Chapitre 5 - ALEXY

9 minutes de lecture

le 28/03/2020 & le 11/02/2022

La première chose qui me frappe, c'est le silence.
Et le noir.
Même les paupières closes, le soleil apporte toujours une certaine luminosité, une ambiance clairement perceptible. Mais autour de moi, il n'y a que le néant et le vide, et je peux le ressentir dans tous les pores de ma peau.
Puis vient le froid, froid glacial qui m'assaille comme un matin d'hiver, où le gel recouvre le sol et où quelques flocons de neige éparses tombent parfois du ciel pour venir former des constellations sur la terre. Mais ce froid-là n'est pas agréable, il ne fait pas que m'effleurer. Non, il s'infiltre au plus profond de moi, pour glacer non seulement ma peau, mais toutes mes entrailles.
Je frissonne, et c'est bien le seul mouvement qui m'est permis. Contrairement aux nombreuses scènes que j'ai lues dans les livres, je ne suis pas incapable de bouger parce que mon corps gourd et pâteux est toujours à moitié inconscient.
Non.
Je suis en pleine possession de mes capacités, et même si je ne me sens pas reposée, je sais que je serais tout à fait capable de me lever pour marcher, courir, crier. Parce que cette pensée aussi ne me vient pas comme dans mes romans. Je ne mets pas longtemps à la réaliser, je ne crois pas tout d'abord que je suis encore dans mon lit, bien au chaud : je suis, dès les premiers instants, parfaitement consciente d’être prisonnière. Sinon, pourquoi ne pourrais-je pas me redresser ? Sinon, pourquoi serais-je immobile, attachée sur quelque chose de froid, de dur, d'inconfortable ? Sinon, pourquoi des liens de fer me mordraient-ils la peau ? Sinon, pourquoi aurais-je le sentiment que ma vie est en danger ?
Autre différence notable, la panique m’a quittée, mais n’a pas été remplacée par une détermination implacable à m’enfuir : je suis simplement attentive, focalisée sur le monde qui m’entoure, et particulièrement lasse de la difficulté. Je suis lasse de me cacher, d’affronter tous ces obstacles que la vie met sur mon chemin. Je n’aspire qu’à me reposer, et pour une fois cesser de me battre contre l’inévitable.
Cependant, je ne peux pas m’empêcher de remarquer que j'avais raison de me méfier, raison de ne pas faire confiance. Et malgré la sensation de triomphe que devrait m'apporter la justesse de mes pensées, je continue à ne ressentir que le vide et un grand épuisement mental. Ligotée à ce qui ressemble fort à une table de torture sous mes mains rigides, j'ai perdu l’envie de défier le destin au pire moment qui soit.
J'ouvre mes paupières avec hésitation.
Confirmant ma première déduction, je ne vois rien. Le noir n'est pas une couleur, ce n'est pas quelque chose de perceptible, quelque chose que l'on peut percer et comprendre. Le noir n'est rien, et je n'en ai jamais eu autant la conviction que maintenant.
Soudain, un spot s'allume brusquement juste au-dessus de ma tête, transperçant mes yeux de sa luminosité crue, trop crue. Je gémis, préférant encore l'obscurité à cette violence. Depuis combien de temps suis-je ici ? En tous cas, assez longtemps pour que la moindre lumière me fasse mal.
J'entends une démarche assurée s'approcher lentement de moi et d'un seul coup, l'angoisse et la peur refoulées au fond de moi éclatent au grand jour, en une explosion bien trop forte pour moi. Et bizarrement, c’est ce brusque changement dans ma tête qui m’épuise le plus, sapant toutes mes forces rien que pour supporter la transition. Je couine et commence à me contorsionner sur la table, dont mes mains sans force agrippent le bord. J'essaye de bouger la tête dans tous les sens, comme pour empêcher quelqu'un de glisser un poison mortel entre mes lèvres, mais la civière attachée autour de mon front ne me permet même pas cette liberté. Je voudrais hurler, mais c'est comme si un baillon était glissé entre mes dents, ne me laissant que la possibilité d'émettre quelques plaintes pitoyables et étouffées. Je voudrais supplier qu'on me relâche, dire que je ne mérite pas ce sort, malgré mon égoïsme et tout ce que je représente, mais encore une fois ma gorge me fait défaut et j'ai l'impression d'être muette, clouée ici, impuissante.
