Niokolo Koba - Avril 2003

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Nous quittons Dakar et son vacarme urbain avec un petit groupe d'amis pour une excursion dans le parc du Niokolo Koba, à la frontière du Mali. Nous sommes une douzaine répartis dans trois véhicules. Chaque équipe dispose de deux roues de secours, d’un bidon d'essence et d’une réserve de vingt litres d'eau.

Après deux cents kilomètres environ, le Santana de Christophe tombe en panne. Ça commence bien ! Il nous faudra plusieurs heures de prospection pour trouver un garagiste. L'homme est fort sympathique. Il nous accueille à bras ouverts, bien que nous l'ayons dérangé en pleine sieste. Nous lui confions le tacot récalcitrant et reprenons la route. D'après lui, nous ne trouverons pas d'agent de location de véhicule avant Tambacounda. Encore moins pour un 4x4 ! En attendant, il faut nous entasser dans les deux voitures en état de marche. Le Pick-up Nissan de Bébert est équipé d'une banquette à l'avant, sans sièges arrières. À tour de rôle et deux par deux, nous prenons place dans la benne... Seulement les adultes et pas plus d'une demi-heure d’affilée car la température extérieure flirte avec les cinquante-cinq degrés.

En périphérie de Tambacunda, Christophe trouve un vieux Land-Rover à louer. Il semble opportun de se demander combien de kilomètres cette antiquité roulante acceptera de parcourir avant de tomber en panne, mais le gars nous assure que cette bagnole est comme neuve et qu'elle pourrait encore participer au Paris-Dakar. On en doute un peu mais nous n'avons pas trop le choix... Marché conclu ! Après moult négociations, nous quittons le bitume pour les pistes poussiéreuses. Jean-Pierre, le cousin de James, est militaire en détachement sur la base de Dakar. Il s'est auto-proclamé chef d'expédition, ce qui arrange tout le monde car c'est le seul qui ait la fibre organisatrice. C'est dans un cottage très cosy, au bord du fleuve Gambie et à proximité de Missira qu'il a réservé notre première escale. Le taulier, un Français installé ici depuis les années soixante, nous accueille en treillis beige, chapeau colonial sur la tête. Bonjour l'ambiance... Trop épuisés pour faire les difficiles, nous nous endormons comme des bienheureux après un repas sur le pouce.

Au réveil, nous assistons au bain matinal des hippopotames dans le fleuve en prenant le petit-déjeuner. Dépaysement garanti ! Avec James, nous faisons part à notre hôte de nos projets de baignade dans ce cours d'eau mythique. Papy Braco nous en dissuade en pointant du doigt une photo trophée de poisson-tigre, dignement encadrée et trônant sur le mur de l'accueil. Il l'a pêché juste là, en bas, quelques mètres en amont de la petite plage de galets que nous visions. Entre les Moby-Dick et les hippos qui, bien que de nature paisible, deviennent vite agressifs s’ils se sentent menacés, nos plans de bain façon Indiana-Jones tombent à l’eau. Tout compte fait, une bonne séance de chahut avec les enfants dans la piscine sera parfaite.

Après deux jours de farniente, nous repartons et gardons le cap sud-est en ligne de mire. La traversée du parc nous offre de superbes panoramas agrémentés çà et là d'un troupeau d'antilopes, d'un phacochère indifférent ou d'un groupe de singes moqueurs que notre convoi semble amuser. Nous passons la nuit à Kédougou. Le lendemain, c'est au cœur des Monts Bassari, dans le village des nez-percés, que Jean-Pierre a prévu de nous emmener. Abandonnant les voitures en bout de piste, nous arrivons au village de huttes après une courte randonnée. Les enfants les plus jeunes, habitués aux visites, nous accueillent avec des cris de joie. Nous distribuons quelques babioles aux gamins surexcités et sommes présentés au chef de village. Nous visitons l'école et l'unique salle de classe en plein air où l'institutrice donne un cours de Français. Puis c'est le pélerinage jusqu'à l'impressionnant baobab sacré. Plusieurs fois centenaire, sa circonférence dépasse les quinze mètres. On tire cinq kilos de riz du sac pour les offrir au chef. Celui-ci nous invite à boire le thé pendant que nos enfants se joignent aux écoliers autochtones pour la récréation. Nous regagnons les voitures et passons une nouvelle nuit à Kédougou. Après le repas, pendant que les mamans couchent les enfants, nous nous esquivons avec James en saluant les trois pères de famille. Une expédition d'un tout autre registre nous attend. Bébert et Christophe sourient en nous souhaitant une bonne soirée. Jean-Pierre ne manque pas de nous rappeler que le départ est prévu à sept heures tapantes.

