Chapitre 1- Laurena

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Snow Heaven

Les premiers rayons du soleil traversent la fenêtre de ma chambre encore plongée dans l'obscurité. Allongée sur le dos, je cherche à assembler tous les détails de mon rêve.

Il me hante.

Toujours cet enchaînement que je ne contrôle pas et ces mêmes yeux teintés d'or qui désirent pénétrer mon âme.

Dans mes songes et à chacune de nos rencontres, l'animal n'a jamais fait preuve d'agressivité, mais je ne lui fais pas confiance. Ni à lui ni à aucun de son espèce.

Comment le pourrai-je après ce qui est arrivé à ma famille ?

Afin que les habitants du village puissent vivre en harmonie avec la meute de Grey Woods un traité a été signé il y a de cela plusieurs décennies. Les hommes-loups avaient pour obligation de rester dans les limites de leur territoire et de ne jamais en dépasser les frontières.

Après tout, tout le monde sait qu'à chaque pleine lune, les lycanthropes perdent le contrôle et se transforment en bêtes enragées.

Mais il faut croire que personne ne peut aller à l'encontre de son instinct et qu'un monstre reste un monstre. C'est écrit dans leur ADN. Aujourd'hui, j'en suis persuadée.

Il y'a bientôt un an, ma mère a été tuée par l'un des leurs.

Depuis, la peur qu'une telle tragédie se reproduise règne dans le petit village de Snow Heaven. Un couvre-feu a même été instauré les soirs où la lune est pleine pour protéger les habitants. Du moins, pour ceux qui ont décidé de rester.

Alors que mon père essaye désespérément de composer une armée, Konur, lui, reste tapi dans l'ombre. C'est comme s'il prenait satisfaction à nous laisser vivre dans l'angoisse du moment où il passera à l'acte. En tant que mâle Alpha de la meute, il se sent bien protégé par ses loyaux sujets.

Pourtant, si une épée de Damoclès pèse au-dessus de quelqu'un, c'est bien sur sa personne. Il est l'ennemi à abattre, celui qui a brisé notre famille. Celui qui nous a privés de notre mère à tout jamais.

Les effluves agréables du petit déjeuner perturbent mes pensées. J'éteins mon réveil, avant qu'il ne sonne, et descends de mon lit. J'enfile mes chaussons à tête de lapin ainsi que mon peignoir molletonné puis prends la direction de la cuisine. Comme je l'avais prévu, Lucas est à table et dévore tout ce qui a le malheur de tomber sous son nez.

— Regardez qui vient se joindre à moi dans son pilou-pilou. Ne serait-ce pas ma petite sœur adorée ?

J'ai du mal à retenir mon sourire naissant. Mon frère et moi avons toujours eu une belle complicité. Après la tragédie qu'a subi notre famille, notre lien s'est renforcé. Parfois, j'ai l'impression que c'est nous deux contre le monde entier. Nous avons non seulement perdu notre mère, mais nous avons dû faire face à un père devenu plus que l'ombre de lui-même.

— On ne t'a jamais dit que c'était impoli de parler la bouche pleine, je réplique en me laissant tomber sur ma chaise.

— Oh toi, tu n'es pas de bonne humeur.

Pour ma défense, c'est uniquement la faute à ce sommeil non réparateur. Je préférerais mille fois être sujette à des rêves passionnels plutôt que d'être dans les bois à courir après le grand méchant loup.

Installée auprès de mon frère, Féline, mon persan blanc, vient se frotter à mon mollet. Je l'attrape, la place sur mes genoux et me laisse aller à une séance de gratouilles. Elle s'en donne à cœur joie, émettant ses ronronnements habituels jusqu'à ce que la main de Lucas s'approche d'un peu trop près. Son long feulement résonne, arrêtant net le métamorphe dans son élan.

— Si cela peut te rassurer, je voulais simplement attraper de quoi remplir mon estomac, réprimande-t-il le félin avec taquinerie.

— Entre vous deux, ce n'est toujours pas l'amour fou, remarqué-je.

— Elle est seulement jalouse que je lui pique toutes ses souris.

Choquée, je me penche en avant rétrécissant fortement l'espace de mon chat.

— Tu n'es pas sérieux !

— Toi, tu n'as jamais dû assister à ma technique de chasse sous la neige, m'achève-t-il dans un clin d'œil.

Aussitôt, je le visualise dans sa fourrure fauve venant contraster un paysage blanc et épuré. Un haut-le-cœur me saisit lorsque j'imagine la queue d'un rongeur dépassant de sa gueule. Pour un renard, son animal Totem, c'est peut-être une chose naturelle, mais pour sa partie la plus humaine, je trouve que cela l'est beaucoup moins.

— Vas-tu vraiment manger tes pancakes ? me demande mon frère en lorgnant mon assiette.

Du bout des doigts, je la pousse dans sa direction. De toute façon, je crois qu'il m'a fait perdre l'appétit.

