Dakar - Avril 2003

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Après une rapide mesure de percussions que j'entends à peine, les accords distordus de Kaya envahissent l'espace sonore et m'arrachent à des songes caverneux. Je ne sursaute pas, malgré le volume assourdissant. J'ai bien dormi, Bob Marley est dans la case, James aussi… il y a pire comme réveil ! Un doute intérieur me fait sourire avant même d'ouvrir les yeux :

Est-il allé se coucher, au moins ?

La réponse précède la question sans même que je l'aie posée :

— Surf all days, man ! Let's go riding !!! s'exclame-t-il.

Il a dormi. Il a même très bien dormi, ce con ! L'horloge affiche 7 h 30, il veut aller surfer et me parle anglais au réveil alors qu'il s'exprime d'habitude dans un français tout à fait correct. Oui, pas de doute, James est en pleine forme ! Je m'extirpe de ma couche et miaule en baillant :

— Allons-y... T'as l'air en forme.

— Et toi t'as l'air d'une baleine échouée. Allez, debout !

Après un rapide petit-déjeuner, nous sautons dans la Jeep. Direction la plage des mamelles, au nord-ouest de la ville. Deux monticules de calcaire ocre se dressent fièrement de part et d'autre du parking. Le tout surplombe la grève d'une cinquantaine de mètres et a donné son nom à l'endroit. Du haut de la falaise, on constate tout de suite l'absence de vagues.

— Ça ne rentrera pas aujourd'hui... Du moins, pas avant la prochaine marée, remarque James.

Qu'importe, on s'allume une clope et on s'assied. Le cliché des deux couillons contemplant l'immensité de l'océan dans une béatitude niaise en tirant sur un mégot n'a pas sa place ici... Cette cigarette est symbolique. Elle sonne le glas de nos résolutions sportives pour la journée. Comme pour corroborer nos pensées, un rasta vendeur de colliers arrive par derrière sans que nous l'ayons entendu :

— Salamalekoum, Toubabs. Vous êtes bien matinaux !

— Malekoum Salam. Nan ga def ? ( Salut. Comment ça va ?)

— Man gi fi rek ! ( Je vais très bien ! ) Vous parlez wolof ? Ça alors ! s’exclame-t-il avec un brin d'ironie. Je m'appelle Oumar, je vais chercher de l'eau. Venez donc boire un thé à la paillote.

Nous dévalons le sentier et sommes introduits dans la paillote en question sans plus de formalités. Elle est adossée à la dune. Oumar nous présente Abdou, son frère cadet, et Ibrahima, un ami. Nos hôtes vivent simplement. Des paillasses sont disposées en étoile autour du petit foyer de charbons. Un rideau sépare l'unique pièce de vie du comptoir de vente. Ibrahima est déjà en train de rouler un joint de bienvenue. Il est à peine neuf heures. Oumar nous met à l'aise :

— Soyez les bienvenus. Vous connaissez la cérémonie des trois thés ?

— Amer comme la mort, doux comme la vie et le dernier sucré comme l'amour ! rétorque James spontanément.

— Ahhhh ! Je savais que j'avais affaire à des connaisseurs, se réjouit-il en s'affairant dans le coin dinette. C'est parti !

— C'est que nous sommes attendus, on ne va pas pouvoir rester…

— C'est vite fait, Allez ! Une demi-heure, faites-moi l'honneur ! supplie Oumar.

Nous connaissons la notion du temps toute relative des Sénégalais, et plus particulièrement celle des rastas. Nous savons également que ce cérémonial de l'Ataya n'est autre qu'une excuse pour palabrer, que l'on peut comparer à l'apéro chez nous mais sans alcool au Sénégal. Cela prendra au moins deux heures. Une demi-heure sera juste le temps qu'il lui faudra pour faire chauffer l'eau et préparer le premier thé.

Cependant, rien ni personne ne nous attend aujourd'hui, pas même les vagues. Nous n'avons ni le cœur ni le courage d'offenser Oumar, qui s'est mis en tête de nous offrir ce rituel à nous, ses invités.

Vers dix heures et demie, nous terminons le troisième pétard pendant que le maître de maison s'apprête à nous servir le deuxième thé. Je suis complètement stone. Elle est puissante cette beuh africaine. Les têtes sont brunes, presque noires. Abdou revient d'on ne sait où, un sandwich à la main. Il entreprend de le découper en cinq morceaux pour le partager. Gênés, nous échangeons un regard complice avec mon acolyte. C'est peut-être leur seule pitance de la journée. L'herbe qu'ils font pousser et un peu de thé ne nous posent pas de problème de conscience, mais il est hors de question qu'on leur ôte le pain de la bouche ! Nous protestons :

— Non, non, vraiment, on n'a pas faim, allez-y...

C'est sans compter sur la notion de Térenga, ancrée dans le cœur de tous les Sénégalais. L'hospitalité est ici un art de vivre, une question d'honneur. Refuser cette offrande serait une offense. Abdou ne veut rien entendre. Tout sourire, il me fixe d'un regard insistant et me tend ma part. Je capitule en souriant et lance un "Jërëjëff" ( Merci ) sans lâcher son regard. Il joint ses mains devant son visage et s'incline en fermant les yeux. L'incident diplomatique est évité.

Les langues se délient et le temps s'arrête, on refait le monde. La conversation papillonne d'un sujet à l'autre : politique internationale, religion, musique, voyages sont abordés et la matinée défile sans que l'on n'y prête attention. Le troisième thé terminé, nous sortons de la paillotte, l'air hagard. Le soleil de midi nous plombe comme un coup de massue nos hôtes nous donnent rendez-vous le lendemain soir pour une petite fête. Pour être sûr de ne pas commettre d'impair, nous préférons demander :

— On peut apporter des bières ?

— Amoul solo ! ( Pas de problème ! )

Nous amènerons bien sûr de la bière, mais aussi du thé, du sucre et du riz pour les remercier. Autour d'un feu de camp, nous dégusterons d'abord le Poulet Yassah de Fatou, puis nous danserons sur le rythme effréné des djembés jusque tard dans la nuit.

Mais ceci est une autre histoire...

Voyager sans rencontrer l’autre, ce n’est pas voyager, c’est se déplacer... ”

Alexandra David Neel

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