Roman :.. Chapitre 3

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La rencontre avait été brève, pour ne pas dire furtive.

L'étoffe bleutée, que j'avais prise par erreur pour une robe, était agitée par les petits pas de la jeune beauté. Il s'agissait d'une chemise nouée par les manches autour de la taille comme le font les infortunés ainsi identifiables dans les rues de notre ville.

Sans doute plus jeune que moi ou sensiblement du même âge, elle semblait accompagnée par son père : costume sombre, pas de géant et droit comme un centaure d'au moins une tête plus haut – duquel elle cramponnait fermement le bras. Je n'avais pas eu le temps de m'attarder, mais le paternel paraissait suffisamment bâti pour intimider le frêle adolescent que j'étais encore.

Nos regards s'étaient croisés et un sourire immaculé s'était inscrit sur son visage diaphane et pour le moins androgyne comme peuvent être les visages adolescents quand ils ne sont pas encore entrés en maturation. J'aimais les genres confondus, les ambiguïtés, et son visage à ce moment même de notre éphémère rencontre m'avait interpelé, pour ne pas dire troublé. Une beauté féminine sur laquelle je décelais quelques expressions qui m'avaient effectivement piégé sans que je ne m'en rende compte dans l'instant : elle n'était pas une fille.

Ô oui, que j'aimais les ambiguïtés. Celles-ci du moins : une féminité m'affolant le cœur au travers de longs cheveux blonds, et la passion me le transperçant pour le doux visage souriant et rayonnant de l'adolescent rebelle, la chemise froissée accrochée autour de lui à la hâte comme l'aurait fait un romanichel. Une bien jolie frimousse, ambulante, trottinante, mais affublée d'un pater familias qui le tirait presque de force pour ne point qu'il continue à se détourner de l'objectif initial de leur sortie. Un rendez-vous important ? La visite d'un membre de la famille ? Comment savoir... et pourquoi en connaître la raison ? Il était là aujourd'hui, à sourire et à me faire sourire, et c'était tout. Cela me suffisait.

Dans ses cheveux, excessivement longs pour un garçon, était pincée pour les maintenir une épingle – sans doute empruntée à sa mère ou une sœur – si brillante qu'elle reflétait par moment les éclats du soleil. Je ne savais plus quoi faire. Je ne savais plus quoi penser. Alors, afin de ne pas perdre ce moment insaisissable, quoique pourtant il le fut, je me répétais à foison les mots qui m'avaient effleuré l'esprit : – Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon d'azur sombre, encadré d'une petite branche, piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond avec de doux frissons, petite et toute blanche ...

J'aurais aimé que cet instant soit infini. Que nos prunelles croisées ne se détournent jamais, comme ne se séparent plus les yeux des amoureux qui se découvrent alors qu'ils s'ignoraient encore la seconde précédente.

Oui, je me sentais amoureux. Je ne pensais plus à rien d'autre, ni à cette farce avec le tenancier du café, ni même aux amis qui m'entouraient encore. Je me sentais comme ivre, titubant et sans réponse. Je ne voyais plus qu'elle... que lui. Je confondais tout ce qui m'entourait. Les saisons aussi s'entourloupaient : Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête ... On divague ; on se sent aux lèvres un baiser qui palpite là, comme une petite bête ...

Je laissai mon âme s'emplir de romantisme et d'amour, mais aussi de dégoût : sentiment désagréable pour ce père qui entraînait d'un bras ferme le délicat gandin de plus en plus loin.

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