Prologue

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Alain en avait marre. Ce n’était plus du tout la France qu’il connaissait. Depuis trois ans maintenant, chaque fois qu’il sortait de la boulangerie, ses yeux marron foncé voyaient à la place du terrain vague un amoncellement de tentes habitées par des migrants venus de différentes zones géographiques. Certains fuyaient la guerre, d’autres la montée des eaux et quelques-uns, encore, venaient avec des justifications, louables ou non ; mais après tout, ils avaient tous un point en commun. Il voyait le territoire français comme l’eldorado. La politique hexagonale en leur faveur y était pour beaucoup. Alain, comme d’autres d’ailleurs, la haïssait et chaque semaine cet homme très patriote de trente-neuf printemps tout juste révolu, se rendait dans un appartement où il faisait la rencontre de personnes comme lui.

Chaque fois qu’il arrivait devant cette porte, tous ses soucis étaient oubliés et son sourire réapparaissait. A peine était-il en train de déposer son manteau qu’Ali, un quadragénaire au crâne dégarni vint le saluer. Alain leva les yeux au ciel avant de se retourner et lui adresser un sourire qui aurait pu sembler sincère.

  • Comment tu vas mon ami Alain ? Tu as vu le nouvel arrivage de Maghrébins et d’Africains ! C’est scandaleux !
  • Ahh… d’accord – répondit-il sans le regarder et marchant vers un coin de la pièce – mais tu n’es pas sénégalais, toi ?

Ali s’arrêta. La bouche comme fixée à la colle forte, il ne parla plus. Alain sourit véritablement cette fois-ci, ses yeux brillants de malice. Et il rejoignit son groupe d’amis composé de trois femmes et de deux autres hommes.

  • Y a encore l’autre « kinder » [1]qui croit qu’on est ami parce qu’on défend la même cause, chuchota-t-il en guise de salut.

Ils pouffèrent de rire et lancèrent tour à tour des regards qui leur paraissaient discrets, mais qui ne l’étaient pas. Ali jetait un regard noir dans leur direction ; on pouvait sans effort, deviner les merveilleuses choses qu’il leur souhaitait. Mais ce manège ne put durer plus longtemps. Un grand écran s’alluma et le journal télévisé s’afficha. Toute la pièce se tut et la trentaine de personnes présentes s’assit. Et au nom de Nicolas Barchich, des sifflets fusèrent, des applaudissements tonnèrent ; Alain se leva de sa chaise, les mains en feu. Ce candidat avait fait la promesse de rétablir la primauté des nationaux dans ce pays.

De nombreuses entreprises avaient décidé d’employer en priorité les immigrés qui ne demandaient pas un grand salaire et en plus de cela n’organisaient pas de grèves. La dernière en date avait paralysé tout le pays et elle restait un véritable épouvantail. Cependant, ce choix de recrutement avait mis à mal les populations locales qui se sentirent lésées. Et ces élections étaient le moment pour les nationalistes de se faire entendre. Dans maintenant, vingt secondes, ils sauraient enfin si leur vœu serait exaucé… trois… deux… un.

La salle éclata de joie. Les verres de champagne volèrent sur les murs. Alain serrait dans ses bras sa voisine qui portait un t-shirt à l’effigie de son élu.

C’est ainsi, qu’en à peine deux ans, l’eldorado devint l’enfer. Une chasse à ses populations expatriées fut lancée par le gouvernement ; chaque personne suspectée d’être une immigrée était renvoyée aux différentes frontières qu’avait la France avec ses voisins. Les autres nations jusque-là silencieuses, car ne se sentant pas concernés par le problème finirent par réagir. Voyant débarquer par milliers des personnes qu’elles-mêmes ne désiraient pas réellement, des menaces furent adressées à la France qui n’y accorda aucune importance. Le nouveau président, Nicolas Barchich, n’en n’avait que faire. Dans ses déclarations il réavouait son amour unique pour le peuple français et qu’il continuerait à agir ainsi pour le bien des siens. Un discours qui trouvait un écho dans les oreilles de la majorité de la population. Ce n’était pas pour rien qu’il avait été élu à près de soixante-dix pourcents dès le premier tour.