Nous ne trouverons aucune taverne dans cette bourgade, mais le seul restaurant du comté accepte de nous servir deux bières. Nous laissons un généreux pourboire au serveur pour le remercier et rentrons. En chemin, une superbe amazone à la peau d’ébène et aux cheveux tressés semble foudroyée par mon charme :

— Que tu es beau ! Tu veux m'épouser ? Je serai une bonne épouse, loyale et dévouée...

— Si tu veux. Mais il faut que tu saches qu'en France, je suis sans domicile fixe. Ou plutôt multi-domiciles, j’ai toujours une ou deux invitations d’avance... Je n'ai pas un rond mais la vie au jour le jour m'emplit de bonheur. Si ça te tente, vogue la galère ! rétorqué-je avec un sourire en coin.

— Ah... Et toi beau blond, veux-tu m’épouser ? demande-t-elle à James avec autant d'enthousiasme que si elle avait commencé par lui.

— Ma femme m'attend, désolé...

La miss déchante et nous laisse rejoindre nos pénates. Avec nous, s'envolent ses rêves de confort métropolitain. Exception faite de quelques sages, la population d'Afrique de l'ouest perçoit le voyageur occidental comme une planche à billets. C’est ainsi, indépendamment de leur âge, leur sexe ou leur classe sociale. Les stigmates de la colonisation sont encore bien présents, ici. Nos aînés à l'âme conquérante en sont pour grande partie responsables. Néanmoins, pour peu qu'il soit présenté avec humour et tact, tout refus sera accueilli avec le sourire.

Au petit jour, le convoi redémarre en direction d'un hameau isolé dont a entendu parler Jean-Pierre, à cinquante kilomètres de piste. Après quelques erreurs d'itinéraire, nous finissons par arriver en début d'après-midi. L'accueil est tout aussi chaleureux mais plus pondéré que dans nos précédentes escales. Les plus jeunes enfants n'ont jamais vu un toubab... Ils nous prennent par la main et nous guident jusqu'à la case du chef. Après les politesses habituelles, il nous informe que nous sommes ses invités. Sa femme nous installe dans une tente dortoir où nous disposons nos couches après l'avoir chaleureusement remerciée.

On organise un match de foot France-Sénégal avec les gamins du bled sur un terrain vague bordant le village. Rien à voir avec nos pelouses nivelées au millimètre : ce champ se prêterait plus au moto-cross qu’au football ! Les jeunes locaux réitèrent l'exploit de leurs compatriotes lors de la coupe du monde de 2002 et nous infligent 1-0. Chacun de nous offre une bricole au garçon qui le marque. C'est la fin du voyage et je n'ai plus grand-chose... Un peu confus, j'ôte mon tee-shirt Béruriers Noirs, m'agenouille et le tends au jeune Souleymane. Le bonus "sueur de la semaine" ne semble pas le déranger et son large sourire balaye mes doutes instantanément. Souley est ravi et l'enfile aussitôt. Ça lui va comme un gant. Ou plutôt comme une Djellaba car mon présent lui arrive aux mollets !

Le soir, nos hôtes organisent une grande fête et sacrifient quelques poulets. Après les avoir déplumés, les mamas cuisinent un couscous géant. L'hospitalité sénégalaise n'est pas un mythe. Ces villageois partagent le peu qu'ils possèdent avec nous sans se poser de question. Ici, on fait honneur aux invités ; c'est comme ça, point final ! Une belle leçon de vie. Les papas jouent du djembé, les jeunes filles dansent et les garçons arborent des mines réjouies.

Assis sur le capot de son 4x4, je contemple le spectacle et trinque avec Jean-Pierre en savourant une bière à trente degrés. La glace nous fait défaut. Qu'à cela ne tienne, peu m'importe la température du houblon, ce toast est symbolique. Je remercie notre guide pour la belle tranche de vie qu'il vient de nous offrir.

Demain, nous repartons pour Dakar et son brouhaha avec des souvenirs plein la tête.

Mais demain est un autre jour, je veux vivre celui-ci pleinement et jusqu'au bout.

Carpe Diem !

"Le voyageur est celui qui se donne le temps de la rencontre et de l’échange.”

Frédéric Lecloux

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