Chapitre 23 : La surprise - (1/2)

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Deirane revenait de son cours d’usfilevi. Après le coup que lui avait joué Brun, c’était la seule chose qui arrivait à lui donner du plaisir. Elle déposa son instrument dans sa chambre. Loumäi n’était pas là. Elle se demanda ce que faisait la jeune femme quand elle ne travaillait pas. Elle avait certainement des occupations à côté. Les domestiques n’étaient pas comme les concubines, recluses. Elles pouvaient rencontrer des gens, avoir des amis et même fonder une famille. Elle se rendit compte qu’elle lui avait beaucoup raconté sa vie, mais ne savait rien de celle de Loumäi. Elle se promit d’y remédier rapidement. Peut-être avait-elle envie de se confier aussi.

En tout cas, elle n’avait pas besoin d’elle pour s’habiller. Elle se débarrassa en un tournemain de son uniforme de l’école qu’elle rangea sur un cintre puis elle passa une tenue plus en adéquation avec son statut de future concubine. Elle aimait bien le jaune, mais il n’allait pas avec son teint de peau. Et le vert, elle n’en portait plus depuis que Gyvan avait été tuée par une robe de cette couleur. Finalement, elle se décida pour un ensemble bleu : un petit boléro en soie brodée d’or et une jupe qui descendait à mi-cuisse. Une chaîne en or maintenait le haut fermé, elle ne se sentait pas de se balader les seins à l’air comme Mericia tout en se disant qu’elle essaierait un jour pour voir l’effet que ça ferait. Un jour qui n’arriverait certainement jamais. Elle ne possédait pas de diamant pour décorer son nombril, mais avec les pierres précieuses qui la constellaient ce n’était pas un problème.

En se dirigeant vers les jardins, elle croisa Dursun qui sortait de la douche. Elle ne portait qu’une serviette enroulée autour du corps.

— Où vas-tu ? demanda-t-elle.

— Me promener dehors, répondit Deirane.

— Je comptais aller me baigner un instant dans la piscine, mais ce n’est pas une bonne idée de nager seule. Tu ne veux pas m’accompagner ?

— J’ai besoin de prendre l’air.

Dursun la regarda, le visage suppliant.

— Allez…

Comme Deirane ne répondait toujours pas, elle capitula :

— D’accord pour le jardin. Je viens avec toi.

— Tu ne peux pas.

— Pourquoi ?

— Tu es en serviette.

— Je peux l’enlever.

— Qu’est-ce que tu as en dessous ?

— Je sors de la douche.

— Tu ne peux pas te balader toute nue dans le harem, tu es trop jeune.

— Mericia le fait bien elle.

— Mais Mericia n’a pas neuf ans.

— Dix.

— Dix non plus.

Comme Deirane restait toujours muette, Dursun commença à défaire les pans de sa serviette. Deirane rendit les armes face à la terrible adolescente.

— C’est bon, je viens.

Dursun lui adressa un sourire espiègle et l’entraîna vers la salle des tempêtes. Deirane pensa qu’elle allait devoir la reprendre en main, le harem avait vraiment une mauvaise influence sur elle. Elle se demanda juste après quand elle était devenue sa mère.

Au moment où elle passa la porte de la salle de repos, une acclamation l’accueillit.

— Surprise !

Bouche bée, elle regarda ses amies qui s’étaient rassemblées derrière une table. Au centre, un magnifique gâteau. Et à côté, une profusion de cadeaux. Sous le choc, elle se tourna vers Dursun qui arborait un air hilare. Elle avait enlevé sa serviette, révélant une robe bleu sombre d’une pièce, décente bien que trop courte pour une fille de son âge. D’ailleurs, toutes avaient procédé à des effets vestimentaires. Dovaren en particulier, la plus belle du groupe, était sublime dans sa robe blanche qui la moulait comme une seconde peau.

Dursun lui prit la main et l’entraîna vers la table.

— Qu’est ce que c’est que ça ? demanda-t-elle.

— On fête ton anniversaire, répondit Dovaren.

— Mais ce n’est pas aujourd’hui.

— On ne savait pas quand il avait lieu, mais tu m’avais dit que c’était pendant l’été. Ce jour en vaut bien un autre.

Deirane était émue de l’attention de ses amies. Elle était sur le point de pleurer.

