Un pourparler

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Alors qu’ils avançaient d’un pas alerte, bien loin de là, sur la surface de la terre, une gigantesque armée se préparait à partir. Sieber parcourait les écuries pour choisir un des plus robustes étalons. Quand, à sa surprise, le sien n’était pas mort mais bien en vie entre les mains soigneuses du palefrenier. Il s’arrêta net, une grimace au coin des lèvres, ce qu’il détestait le plus : la désobéissance. Il s’avança, attrapa par le cou le jeune homme et le fit sortir. Bien que, celui-ci se débattait, Sieber avait la ferme intention de le faire regretter son geste. Il le conduisit jusque devant un grand attelage, d’où de solides barreaux de fer ne laissaient entrevoir rien de plus que des masses sombres et grondantes.

- A table mes petits ! dit-il en plongeant l’homme à l’intérieur.

Des mâchoires se saisirent du pauvre malheureux, et le dévorèrent en s’arrachant des lambeaux de chairs humaines. Les gueules largement ouvertes, des énormes chiens à deux têtes se battaient le maigre butin. Sieber fit un large sourire, en regardant le spectacle avec admiration. Ses hommes, eux, reculaient, tétanisés par la scène insoutenable. Un page s’approcha et lui tendit les rênes d’un magnifique cheval de trait. Sieber grimpa sur la selle, rejoignit la tête de l’armée puis se teint aux côtés d’Arkama. Ils échangèrent un large sourire puis enjoignirent les soldats d’avancer.

Bien loin de là, dans la grande citadelle de Tarcille, Edvrid se rendit directement dans la grande salle de réception. Il s’inclina devant le trône où un jeune homme le dévisageait. Ce dernier était blond aux yeux bleus azur, d’une vingtaine d’années, habillé richement, portant une grosse couronne en or massif. Le tourment se lisait dans son regard, si Edvrid se présentait, seul, devant lui, alors le pire était à craindre.

- Où est Roland ? lui demanda-t-il sèchement.

- Mort, sire ! Nous avons essuyés une…

- Quoi ? hurla Tarcille en se levant.

- Nous n’étions pas le nombre nécessaire pour remporter ce combat, seigneur ! apposa nerveusement Edvrid. Je vous rappelle que Roland vous en avez requit bien plus !

- Je ne te permets pas de me parler sur ce ton, petit maitre d’arme ! Mes parchemins, sont-ils bien arrivés aux destinataires ?

- Je ne puis répondre à cette question, j’ai retrouvé le corps sans vie de Roland dans la montagne bleue. Il n’y avait pas de parchemins, et même son arme avait disparue.

- Je me fou bien pas mal de savoir si son arme à été vendue, perdue ou je ne sais quoi encore ! hurla-t-il de plus bel, en rudoyant son serviteur qui était près de lui.

- Mais, Roland n’avait pas à traverser la montagne bleue, sire. Appuya fermement Edvrid sur chacun de ses mots.

- Qu’il aille pourrir en enfer ! Je me moque bien du chemin qu’il avait prit, Edvrid. Répondit-il en le pointant du doigt. Tu vas retrouver ces parchemins, et le plus vite possible, car sinon, c’est ta tête que je vais suspendre sur les créneaux.

- Ils ont peut-être été volés par les éclaireurs d’Arkama.

Tarcille tournait en rond, marronnant dans sa fine barbe pubère. Il se retourna face à son scribe et lui ordonna d’envoyé une copie du dernier acte conclu à son cousin, puis tendit la lettre au chevalier.

- Va, Edvrid. Cours aussi vite que le vent. Si Arkama a mes parchemins, il nous faut des renforts.

- Yvon vous avez déjà répondu, sire, et je ne crois pas qu’il le fera cette fois encore.

- Je me passe de tes commentaires, la princesse arrive dans trois semaines, et je n’ai pas envie qu’elle piétine une citadelle en ruine.