Peut-être n'est-ce pas qu'une impression.
Peut-être est-ce simplement la vérité.
Je déteste, je déteste cette impuissance.
La rivière lumineuse bouge au-dessus de moi, soulageant enfin mes yeux comme brûlés par le soleil, et un visage apparaît à sa place. Je me mets immédiatement à le détailler, de ses cheveux blancs et ras aux couches de graisses luisantes sous son menton, en passant par ses joues rebondies et son sourire sadique. Il me dévoile une rangée de dents parfaitement alignées au millimètre près. Pas besoin d'être très intelligente pour deviner que cet homme est en quête de perfection au moins autant que moi, et que, encore une fois comme moi, il n'arrive pas à l'atteindre. Ces points communs entre lui et moi me dégoûtent plus que je ne voudrais l’admettre, car je perçois dès maintenant toute la malfaisance qui émane de lui. Pas besoin non plus d’être très intelligente pour savoir qu’il se rabat sur les seuls atouts que son corps imparfait lui a laissés, dont cette dentition parfaite, sûrement cultivée pour en gommer les derniers petits détails qu'il jugeait moches, fait partie.
J’ai conscience qu’il va m'apprendre à le détester encore plus que je ne déteste mon corps. Déjà, je le hais, parce qu'il sait tout, j'en suis sûre. Comment ne pas voir cette peur qui déforme mes traits, comment ne pas entendre mes gémissements apeurés ? Je voudrais tellement ne pas être à sa merci de cette manière si humiliante ? Le trop-plein de ces émotions négatives me coule vers le fond petit à petit.
Soudain, il brise mon inspection en détournant la tête. Du coin de l'oeil, dans mon champ de vision réduit à cause de la sangle, je le vois sortir quelque chose de son dos pour le planter à quelques centimètres de mon visage. Je peux sentir d'ici l'odeur écoeurante de son corps, la sueur qui dégouline sur son front. Et c'est alors que je remarque ce qu'il tient réellement dans sa main.
Un pistolet.
Gros calibre, chargé, je le vois à la manière dont sa main se raidit pour le maintenir tout le temps à la même hauteur. Le poids va bientôt le faire flancher, mais son sadisme l'empêche d'arrêter de me torturer, car il en tire manifestement un plaisir si intense que je me demande ce que je peux bien avoir fait pour qu’il souhaite à ce point ma souffrance. Un flingue trop lourd pour un homme trop peu musclé. J'ai presque envie de rire, mais j’imagine que c’est un rire nerveux car je sens en même temps mon coeur remonter dans ma gorge tellement il bat vite. Je vais peut-être exploser. Et ce serait peut-être une bonne chose.
Je peux voir sur la crosse le numéro de série de l'arme.
210418.
Pour une raison obscure, je suis fascinée par ce numéro, et je le stocke dans un coin de ma mémoire, persuadée qu’il est important d’une manière quelconque. La clarté relative de mes pensées me permet seule de retenir et analyser tout ceci, ce qui m’aide de plus en plus à me calmer.
Mais je suis perturbée par une certaine souffrance, cette souffrance que je n'avais pas remarquée au premier abord, mais qui maintenant scie mon être tout entier de ses lames intangibles et cruelles. Celle d'être maintenue ainsi prostrée depuis longtemps, trop longtemps, sans pouvoir bouger. La souffrance de ma gorge sèche, de mes yeux plissés sous la lumière.
La souffrance de la peur qui amplifie la souffrance.
C'est alors qu'il parle, et le son de sa voix me ramène à la réalité.