C'est affolant de constater la quantité colossale de nourriture qu'un métamorphe est capable d'engloutir. Je suis ravie de ne pas avoir hérité de la nature surnaturelle de notre père.

Tout comme l'était ma mère, je suis une sorcière. Du moins, j'en serais une à part entière à l'instant même où mes pouvoirs arriveront à maturité. Ce sera le cas lorsque j'atteindrai l'âge révolu de vingt ans.

La porte d'entrée émet son perpétuel grincement puis des bottes martèlent le sol. Notre père, que je peine de plus en plus à reconnaître, apparaît. Son visage est exténué, ses traits tirés. Son désir de vengeance le ronge à un point qu'il n'est plus que son principal moteur. Impossible pour moi de détourner mon regard du fusil qu'il tient en bandoulière.

Aujourd'hui, aucune queue de loup n'est accrochée à sa ceinture, j'en conclus donc que la chasse n'a pas été à la hauteur de ses espérances. En même temps, la quantité de ses hommes n'est pas conséquente. Même si notre famille possède des dons particuliers, ce n'est pas le cas de tous. Loin de là. Les personnes courageuses, prêtes à affronter des monstres aux crocs acérés se font rares.

Sans une attention à notre égard, il continue sa route jusqu'à regagner sa chambre. À ses yeux, j'ai comme la désagréable sensation d'être devenue invisible et chaque jour qui passe, la douleur de son ignorance me blesse davantage. Elle s'insinue partout dans ma chair ne me laissant aucun répit. Elle est aussi un rappel conscient de cette famille brisée.

— Crois-tu qu'il puisse un jour redevenir lui-même ? j'interroge mon frère d'une petite voix.

À ma question, Lucas s'arrête aussitôt de manger pour m'offrir son regard bienveillant.

— Je l'ignore, Laurena. La seule chose que je sais c'est qu'il ne restera qu'une pâle copie de notre père tant que Konur sera vivant.

Malheureusement, même si je n'en dis rien, nous en sommes arrivés au point où je ne suis pas convaincue que la mort de notre adversaire lui suffise.

Comment le blâmer ? Comment continuer à vivre après ça ?

— Au fait, il est huit heures quinze.

— Quoi ?

Mon frère pointe l'horloge du doigt.

Et merde ! Je vais être en retard !

À toute allure, je monte deux par deux les marches de l'escalier. Le bois usé craque sous mes pas. Il est à l'image de ce qui était autrefois notre cocon familial. Aujourd'hui, tout est fatigué.

Je redescends une dizaine de minutes plus tard, habillée d'un jean slim et d'un pull blanc à imprimés jacquard. Pas le temps de dompter ma longue chevelure aux boucles brunes, je suis déjà suffisamment en retard. J'attrape ma doudoune, mon bonnet puis me chausse de mes après-skis avant de sortir.

À l'extérieur, le paysage pourrait ressembler à nos rêves d'enfant. Un véritable paradis hivernal, où seuls les sons que l'on perçoit sont ceux de mon souffle et du craquement de la poudreuse sous mes pas. Sous cet épais manteau de neige, toutes les maisons se confondent les unes aux autres. De nombreuses cheminées sont allumées. J'imagine des familles blotties, en recherche de sa chaleur tout en appréciant l'odeur du bois consumé par les flammes.

Cette sensation me manque. Je regrette tellement que la nôtre ne soit plus en état de marche. Les hivers à Snow Heaven ont tendance à être rudes et il l'est particulièrement cette année.

Au pas de course, je m'élance, jetant des coups d'œil à tous les enfants qui profitent du ramassage scolaire et poursuivent leurs études.

Ce n'est plus mon cas. À dix-neuf ans, je suis déscolarisée. Mon frère a essayé de m'en dissuader, mais il est assez intelligent pour se rendre compte que son salaire d'homme à tout faire n'aurait pas été suffisant pour payer les factures.

J'ai donc réussi à trouver un petit job à mi-temps en tant que serveuse dans le minuscule et unique restaurant de Snow Heaven. Connaître la propriétaire m'a été favorable. Hateya était une grande amie de maman.

Alors que je continue mon périple à travers cette vaste étendue blanche, mon regard bascule sur la forêt de Grey Woods. Ce lieu m'attire inexorablement. Bien qu'à des kilomètres de ma position, je distingue sans difficulté, les sapins saupoudrés d'une épaisse couche de neige. Les images de mon rêve refont surface en une vague de flashs successifs. J'y retrouve le loup au pelage gris. Toujours cette profonde intensité dans ses yeux ambrés. Je me souviens de sa présence à mes côtés alors que nous regardions tous les deux dans la même direction.

Quelle est la signification de ce rêve ? Je ne le comprends pas.

Nous sommes deux êtres ennemis. Impossible pour nous d'agiter le drapeau blanc. Je ne le ferais pas non plus. Comme tous les membres de ma famille, je trouverai la paix lorsque l'alpha de la meute aura rendu son dernier souffle.

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