle avait réellement vécu dans les Résidences pendant tout ce temps. L'idée que ce ne soit pas un plan retorse de l'Organisation m'a effleuré l'esprit, je dois l'avouer. Il n’y a pas ne serait-ce que la moindre imperfection. C’est un rouage parfaitement huilé.
Mais je ne peux pas nier ce qui est arrivé en décembre dernier. Nous l'avons vu de nos propres yeux. C'est bel et bien elle... sans ses souvenirs. Donc inutile. Inutile, vraiment ? Non, loin de là.
Cette partie a été la plus difficile de toutes. Après les nombreuses séances sous hypnose qui ont prouvé ma pensée aux yeux des autres capitaines, il a fallu leur exposer mon plan et surtout les convaincre de l'accepter. Mais faute d'autre chose à proposer, ils ont fini par tomber d'accord, surtout lorsque je leur ai expliqué comment la situation serait sous contrôle à tout moment. J'imagine qu'ils ont dû se dire : pourquoi pas ? Après tout, il y a une chance non négligeable que cela marche.
Alors, lorsqu'un soldat est venu nous annoncer, tremblant de cette mission qu'il croyait urgente, que Willer s'était réveillé et qu'il nous informait que sa carte magnétique avait été volée par Alexy lors de son évasion ratée, nous n'avons pas hésité un seul instant. Les dernières pièces du puzzle se sont enfin emboîtées dans ma tête pour finaliser mon plan et lui donner la touche de perfection qui lui manquait.
Je me souviens parfaitement de ce moment où j'ai senti l'oeuvre de toute ma vie prendre enfin une forme concrète, presque palpable sous mes doigts :

Le soldat s'est retiré après un signe de tête discret de Shy.
Je me suis alors avancé jusqu'à pouvoir poser mes mains bien à plat sur la table, j'ai baissé la tête, concentré, et je me suis mis à parler. Oubliées mes dissensions avec ceux qui m'entouraient, oubliée ma haine, oubliés leurs regards foudroyants. De bonne volonté ou pas, ils allaient m'aider, et c'était tout ce qui comptait sur le moment.
- On m'a informé hier que tout a été vérifié : son micro et ses traceurs sont parfaitement au point. Comme vous l'avez sûrement deviné, nous n'allons pas lui reprendre la carte magnétique de Willer. Nous allons la laisser s'évader.
J'ai marqué une pause pour souligner l'importance de cet instant.
J'ai savouré leurs expressions, j'ai savouré l'extase qui faisait battre à nouveau mon coeur.
Tous sans exception étaient pendus à mes lèvres, et plus que tout j’ai senti le pouvoir enivrant couler dans mes veines.
- Messieurs, nous vivons un moment historique.
Pour la première fois, je pensais réellement ce qui sortait de ma bouche à cet instant, devant eux.
- Lorsqu'Alexy mettra enfin à exécution son plan, nous ferons en sorte de lui opposer de la résistance sans pour autant compromettre son évasion. Nous n'avons aucune raison de douter que l'Organisation est au courant de son séjour ici. Je suis prêt à parier sur le fait qu'ils ne risqueront pas que nous la capturions à nouveau : ils viendront la chercher le plus vite possible pour nous devancer et la ramener en sécurité. N'oublions pas qu'Alexy est un rouage crucial de leur plan, même si nous ne savons pas encore exactement pourquoi. Mais ça ne saurait tarder. Elle nous conduira directement à eux, et nous révélera tous leurs secrets. Et je m'engage personnellement à être votre mesure de précaution, votre filet de secours.
- Comment être sûr qu'elle ne garde véritablement aucun souvenir de l'Organisation ? Nous savons tous que leur technologie égale presque la nôtre! Et si elle avait été formée pour résister également à l'hypnose ?
J'avais prévu ces questions, puisque je me les étais posées moi aussi. Il m'a donc suffit de reprendre les arguments qui m'avaient moi-même convaincu.
- C'est un risque que nous devons prendre! La situation sera sous contrôle à tout moment, et nous pourrons lancer une opération à chaque seconde de chaque minute pour revenir la chercher, si jamais un imprévu vient bouleverser le plan. Après tout, quelle autre solution avez-vous à proposer ? Je ne peux pas nier que le risque existe, mais en la maintenant ici, alors qu'elle ne se rappelle de rien d'utile, nous réduisons les chances à zéro. Au moins, avec ce que je propose, il y a une possibilité de victoire!
Je ne sais pas si c'est la volonté et la force que j'ai insufflées dans mon discours qui ont définitivement fait taire toute résistance, ou bien ce que j'ai ensuite rajouté, mais quoi qu'il en soit, ils n'ont plus protesté.
- Et puis, qui vous dit que nous devons presser la situation ? Les résistants ne peuvent rien tenter contre nous tant qu'elle est retenue ici. Nous allons prendre notre temps. Attendre patiemment qu'elle mette en place son évasion, puis lui donner les conditions nécessaires uniquement quand nous le souhaiterons. Et en attendant, nous aurons tout le temps que nous voudrons pour lui arracher de potentiels aveux, par quelques moyens que ce soit. Si jamais elle recouvre ses souvenirs entre temps, il ne sera pas trop tard. Et sinon... eh bien, sinon, elle n'en aura qu'encore plus peur de nous. Ce n'est pas du temps perdu. Pensez-y comme à une mesure de sécurité pour prendre le temps de vérifier ma... théorie.
Le silence s'est fait.
Q ue trouver à redire à ce que je venais de leur exposer ? Ils avaient toutes les réponses et toute l'assurance qu'ils pouvaient souhaiter. Aucun risque pour eux et la DFAO, aucun risque qu'elle nous échappe, et toutes les chances de notre côté pour enfin défaire l'Organisation. Mais surtout, pour les couronner de gloire aux yeux du Gouvernement.

Je sens la satisfaction bouillonner en moi tandis que je repasse ces moments en boucle dans ma tête, comme je le faisais avec la vidéo de surveillance il y a quelques jours encore. J'ai enfin trouvé ce qui n'allait pas, et j'ai résolu un double problème : non seulement Alexy ne se souvient de rien, ce qui explique son changement de comportement, mais en plus elle ne faisait pas tout ça pour s'échapper. Telle n'a jamais été son intention. Non, tout ce qu'elle voulait, c'était un badge pour sortir d'ici.
Ce qu'elle ne sait pas en revanche, c'est que nous sommes au courant de tout. Est-elle vraiment assez stupide pour ne pas se douter que nous surveillons chacun de ses gestes jour et nuit ? Est-elle assez stupide pour croire que nous ne l'avons pas remarqué ? Ou se raccroche-t-elle simplement à ses derniers espoirs parce qu’il ne lui reste rien d’autre ?
J'aime cette idée.
J'aime ce désespoir que je peux presque sentir ramper en elle.
J'aime la solitude dans laquelle je la plonge par ma seule volonté.
J'aime ces choses que je sais sur elle et qu'elle ne sait même pas elle-même.
J'aime la souffrance que je prendrai encore plus de plaisir à la voir endurer, jusqu'à ce qu'elle s'évade enfin.
Une évasion ? Non, ou tout du moins, simplement parce que je le veux bien.
J'aime ce pouvoir que j'exerce sur elle, sa vie, ses souvenirs, son bonheur, son malheur... tout.

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