Snow Heaven

Leurs regards m’ont mis mal à l’aise. C’est comme si, rien qu’en m’observant, tous ces humains avaient compris ce que j’étais.

Un loup ! Un ennemi.

Je sais qu’il n’en est rien !

Dans le cas contraire, l’alerte aurait été donnée. Les patrouilles de Snow Heaven auraient lâché leurs chiens et pour espérer leur échapper, je n’aurais pas eu le choix de revêtir mon apparence lupine.

Mais par le plus grand des hasards, chacun est retourné à leurs occupations, m’obligeant à me demander si cette odeur camphrée et résineuse qui embaume les lieux n’est pas responsable de ce changement inattendu.

— Que fais-tu là ?

Sans me laisser déstabiliser par son ton empli de reproches, je lève les yeux en direction de la chamane. Face à moi, son visage fermé prouve son mécontentement.

— Bonjour, Hateya ! Moi aussi je suis heureux de te voir !

Dans ma réponse, certains y verraient du sarcasme et ils n’auraient pas tort. Mais, tous sauf sans exception, passerait à côté de cette part de vérité dissimulée. Parce qu’il fut un temps où tout était bien plus facile et où la vie des miens n’était pas si menacée.

— Dommage que cela ne soit pas réciproque ! raille-t-elle, n’hésitant pas à croiser ses bras sur sa poitrine pour accentuer le poids de ses paroles.

— Ta position de chamane n’est-elle pas censée te rendre neutre ?

Hateya soupire.

Puis, comme si elle avait décidé de laisser tomber les hostilités, elle soulève sa robe dont la teinte me fait penser à un ciel d’été et s’assoit sur la banquette face à la mienne.

— Si je ne l’étais pas, Hayden, crois-tu que tu serais encore là ? Installé à cette table ? Dois-je te rappeler que tu es en dehors des limites de Grey Woods et que tu violes le traité ?

La réponse est évidente mais je n’arrive pas à la formuler verbalement. Venir ici, prendre tous ces risques prouve que la situation est désespérée. À quel point, je le suis moi-même !

— Qu’en penserait ton Alpha ?

Je ne préfère pas y songer ! Konur me réduirait en charpie.

Le point positif c’est que je n’aurais plus à devoir subir une union non désirée avec la fille de Rosco.

— Pourquoi es-tu là, Hayden ? poursuit-elle, la tête penchée sur le côté.

— Les miens meurent de faim ! Nous avons besoin de vivres !

— Premièrement, je ne pense pas que ce soit ton rôle de te présenter ici avec une telle requête.

— Hateya…

— Non, tu es un Zeta. Tu n’es ni Alpha ni son messager.

— Toi et moi savons que Konur est trop fier pour se pointer devant toi, je m’agace.

Parce que hormis son idée minable de me vendre comme si je n’étais qu’un objet sans importance, il n’en a pas d’autres.

— Alors sans doute est-il plus intelligent que toi !

C'est à mon tour de soupirer.

J'ai touché le fond.

— Il y a cette petite fille, Mia, à qui je tiens beaucoup, je tente dans l'espoir de jouer sur la corde sensible. Elle a perdu son père au début de l’année et aujourd’hui sa mère n’a plus la force de se lever. Si l’on ne remédie pas à la situation, elle est condamnée. Tout ce que je demande c’est un peu d’aide pour éviter que cette petite fille de six ans se retrouve orpheline.

— Si j’étais en mesure de t’aider, Hayden, je ne pourrais le faire continuellement ce qui vous replongerait dans les mêmes problématiques. Ce n’est que repousser l’échéance !

Et elle n'a pas tort !

Las, je m’enfonce dans la banquette et balaye la salle des yeux. Lorsqu’on passe d’un statut de prédateur à celui de bête traquée, certains instincts s’amplifient. Particulièrement celui de survie.

Cependant malgré une entrée chaotique où je ne pensais pas réussir à tenir plus de quelques minutes, la situation a tourné à mon avantage lorsque toutes les personnes présentes das le restaurant ont oublié ma présence.

Enfin tous, sauf elle !

Si j’en crois les œillades à répétitions de la serveuse aux boucles désordonnées, remontées en une queue de cheval, elle semble être l’exception à la règle.

— Comment as-tu fait ? j’interroge Hateya d’un air curieux, le regard vissé sur cette fille.

— J’ai gommé leurs pensées négatives en utilisant de la sauge !

Lorsque les yeux méfiants de cette fille croisent à nouveau les miens, je maintiens son regard. Certains diront que je joue avec le feu, mais c’est plus fort que moi. Je ne peux pas aller contre ma nature. Je suis un loup dominant et non de ceux qui se soumettent. La tentative d’intimidation de Konur pour me remettre à ma place m’a suffisamment frustré pour que je laisse une seconde personne obtenir ce pouvoir sur moi. Et il est hors de question d’offrir ce privilège à cette petite serveuse à la peau blafarde. D’ici, il m’est facile de la voir déglutir. Son pouls qui s’accélère excite les instincts sauvages de la bête tapie sous ma chair.

— Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

N’obtenant aucune réponse de ma part, Hateya se retourne pour trouver sa serveuse et moi en plein contact visuel.

— Ton petit tour de magie n’a pas l’air de fonctionné sur elle ! j’admets, sourire aux lèvres.

— Je te l’interdis, Hayden !

La menace dans sa voix est claire comme de l’eau de roche et me fait l’effet d’une douche froide. Et lorsque je me heurte à son visage rembruni, je réalise à quel point la chamane est sérieuse.

— Je ne vois pas où tu veux en venir !
— Je sais comment tu es avec les femmes !

Surpris par une telle remarque, je me mets à rire.
Un rire amusé au départ puis qui se transforme en un nerveux.

Même si sa serveuse n’est pas désagréable à regarder, l’idée de la mettre dans mon lit ne m’a pas traversé l’esprit. À aucun moment. Et rien que d’y songer, je sens une colère en moi se réveiller amplifiée par un tsunami de souvenirs que j'aurais préféré oublier.

— Je ne couche pas avec les humaines, si c’est ce qui t’inquiète ! Finalement, je suis peut-être le plus intelligent des deux !