Chapitre 6- Laurena

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— Finalement, je suis peut-être le plus intelligent des deux ! termine-t-il avec une amertume palpable.

En se redressant, sa silhouette sculptée et longiligne attire toute mon attention. Bien qu'il y ait chez lui quelque chose de naturellement intimidant qu'il m'est difficile d'expliquer, je peux m'empêcher de suivre des yeux chaque pas qu'il franchit. Pire encore, je me surprends à espérer son regard qu'il semble, cette fois, ne plus vouloir m'offrir.

Alors qu'il traverse la salle, mon esprit divague, replonge dans mon rêve comme si je le vivais éveillée. Autour de moi, le décor du restaurant s'est évanoui pour revêtir celui de la forêt de Grey Woods. Et cette vision me paraît si réelle que j'ai l'impression d'y être.

Le parfum des arbres emplit à nouveau mes narines, la souplesse de l'humus caresse mes pieds.

Semblable à une boucle infernale que je vis chaque nuit, ce même loup apparait. De ces deux billes mordorées où règne une intelligence certaine, il m'épie avec une telle intensité que je m'en sens décontenancé.

Puis, le mirage se dissipe, emportant avec lui le canidé tout comme le décor de Grey Woods pour me laisser dans le monde réel, l'inconnu face à moi.

Comme le loup dans mes rêves, son regard est ancré dans le mien.

Et cette connexion entre nous où siège une étrange familiarité me semble aussi déroutante que celle dans mes songes. Je me sens happé par la nuance chocolat de ses iris. Bien que foncés, ses yeux n'en sont pas moins captivants.

— Nous sommes nous déjà vus quelque part ? m'interroge-t-il, la tête légèrement penchée sur le côté.

Par ce simple geste que j'ai rarement vu chez un être humain, j'y lis un intérêt certain.

— Si c'était le cas..., je commence dans un murmure, je crois que je m'en souviendrais.

Silencieux, il m'étudie jusqu'à ce que la voix de Hateya résonne comme un avertissement :

— HAYDEN !

Désormais debout, les longs doigts ornés de bagues d'Hateya sont posés à plat sur la table. Il faudrait être aveugle pour échapper à la colère qui vibre dans son corps.

Bien que je sois convaincu qu'il s'est reconnu, l'homme ne se retourne pas et continue de m'observer.

— Je vais y réfléchir ! poursuit la chamane.

Un petit sourire conquérant apparaît sur le visage de l'inconnu avant qu'il daigne pivoter vers elle.

Le prénommé Hayden la remercie d'un signe de tête puis remet la capuche de son hoodie avant de pousser la porte du restaurant.

Bien que j'éprouve le sentiment désagréable d'avoir été utilisé, je ne trouve rien de mieux à faire que de l'observer disparaître sous une pluie de flocons de neige. Malgré l'épaisse poudreuse, ses pieds semblent effleurer le sol tant il se fond dans ce décor hivernal.

Des flashs successifs de son visage et celui du loup se superposent l'un à l'autre et m'en donne la nausée.

— Qui était-ce ? je demande, une boule d'angoisse logée dans ma poitrine.

Le regard qu'Hateya me lance pourrait freiner ma curiosité et pourtant ce n'est pas le cas. Au plus profond de mon être, j'ai besoin d'en connaître la réponse afin d'écarter ce mauvais pressentiment qui, petit à petit, me malmène.

— Comme chaque personne présente ici, tu n'as rien vu !

— Hateya..., je poursuis d'un air plus suppliant que j'aurais souhaité.

— Ne me force pas à te faire oublier, Laurena ! me prévient-elle.

Je sais qu'elle en est capable alors rien ne sert d'insister.

— Une tempête de neige s'approche de Snow Heaven, je pense qu'il serait préférable que toi et Magalie vous rentriez chez vous, termine-t-elle.

D'un hochement de tête, je mets fin à la discussion.

La poitrine oppressée, je regagne le vestiaire pour me changer. J'enfile ma doudoune, mes gants puis me chausse de mes après-skis.

Une fois à l'extérieur le froid me saisit. J'ignore de combien de degrés la température a chuté, mais le contraste avec ce matin me parait impressionnant.

L'épaisse couche de neige au sol ressemble à une véritable patinoire et ma traversée se transforme en périple. À chaque instant, je manque de tomber.

L'image de cet homme mystérieux marchant sans difficulté me revient en mémoire.

Comment a-t-il fait pour réussir une telle prouesse alors que moi je tiens à peine debout ?

Plus je me rapproche de la maison, plus la végétation se fait présente. Des stalactites accrochées aux branches des arbres sont comme figées par le temps.

À marcher dans la neige, la sensation du froid se fait plus présente et me donne l'impression que l'air me brûle le visage. Frigorifiée, je m'arrête un instant, le temps de réajuster mon bonnet sur mes oreilles, le regard rivé sur les horizons.

Comme d'habitude, la forêt de Grey Woods m'appelle et je me demande si elle ne serait pas sous l'emprise d'un sortilège dont le but serait d'attirer de pauvres âmes qui seront dans l'incapacité d'en revenir. Comme cela a été le cas pour ma mère.

J'imagine les loups longeant les frontières prêts à donner le signal. Mon frère Lucas les a vus rôder.

En apercevant ce qui me semble être une silhouette humaine s'en approchant dangereusement, mes sourcils en viennent à se froncer.

— HEY ! je m'époumone

Au vu de la distance qui nous sépare, il m'est difficile d'en distinguer davantage, mais je suis persuadé d'avoir vu cette silhouette se retourner.

— N'y allez pas ! C'est interdit ! Il y'a des loups ! je poursuis, une fumée blanche s'échappant de mes lèvres.

Je peux me résoudre à laisser cette personne se faire dévorer par ces bêtes sanguinaires qui attendent que ça. N'hésitant pas une seconde à braver l'épaisse couche de neige, je m'élance dans sa direction, ignorant ma respiration sifflante et le froid mordant mes poumons.

Une fois l'écart creusé entre nous, je m'arrête en reconnaissant l'homme du restaurant. Il a laissé tomber la capuche de son hoodie, laissant son visage apparent. Et je ne peux m'empêcher de songer à quel point son physique dénote parmi nous. Il n'a absolument rien à envier à tous ces mannequins qui font la couverture des plus célèbres magazines. Le sourcil levé, ce dernier m'observe tandis qu'essoufflée par ma course, je n'arrive pas à prononcer un seul mot.

En arrière-plan, la forêt de Grey Woods se fait plus impressionnante. C'est la première fois que je m'en approche autant. Cherchant à reprendre ma respiration, je constate qu'il a franchi les frontières et mon cœur tambourine dans ma poitrine.

Son sort est scellé.

— Revenez vers moi ! je tente

Un grognement résonne et je comprends qu'il est trop tard.

Un loup gris différent de celui de mon rêve apparaît. L'homme du restaurant et le canidé se toisent pendant quelques secondes avant que l'animal ne lui dévoile ses crocs.

— QUITTEZ LA FORET !

Ne lui en laissant pas l'opportunité, le loup se jette sur lui et moi devant cette scène je ne trouve rien de mieux à faire que de hurler.

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