Ephémères sanctuaires
Quels sont ces lieux que l'on découvre
Au détour d'un petit chemin,
Des méandres d'un ruisselin,
D'un coin sombre dans un jardin ?
*
Quelles sont ces clairières de lumière
Où trônent des chênes millénaires
Majestueux, fiers Jupiters,
De ces lieux esprits tutélaires ?
Ils vous inondent de leurs ombres,
Leurs troncs et leurs écorces grondent
Et l'air qui les frôle vrombit
Et volent leurs feuilles en trombes.
Telle une antique cathédrale
Qui abriterait le Saint Graal
Ils sont sentinelles ancestrales
D'une relique végétale.
Vous innocents profanateurs,
Qui vous égarez en cette heure
Il serait temps de prendre peur
Avant d'éveiller leur fureur.
*
Quels sont ces sous-bois entoilés
De filins tendus d'araignées
Que le vent d'automne a menées
Se perdre en ces lieux damnés ?
Y jouent les rayons du soleil
Une mélopée sans pareil
Invisible aux chastes oreilles
Empoisonnant d'un long sommeil.
Dans ce dédale d'Arachnée
Qu'ils avaient osé déflorer
Combien de sacrifiés ailés
En volée se sont étranglés ?
Ils pendent là près des brindilles,
Où la gravitation vacille,
Suspendus comme des chenilles
A d'imperceptibles fibrilles.
*
Quelles sont ces eaux marécageuses
Au-dessus volent libellules
En essaims denses qui pullulent
En ces soirées de canicule ?
Elles planent, s'arrêtent, foncent et fusent,
S'élancent dans une nuée confuse
Bourdonnant comme cornemuses
A l'assaut de quelques intruses.
Ces marais chauds sont leur royaume
Empli de vase qui embaume
Jusqu'à leur canopée les chaumes
Annonçant l'heure de fantômes.
Soleil enfin se couchera
Les ultimes rais de son aura
Sur les demoiselles lancera
Et leurs yeux diamants d'apparat.
*
Quelles sont ces prairies verdoyantes
Au printemps où, furtivement,
Sautent des rainettes fuyant
En myriades mes pas nonchalants ?
Elles sont d'émeraude ou de grenat
Couleur de feuille ou d'incarnat
Petits bijoux de la pampa
Dansant au son d'ocarina.
Celle-ci vit la fin d'un monde
Broyée dans un gargouillis_immonde
Par une chaussure vagabonde
Inattentive une seconde.
Mais c'est le temps des fauchaisons
La mort poignant à l'horizon
Chantera dans votre maison
Si triste et funeste oraison.
*
Ces endroits sont des sanctuaires
Ou des autels de sorcières
qui posent pieuses sur les bruyères
Des offrandes à la Terre-Mère.
Pour les trouver, il faut suivre
Le chemin d'or aux herbes folles
La voie d'argent sur la rosée
La lueur pâle dans les buissons.
Ces routes apparaissent au matin
Les premières clartés les révèlent.
Elles se découvrent au crépuscule
Sous le doux éclat de la lune.
Ces lieux ne sont qu'éphémères
Passages étroits dans le temps.
Ils ne survivent qu'un instant
Au clignement de nos paupières.
Puis ils s'évaporent dans le vent,
Se désagrègent dans la lumière
S'évanouissent dans la nuit
Ou sous les coups d'un ennemi.
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