— C’est en heimi, le huit, parvint-elle à articuler.

— Nous sommes en murnyl.

— Murnyl ?

Deux mois. Elle avait raté la date de deux mois. Les larmes se mirent à couler pour de bon. Dovaren contourna la table pour étreindre son amie. Dursun, désolée de la réaction de la jeune femme, l’enlaça à son tour.

— J’ai raté mon anniversaire, hoqueta-t-elle entre deux sanglots. On aurait dû organiser une grande fête ou toute la famille aurait été réunie. Même les parents les plus éloignés seraient venus. Ma mère préparait une robe pour l’occasion. Ma première robe de femme.

— Mais quel âge as-tu en fin de compte ? demanda Nëjya.

— Douze ans.

Douze ans, voilà qui expliquait son état. Dovaren était suffisamment instruite pour connaître l’importance de cet âge pour les natifs de la vallée de l’Unster. C’était celui où ils cessaient d’être considéré comme des enfants pour devenir légalement adulte. Une date fondamentale pour un yriani. Elle devait certainement faire l’objet de réjouissances préparées longtemps à l’avance. Cela devait faire des années que Deirane attendait cet événement avec impatience. Elle devait imaginer comment cela se passerait. Elle aurait revêtu sa première robe de femme, une robe qui l’aurait mise en valeur au lieu de la camoufler. Un homme, un proche, son petit ami si elle en avait un, l’aurait invitée à danser. Ils auraient été seuls sur la piste au début pour la faire admirer à tout le monde. Ça aurait été une fête grandiose. Et Brun la lui avait volée en l’enlevant.

Comprenant ce qu’elle avait perdu, Dovaren la serra davantage contre elle. Deirane se laissa aller un moment sur l’épaule de son amie. Puis elle sembla se reprendre. Elle s’écarta légèrement, mais elle garda le contact d’une main légère.

— J’ai taché ta robe, remarqua-t-elle désolée.

— Ce n’est pas bien grave, répondit Dovaren.

Deirane tourna la tête vers la table.

— Il a l’air délicieux ce gâteau. Si on le mangeait.

— Un instant.

Dovaren prit une serviette pour essuyer le maquillage qui avait coulé sur le visage de son amie.

— Tu es plus présentable comme ça.

— Merci.

— Et puis, tu es une femme maintenant, plus une enfant. Ça, c’est de trop.

Elle ôta la chaîne qui maintenait le boléro en place. Deirane éprouva une brève panique à l’idée qu’il pouvait s’ouvrir et révéler ce qu’il était censé cacher. Mais elle était adulte. Depuis deux mois en fait. Et s’il s’écartait, était-ce grave, elle était au milieu de ses amies.

Elle regarda autour d’elle. Des domestiques étaient présents, et les deux eunuques également. Ces derniers contemplaient leurs pieds, gênés par cette effusion. Loumäi se tenait parmi elles.

— Vous venez avec nous, les invita-t-elle. Il me paraît trop gros pour nous cinq.

Elles hésitèrent.

— Loumäi, tu es une amie aussi. Tu ne peux pas rater cette fête.

Sa femme de chambre s’avança. Cela fut le coup de pouce qui manquait pour que les autres se joignissent aux concubines. Les deux eunuques étaient les seuls hommes de l’assistance. Mais maintenant que Deirane s’était ressaisie, ils ne semblaient plus gênés. Même quand Loumäi frôla accidentellement l’un d’eux avec ses seins, tant tout le monde s’était agglutiné autour de la table. Non, ce n’était pas accidentel, pensa-t-elle en prenant l’assiette que lui tendait Dovaren, elle avait recommencé. L’eunuque ne paraissait pas s’apercevoir des attentions de la jeune femme, mais d’une main il caressa une hanche opportunément à portée. Ils étaient amants, elle en était sûre. Elle était ravie d’avoir découvert ce fait. Elle éprouva une furieuse envie de le connaître, de parler avec cet homme qui partageait sa domestique avec elle. Mais pas maintenant. Elle ne pouvait sans le demander d’abord à Loumäi. Cela ne se faisait pas entre amies. Doucement, elle s’approcha d’elle.

— Il faudra que tu me le présentes, lui glissa-t-elle à l’oreille.

Loumäi rougit, mais ce n’était pas de la honte que son visage arborait, plutôt un sentiment de victoire.