- Si je peux me permettre, sire, Yvon ne veut que la couronne et se rangera naturellement du côté d’Arkama. Il ne fait aucun doute qu’une prise de la citadelle se fera d’un côté comme d’un autre.

- Mes messages devaient être adressés justement pour apaiser ce climat, et je vois bien, que cela n’effleure pas le moins du monde ton petit esprit ! répondit le seigneur en s’avançant droit sur lui, et après l’avoir empoigné, il le fit s’agenouiller devant lui. Il t’appartient de bien remettre cette missive à mon cher cousin, sinon, je te jure que ce que je ferai de toi sera pire qu’une nappe de boue !

- Pardon, sire ! Oui, je donnerai cette lettre, je pars de ce pas.

- Fais vite ! Si Arkama a pris la route, il devrait être sur nos murs dans cinq ou six jours.

Edvrid se leva, s’inclina puis sortit rapidement de la salle. Il dévala les grands escaliers de pierres et se dirigea vers les écuries afin de récupérer Oscar. Là, au bout de la place centrale, un loquet s’ouvrit sur un vieux mage.

- Je suis Phillias, grand mage des terres et je demande audience au seigneur Tarcille.

Le garde le regarda de la tête aux pieds, réfléchit quelques instants.

- Faites vite, Phillias ! s’écria Roland depuis la grande place.

- Veuillez m’ouvrir, et vite, jeune homme.

- Phillias, Edvrid se rend aux écuries, il faut que vous lui parliez.

- Je fais mon possible, Roland.

Le soldat regarda autour de lui, puis derrière le vieillard, mais il ne vit point son maître d’arme. Il fronça les sourcils et finit par ouvrir la grande porte en bois. Le mage se dégagea rapidement puis s’engouffra dans la place. Roland lui fit signe de le suivre, ce qu’il fit, sous le regard interloqué du garde. Arrivés à quelques pas des écuries, un autre lui barra le passage et l’enjoignit de le suivre alors que Roland entrait. Dépité, Phillias soupira fortement, car il savait que cette situation n’allait pas être bien vue.

- Jeune homme, dit-il doucement, je sais que cela va vous paraître étrange, mais sachez que des forces sont en mouvements autour de nous.

Il reprit à haute voix, de façon à être bien entendu :

- Je demande au chevalier Roland de me suivre, et maintenant.

L’homme au casque de fer regarda autour de lui, sans vraiment comprendre. Phillias répéta encore une fois, bien plus fort avant que Roland finisse par sortir des écuries.

- Phillias, il faut parler à Edvrid, faite vite, il va partir.

- Pardon jeune homme. Répondit Phillias en posant sa main sur l’épaule du gardien. Je crains devoir dire une phrase qui va certainement vous faire croire que je perds la tête, mais, non. Roland, Edvrid n’est pas une personne avec laquelle nous devons parlementer.

Le mage soupira fortement et passa devant le garde. Ils montèrent jusque dans la grande salle de réception. Il s’avança devant le trône vide et se retourna pour entrevoir le jeune roi promis, qui se tenait devant une fenêtre. Phillias s’approcha et regarda par-dessus son épaule. Là, en bas, Edvrid sortit au galop. Tarcille souffla puis se retourna face au vieil homme.

- Phillias, tout le monde vous croyait mort depuis bien longtemps ! Que me vaut votre visite ?

- Plusieurs choses, à vrai dire ! répondit le vieillard en s’avançant au milieu de la pièce.

- Je vous écoute !

- La première est que j’ai quelqu’un avec moi, qui je vous l’assure est bien là, même si vous ne pouvez le voir.

¾ Et qui est-ce ? questionna Tarcille, en ricanant, amusé déjà par ce qu’il allait entendre.

- Roland !

Le jeune homme se mit à rire, puis lui fit un signe de sortir. Trois gardes s’avancèrent pour entourer le mage, se préparant à l’empoigner de force.

