Hélène — Celestia

5 minutes de lecture

 Le contrôleur du bateau m’aide à débarquer mon sac, puis, par pitié, prend un instant à m’assister pour l’endosser, il me souhaite une bonne journée, alors que d’autres personnes sortent autour de moi. Je fais mes premiers pas à Celestia.

 Le ponton débouche sur une sorte de cité HLM, de trois étages, le soleil brille dans le ciel et du linge pend de part et d’autre des immeubles. Bon, le linge qui pend fait un peu image d’Épinal, mais on est bien loin de la splendeur de Venise telle que le montrent les guides. Ici, ce sont des bâtiments d’habitation, rien à voir avec les palais que j’ai pu apercevoir en arrivant ou entre deux siestes lors du trajet.

 Un vent léger et frais souffle dans mon dos, une sirène stridente se rapproche. Je me retourne et suis sidérée par la vue de la lagune avec, çà et là, les bateaux qui la sillonnent. L’ambulance file sur l’eau devant moi en poussant ses cris de mouette. C’est dingue, cet espace ! La vision porte loin dans cette direction. Derrière moi, les immeubles. Devant, la mer et les îles. Je me trouve juste à la frontière entre l’horizon maritime et l’intimité cloîtrée de la ville.

 Un coup de pompe, à nouveau ! Je dois me mettre en quête de la pension Valente.

 Hésitante ou plutôt chancelante, je me retourne vers les HLM. Au passage, je remarque les murailles rouges qui bordent les bâtiments, de l’autre côté d’un petit port. Je ne sais pas à quoi correspondent ces murs menaçants. Certes, j’avais étudié le guide avant de partir, mais, comme tout le monde, j’avais surtout prêté attention aux lieux touristiques, à la place Saint-Marc, au pont du Rialto, à tout ce qui contribue à la renommée de la ville. Je n’avais pas effectué de recherche sur les quartiers populaires.

 Un peu plus loin, j’aperçois « Pierre Niney ». Il discute avec une vieille dame, elle tire un caddie. Le visage de Pierre est rempli d’une grande politesse, d’un peu de réserve, mais ses yeux trahissent une tendresse et un grand plaisir à partager ces quelques mots avec cette dame.

 Il faut que je demande mon chemin à quelqu’un. Pourquoi pas à lui ?

 Je m’approche alors qu’il aide la vieille dame à porter son caddie sur les marches d’un des immeubles. Par la porte ouverte, je le vois qui dépose les courses un peu plus loin. Il la salue, presque comme un soldat le ferait. Ce gars me surprend, il semble habité par une grande gentillesse, mais son attitude un poil rigide contraste, une sorte de dissonance que je n’arrive pas à comprendre.

 Lorsqu’il sort, je fais semblant de lire mon plan. Du coin de l’œil, je le vois, il se fige en me voyant, s’apprête à raser les murs quand je l’interpelle.

 « Prego, Signore »

 Là, j’hallucine complètement, on dirait que le simple fait de lui adresser la parole de façon polie et dans sa langue le change complètement. Une sorte de commandement intérieur semble le guider, je ne me connaissais pas ce genre de pouvoir. Il s’avance devant moi, un peu raide, mais un beau sourire, quoiqu’un peu commercial, illumine son visage. Sa bouche se crispe, il est clair que son cerveau dicte ce sourire, mais ses yeux sourient aussi.

 Je ne sais pas comment vous expliquer. Quand une personne sourit, elle le fait avec son âme et l’ensemble de son visage, du moins c’est ce que je pense. Les commerciaux et les menteurs invétérés n’arrivent en général à sourire qu’avec les lèvres, ils imitent le sourire en faisant le bon rictus, mais celui ou celle qui les regarde trouve leur sourire faux, car leurs yeux et leur voix ne sourient pas, eux.

 Là c’est l’exact inverse qui se produit sur le visage de « Pierre » , sa bouche se plisse en un sourire forcé alors que ses yeux démontrent un réel plaisir à me répondre.

 Allez savoir ce qu’il se passe dans la tête de ce maigrichon. Il doit avoir quelques années de plus que moi, il mesure une tête de plus, mais sa figure me fait l’effet d’un gamin ravi de me parler.

 Je suis persuadée qu’il me reconnaît, mais n’en laisse rien paraître, il écoute ma question hésitante sur le chemin pour la pension Valente. Il ne tergiverse pas longtemps, il connaît, mais ses explications rapides, à grand renfort de gestes, me laissent perplexe. Devant ma figure un brin déconfite, il me propose de me guider. Je n’ai pas le temps de protester, il a déjà embrayé le pas.

 Il marche dans les larges allées entre les immeubles, tellement vite que je dois trotter derrière lui pour ne pas me laisser distancer. Au bout de quelques mètres, alors que nous quittons le groupe de bâtiments d’habitations collectives, il se retourne, constate que j’ai un train de retard, et s’arrête le temps que je le rejoigne.

 Nous débouchons sur une large place, des enfants s’y livrent à un match de foot sous l’œil protecteur de leurs mères, assises sur des bancs et sous les regards méfiants d’une troupe de chats allongés sur des dalles chauffées par le soleil printanier.

 C’est drôle Venise, l’ancien et le moins ancien s’y mêlent en permanence, nous venons de quitter une citée typée HLM pour nous retrouver sur une large place bordée de vielles maisons et de bâtiments historiques.

 « Pierre » marche toujours devant moi, je suis trop essoufflée pour parler, mon esprit est trop embrouillé pour que j’articule trois mots de plus en italien. Nous traversons une rue dont les maisons grises et sales ne témoignent pas d’une grandeur passée, mais d’une modestie bien actuelle.

 J’en éprouve un sentiment mitigé. On est loin des fastes décrits dans les guides, des palais flamboyants. Ici ce sont les gens qui vivent, pas les touristes qui regardent. Je me sens un peu décalée alors que Pierre, lui, salue tout le monde, depuis les enfants qui jouent jusqu’aux mères qui les gardent. Je crois même percevoir un petit geste pour les chats qui flemmardent sur les dalles.

 La ruelle finit par déboucher sur un canal. Rien à voir avec le grand Canal ! C’est un canal à l’eau verte, encombré de barques stationnées là. Il s’en dégage une odeur de vase salée qui me rappelle un peu les colonies de vacances au bassin d’Arcachon, quand j’étais petite.

 Devant, un bel immeuble ancien dont les briques rouges plongent dans l’eau, interrompues par une sorte de ponton de pierres blanches ouvrant sur une porte en fer forgé. Garés à ses côtés, des bateaux attendent que leurs propriétaires les utilisent. Je commence à percevoir l’âme de la ville. Le rassemblement de l’habitat, de la pierre des rues et de l’eau de canaux, une grande proximité entre ses trois éléments.

 L’émotion est plus vive chez moi en voyant ce lieu de vie, de rassemblement des éléments de la ville qu’en assistant au spectacle grandiose du grand canal devant la gare.

 Pierre a déjà atteint le pont, un peu plus loin. Il regarde dans ma direction, il ne semble pas s’impatienter, mais son attitude me crie de le suivre. Je m’apprête à franchir mon premier pont à Venise.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire GEO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0