— Il s’appelle Daniel, dit-elle timidement.

Deirane n’insista pas. La domestique était si réservée qu’il valait mieux la laisser tranquille. Ce début de confidence était déjà énorme de sa part. Elle se rapprocha de Dovaren. Mais elle surveillait toujours. Maintenant qu’ils se savaient découverts, ils n’avaient plus aucune raison de se cacher. Il s’était mis derrière elle et lui avait passé les bras autour de la taille. Ils étaient prêts pour la suite du spectacle. Loumäi avait une corpulence similaire à celle de Deirane. Elle se dit qu’elle pourrait l’autoriser à puiser dans sa garde-robe. Elle pourrait même lui en offrir quelques-unes qu’elle ferait ajuster pour qu’elle en possédât qui lui appartinssent vraiment. La domestique serait sûrement ravie. Et ne parlons pas de ce bel inconnu – Daniel – qu’elle avait harponné.

— Il est temps d’ouvrir les cadeaux, intervint Dovaren.

— Il y en a beaucoup, remarqua Deirane.

— Il n’y a pas que nous à t’en avoir offert. D’autres concubines ont participé. Chenlow et Orellide aussi. Et même Brun a donné quelque chose. Plus les domestiques.

— Mais pourquoi ne sont-ils pas venus ?

— Brun ne peut pas. Ça perturberait trop les influences dans le harem. Et puis ce n’est pas son genre. Même chose pour Orellide et Chenlow. Et les concubines n’ont pas osé. Mais nous sommes là et les domestiques aussi.

Elles étaient là. C’était vrai.

— Mais comment vous êtes-vous procuré tout cela ?

— On a demandé aux domestiques de l’acheter pour nous.

— Mais avec quel argent ?

— Mais avec celui que Brun nous verse.

— Brun nous verse de l’argent ?

— Bien sûr. Il nous a à toutes ouvert un compte à la banque et il y dépose dix cels tous les mois. On ne peut pas sortir pour le dépenser, mais nos domestiques peuvent s’en charger pour nous. Tu ne le savais pas ?

Deirane secoua la tête. Personne ne lui avait signalé cette possibilité. Elle disposait donc de plus d’une centaine de cels quelque part. Presque dix fois plus que ce que son père avait accumulé au cours d’une vie de travail. Ce détail était troublant. Elle préféra revenir aux cadeaux.

Celui de Brun était reconnaissable à la richesse de son papier qui contrastait avec sa relative petite taille. Il contenait une broche en argent ornée du logotype du roi en diamants. Il la marquait ainsi comme sa propriété. Elle se demanda pourquoi elle était surprise. Celui de Chenlow, en commun avec Orellide, l’émut beaucoup. C’était un usfilevi de toute beauté. Le luthier avait créé une œuvre d’art en employant des essences de couleur différente et de l’ivoire pour dessiner des motifs. Les touches étaient en métal de même que les cordes, rien que cela le mettait hors de prix. Elle gratta quelques notes. Il n’était pas accordé pour ne pas fatiguer le bois, mais le son était d’une profondeur qu’elle n’avait jamais entendu auparavant. Eh bien, elle allait jouer pour eux un jour, quand elle s’estimerait digne d’utiliser un instrument aussi magnifique. Elle le rangea dans sa boîte.

Elle chercha le prochain paquet à ouvrir. Dursun la devança. Elle lui en tendit un maladroitement emballé. Deirane le prit.

— Merci, dit-elle, je parie qu’il vient de ton potager.

— Je voudrais bien, mais c’est trop tôt.

Intriguée, Deirane le déballa. Il contenait un panier en osier scellé d’un cordon de silt. Elle allait le dénouer quand la jeune fille l’arrêta.

— Non, dit-elle, ferme les yeux et ouvre la bouche.

Amusée, Deirane obéit. On lui introduisit un petit objet rond entre les lèvres. C’était dur. Et c’était… En reconnaissant le goût, elle fut incapable d’aller plus loin. Elle essaya de l’avaler tout rond, mais elle éprouva un haut-le-cœur et ne put s’y résoudre. Elle le recracha dans sa main. Elle sentait les larmes lui revenir. Pour éviter de s’effondrer, elle s’enfuit. Elle savait qu’elle blessait Dursun en agissant ainsi. Mais c’était au-dessus de ses forces.

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