- Attendez Tarcille ! s’écria-t-il. Je vais vous le prouver. Permettez-moi de vous le montrer.

Il leva les paumes de ses mains vers le ciel, récita quelques incantation et, subitement, tout se figea dans la pièce. Son regard reprit cette couleur rouge très vive. Tarcille avait les yeux rivés sur lui, les gardes, bouches ouvertes, prêts à saisir le vieillard, et la main du scribe levée avec une goutte d’encre au bout de sa plume qui était en apesanteur. Roland n’en revenait pas, ce vieux mage pouvait suspendre le temps ?

- Mets toi vite devant lui, Roland, je ne tiendrai pas longtemps.

Le chevalier s’exécuta et grimpa les quelques marches qui l’emmenaient devant le trône. Il passa sa main devant le visage de Tarcille, afin de s’assurer qu’il ne faisait pas un rêve.

- Est-ce qu’il me voit ? demanda-t-il un peu dubitatif.

- Oui, il te voit bien !

Et soudain, le cours du temps reprit sa place. Les gardes se jetèrent sur le mage, empoignant fermement ses bras.

- Attendez ! s’écria Tarcille en levant la main. Est-ce une farce de votre part, vieux mage ?

- Non, Roland est là, avec nous, en ce moment !

- Comment avez-vous fait ça ?

- J’ai été promu grand mage après l’arrestation de Fergus, mais ceci est une autre histoire jeune homme. Et ce que je vois aujourd’hui me dit que j’aurais dû vous mettre plus de coup de pieds au derrière dans votre jeunesse !

¾ Je vous interdis de me parler sur ce ton !

Tarcille fit signe à ses soldats de reculer et se présenta, droit et fière, devant lui.

- Mon père était le roi, c’est donc moi qui dois reprendre son royaume. Fit-il entre les dents.

- Ton père a eu trois fils, je vous le rappelle ! Mais nous avons autre chose à discuter en ce jour, Tarcille ! Roland s’est donné à la montagne bleue, cela fait de lui le plus invulnérable des guerriers.

- Le plus invulnérable ? pouffa le jeune roi. Qu’est-il s’il n’est pas juste un fantôme, une ombre qui ne peut ni parler ni guerroyer.

- Roland m’a fait part que vous lui avez remis plusieurs missives… à qui elles étaient destinées ?

- Cela ne vous regarde pas !

- Cela me regarde, Tarcille. Personne ne pourra prendre le trône sans la bénédiction d’un mage. Qu’avez-vous en tête ?

Tarcille parcourait la salle dans les moindres recoins, essayant d’apercevoir ce maudit chevalier qui revenait d’entre les morts.

- Où est-il ?

- Juste là ! répondit Phillias en posant sa main sur quelque chose d’invisible.

- Peut-il me voir ?

- Bien entendu !

- Alors, écoutes-moi, toi chevalier de courant d’air. Je t’avais donné précisément ces missives, les as-tu donnés à qui de droit ?

- Non, et je ne sais qui me les a prises, probablement un éclaireur d’Arkama. Mon armée… réduite en cendre car trop faible en nombre ! J’ai échappé à ce massacre et des pisteurs de Sieber m’attendaient au cœur du vallon. Je me suis battu, tant que j’ai pu. Lorsque j’ai entendu les cris des chiens du diable, je n’avais plus aucun choix, celui de demander la protection à la montagne bleue. Une tempête s’est levée, venue de nulle part. Je me suis traîné jusque dans une petite maison. Là, je devais cautériser mes plaies. J’ai ouvert une des missives, pour allumer un feu. Mais lorsque je me suis levé pour reprendre du bois, tout était figé autour de moi, c’est la mort que j’ai trouvé, là haut.

Phillias répétait mot pour mot, tout ce que Roland lui disait. Et bien que Tarcille fisse le tour du vieil homme, Roland reculait devant lui, de peur de traverser le corps de cet homme pour qui, il n’avait plus de compte à rendre.

