Anosmie (2)

Une minute de lecture

Le vernis de Venise, le jasmin de Tunis, les chemins de ces îles bordés d'eucalyptus et ce parfum précieux qui émanait, subtil, de ton foulard de soie emporté cet automne dans la brise marine chargée d'embruns iodés.

Par bonheur ces odeurs, ces fragments de passé, sont ancrés dans mon cœur qu'ils baignent de douceurs. Il m'arrive quelquefois de fermer les yeux et, les paupières closes, j'imagine les effluves surgissant du néant envahir mon être à chaque inspiration. Ouvrant grand mes poumons, ma cage thoracique bombée sous la pression, j'engloutis des bouffées d'air frais qui s'immisce en mes sinus avides d'arômes. Mais ces effluences me semblent bien lointaines, ténues, diaphanes, presque perdues à tout jamais. Dans ces efforts vains, implacablement inutiles, je n'hume, malheureux, que de beaux souvenirs.

Que n'ai-je profité davantage de ces airs merveilleux ! Pourquoi tant de fois m'ont-ils laissé indifférent ? Lentement, ils se sont tus et leurs voix délicates se sont évanouies. Comme un feu réconfortant qui s'éteint, perdu sous les cendres grises et froides, et qu'on regrette alors que nus sous les étoiles, le vent d'hiver nous gèle les sangs, ces voix désormais muettes ne me laissent que d'amers regrets et la mémoire mourante de leurs harmonies. Je ne sentirai plus, me voilà amputé d'un sens plus précieux que toutes les richesses.

Pourquoi cette cuisine semble-t-elle désertée de ces fumets appétissants ?
Pourquoi ce vin n'est-il plus qu'un bouquet fané ?
Où sont les parfums sucrés de tes mains tachées de framboise ?
Où est l'odeur ambrée de ta peau ?
Pourquoi ton oreiller semble-t-il délaissé par l'odeur de tes cheveux, rassurante dans ma solitude ?
Pourquoi tes lèvres n'ont-elles plus le goût que j'aimais naguère ?

Tout est perdu. Le monde s'efface peu à peu, laissant la place à un désert blanc, silencieux, sans même une petite brise portant depuis le lointain ces émanations faussement futiles qui auraient pu devenir de tendres souvenirs.

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