Alain et ses partenaires n’hésitaient pas à venir en aide à leur président adoré en dénonçant les sans-abris, mais aussi parfois en agissant eux-mêmes. Et cet homme semblait s’être redécouvert une jeunesse. Revenant, d’une « chasse » où son équipe avait surpris et tué deux hommes et un enfant, par balle, qui tentaient de s’enfuir, il écouta les informations à la radio pour savoir ce qu’on dirait d’eux. Comme à son habitude, le gouvernement, à travers les discours du ministre de l’intérieur, se désolidarisait toujours de ces agissements mais étrangement la police n’arrivait jamais à attraper les assassins. Les médias nationaux n’y accordaient pas vraiment une grande tribune non plus. D’ailleurs après cette interview rapide, ils passèrent à un autre sujet : le chômage qui ne touchait plus qu’un pourcent de la population. Alain était toujours fier de ces nouvelles qui lui donnait l’impression de servir à quelque chose. Son regard se tourna vers un journal anglophone que lui avait ramené sa nièce. La France était fortement critiquée du fait des actes envers les immigrés. Mais l’homme assis dans son canapé percevait plutôt de la jalousie envers sa patrie qui avait réussi à se sortir d’une crise.

Dans les mois qui suivirent, tout s’enchaîna rapidement. En 2027, la France ne comptait plus aucun étranger sur son territoire ; tous avaient pris peur et avaient décidé d’aller se réfugier en Angleterre, en Allemagne, en Belgique ou encore dans les pays méditerranéens.

Elle fut alors exclue de l’Union européenne à quasiment l’unanimité. Et à l’aune de l’année 2028, ce furent les Etats-Unis qui décidèrent avec l’appui des autres nations de l’évincer de son poste au sein de l’OTAN. Nicolas Barchich prit cela à la rigolade et prononça des paroles qui pouvaient sonner comme de la provocation « au moins, nous aurons plus de temps afin de nous occuper de nous-mêmes ». Le pays malgré les tourments extérieurs, continuait de jouir d’une croissance interne, mais Alain sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Désormais, il lisait énormément les journaux que sa nièce lui faisait parvenir en secret, parfois cacher dans des livres. Il avait découvert que les courriers étaient fouillés pour justement éviter les nouvelles de l’étranger. Et ce sentiment d’insécurité ne faisait que se renforcer au fil de ses lectures, semaine après semaine et le temps allait finir par lui donner raison.

Une délégation américaine arriva à l’Elysée au grand étonnement du président de la République ce 5 mars, qui restera sûrement une date importante pour le monde. La population découvrait alors Nicolas Barchich dans son plus simple apparat ; un peignoir. Il descendit dans la cour et sans prêter attention ni aux caméras qui l’entouraient, ni au membre de la délégation qui lui tendait la main, il sortit un éventail de sa poche et donna un coup sur la tête de ce dernier en lui indiquant de l’autre main, le grand portail de sortie. Les personnes présentes autour eurent tous la même réaction, un « o » formé par la bouche en signe d’étonnement et de choc. Ils découvraient tous éberlués un homme au regard sévère et que l’on pourrait qualifier de sans-peur. D’autres diraient plutôt inconscients. Et avant que l’Américain n’ait eu le temps de réagir, les gardes qui avaient accompagnés le Président jusque dans la cour entourèrent la délégation et leur donnèrent l’ordre de quitter le territoire.

Ce que le Président français ne savait pas, c’est qu’il avait démarré un compte à rebours contre son territoire et son peuple.

[1] Image pour montrer négativement qu’Ali est noir à l’extérieur mais qu’il se sent blanc à l’intérieur

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