- Renonce au trône Tarcille, sinon ce que tu vas déclencher va être ta perte ! Tu as envoyé des missives pour annoncer ton alliance avec les Prusse, de ce fait, tu outre passe les lois !

- Comment savez-vous cela ? répondit le jeune homme en fronçant les sourcils.

- Roland a vu ces lettres, et j’ai pu aisément voir à travers son esprit. J’ai figé ce temps, afin que je puisse savoir de quoi il en retournait. Et je l’ai guidé pour qu’il puisse me rejoindre dans la forêt maudite. Il a mis du temps, mais il est venu. Et aujourd’hui, il est le seul à pouvoir vous renverser, tous autant que vous êtes si vous ne vous soumettez pas aux lois.

Roland se retourna brusquement sur son compagnon de fortune. C’était donc bien lui qui était dans cette montagne bleue. Ses souvenirs se bousculaient, il n’avait pourtant pas vu ce vieux mage autour de la maisonnette.

- Tarcille, continua Phillias, il te faut passer un accord avec Arkama et Yvon. Si ton frère fut de ce monde, il en aurait fait ainsi.

- Je ne passerai pas d’accord avec eux ! s’écria le jeune homme en remontant sur son trône.

- Tu dois le faire Tarcille, pour le bien de tous !

Tarcille se cramponnait à ses accoudoirs, le regard noir de colère, les dents serrées. Il hésita un instant puis se leva brusquement.

- Sortez, fit-il en le fixant, sortez, toi et ton courant d’air de ma citadelle, et n’y remettez jamais les pieds, ou je vous ferai brûler sur un bon bûcher que j’allumerai moi-même.

- Tarcille…

- Sortez ! hurla-t-il, en pointant du doigt les grandes portes.

Phillias soupira puis s’en retourna, il n’y avait plus rien à faire, Tarcille campait sur ses positions. Roland resta néanmoins un instant à regarder ce futur roi pour lequel, il avait donné sa vie. Dans son esprit, tout se brisait, la colère montait petit à petit, lui qui avait fait allégeance, ici même, ployant le genou. Là, devant lui, ce petit roi, indigne, méprisant à souhait, se moquait bien de la vie de ses chevaliers. Tout son corps se mit à trembler, les poings serrés, il fit un pas en arrière et hurla de toutes ses forces. A l’autre bout de la pièce, Phillias se retourna brusquement.

- Non, Roland, ne la réveille pas, pas maintenant ! s’insurgea-t-il.

La voix de Roland résonna sur tous les murs qui commencèrent à s’effriter. Le sol se mit à trembler et des lucioles apparurent, enveloppant le corps tout entier du chevalier. Ce dernier s’avança droit sur le trône, conjurant le petit prince de s’en extraire et de venir l’affronter. Contre toute attente, le corps de Roland apparu, brillant, étincelant, au regard luisant. Tarcille tomba lourdement sur le sol, apeuré par ce qui se produisait devant lui. Des pierres se désolidarisaient du plafond et venaient s’écraser sur chacun des pas que faisait le fantôme. Phillias accouru et stoppa le processus incontrôlable.

- Arrête ça, tout de suite, Roland ! cria le vieil homme. Il ne le mérite pas, ne l’appelle pas, pas maintenant ! continua-t-il sur une voix plus douce, essayant de le calmer. Viens, sortons d’ici, nous lèverons une armée, mais pas de cette manière.

Roland inspira fortement, il devait l’écouter, puisque lui seul savait ce qu’il pouvait advenir de ce beau royaume. Il laissa retomber sa colère, puis, peu à peu le calme revint et son image s’éteignit. Phillias lança un dernier regard glacial sur le futur roi et sortit. Ils longèrent les longs couloirs, passèrent les grandes portes d’entrées, traversèrent le pont-levis et disparurent au loin.

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