L'arme est toujours là, à quelques centimètres de ma tête, de mes lèvres, obsédante. Elle n'est pas pointée sur moi et pour la première fois de ma vie, j'aurais préféré. Parce que plus les secondes passent, et plus je me rends compte que jamais je ne m'échapperai d'ici. Je ne sais pas ce qu'ils me veulent, je ne sais pas pourquoi je suis là, mais je devine ce que je vais subir, et je préfère encore mourir tout de suite. Je ne sais pas non plus ce que j'ai fait pour mériter un tel sort, mais au final, ce n'est plus vraiment ce qui m'importe le plus. Je suis en train de rêvasser sur ce qu'aurait été ma vie sans tout ça, même avec mes difformités, si j'avais passé mon Intégration comme les autres, si j'avais enfin acquis cette liberté pour laquelle je me bats depuis dix-huit longues années, lorsqu'une gifle brutale et sans pitié m'arrache un petit cri de douleur. Mes yeux se fixent sur le visage qui me contemple et je me souviens vaguement qu'il m'a parlé.
Oui, il m'a parlé.
L'arme n'est plus là, mais ses prunelles noires brillent de fureur, et je n'arrive pas à me rappeler ce qu'il vient de me dire, malgré tous mes efforts. La panique revient, encore plus forte qu'avant. Va-t-il me punir pour cet écart d'attention ? Je me crispe et me recroqueville instinctivement à cette idée, soumise.
- Je répète une dernière fois, petite pute, depuis combien de temps fais-tu partie de l'Organisation ?
Pute ? Organisation ? Je ne comprends presque rien à ce qu'il me lance ainsi à toute vitesse, mais je suis sûre d'au moins une chose : quelle que soit la signification précise du mot qu'il vient d'employer, << pute >>, c'est une insulte pour lui, je l'ai senti dans le ton de sa voix. Je le fixe d'un regard affolé. Je sens bien qu'il commence à perdre patience, mais je ne peux pas lui donner ces informations, ces réponses dont je ne comprends même pas la question. Je sens les larmes poindre, je voudrais les retenir, mais elles dévalent mes tempes jusqu'à mes cheveux.
Un rictus déforme soudain ses traits répugnants.
- Tu choisis la manière forte ? Tu ne veux pas coopérer ?
Il s'éloigne d'un pas vif qui claque sur le sol, mais je sais avec conviction que ce n'est ni pour me libérer, ni même pour partir, conviction qui se trouve confirmée lorsqu'un interrupteur claque et qu'une lumière plus vicieuse, plus puissante, illumine les alentours. Au-dessus de ma tête, le plafond culmine si haut que je n'arrive pas à en déterminer la hauteur, même approximative. La structure de fer qui me surplombe s'étend sur de nombreux mètres, jusqu'en dehors de mon champ de vision. Mais d'après le peu de choses que je peux en voir, cet endroit dans lequel je me trouve m'a l'air littéralement énorme.
L'homme s'avance de nouveau vers moi, cette fois avec une petite clé dans ses mains grassouillettes, en plus de l'arme, toujours logée dans sa paume. Sans aucune douceur, il saisit ma tête pour me murmurer à l'oreille, approchant sa bouche luisante de mon visage : :
- Si tu tentes quoi que ce soit, je vise ta main droite, et tu peux être sûre que je m'arrangerai pour que tu ne puisses plus jamais l'utiliser. Si tu continues dans une autre tentative de rébellion, c'est la gauche qui y passe, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le strict nécessaire pour répondre à mes questions.
Il n'attend pas le hochement de tête que je m'apprêtais à lui concéder, tremblante et secouée par un spasme de dégoût.
Un cliquetis résonne dans l'immense pièce, hangar devrais-je dire, et ma tête est libérée. Puis il passe à mon torse, ma taille, mes mains, mes cuisses, et mes pieds, tous retenus soit d'une lanière soit d'une chaîne. Une fois toutes les attaches retombées sur le côté, il pointe son doigt sur moi et le replie vers lui pour m'ordonner de me lever.
Craintivement, péniblement, malgré les courbatures qui manquent de m'arracher de nouveaux cris de souffrance, je soulève mon corps endolori.

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