Charm & Jinx

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Etre comédien, c’est aussi savoir mentir un peu. Et ce soir-là, la troupe s’apprêtait à jouer leur plus grande comédie ! Quelques heures avant le coucher du soleil, tous les artistes étaient rassemblés sous la grande tente et venaient d’écouter Charm exposer son plan. Même s’ils étaient encore un peu craintifs, le plan paraissait solide et sans faille. Tout le monde s’en sortirait vivant et sauf. Mais Carl, de par sa nature pessimiste et son souci d’assurer la sûreté de sa troupe, était encore réticent :

« Tu es sûr que ça va marcher ?

- Oui, je vous le promets !, affirma Charm. Il suffit juste de s’en tenir au plan, s’assurer de bien les mettre à l’aise et tout ira bien ! N’est-ce pas, Sergent ? »

Un peu en retrait se tenait un homme à la forte stature et la moustache grise. Sa cotte de mailles épaisse, sa longue épée dans son fourreau et son écu posé sur le côté ne pouvait laisser aucun doute quant à son occupation. Aussi, le tabard qu’il portait était frappé de l’emblème de la région. C’était un soldat.

Celui-ci, alors interpellé par Charm, lui répondit d’un signe de tête rassurant.

« Bon, vous êtes prêts ?! »

La soirée se passa exceptionnellement bien. Galvanisés par leur « mission » et surtout par la ferveur de Charm, les artistes donnèrent une performance d’une qualité exceptionnelle : les farces de Tipik et Piwik étaient encore plus drôles, le chant de l’Ile Bleue de Misa plus mélancolique et les lancés de couteau de Lorena beaucoup plus impressionnants… En dehors de la scène, le reste de la troupe s’assurait que les pirates, et surtout leur capitaine, soient des plus confortables. L’alcool et la bière coulaient à flots et, à peine vidés, les verres étaient remplis à nouveau. Les figures étaient souriantes. Tout avait l’air de fonctionner à merveille.

Dans les coulisses, Charm observait le comportement des pirates avec attention, donnant des ordres et ajustant le cours des choses pour maximiser leur réussite. Il avait été pris d’une profonde anxiété quelques heures auparavant lorsqu’il n’aperçut pas la cénéphir lors de l’arrivée des pirates. Mais ses craintes s’étaient volatilisées lorsqu’elle était apparue, suivant le Capitaine Braidy et tirant son boulet au pied.

La nuit était avancée et le spectacle touchait à sa fin. Il était temps pour Charm d’entrer en scène pour le grand numéro. Le kaméen essayait de paraître calme et concentré mais à l’intérieur de lui, il éprouvait la plus grande terreur jamais ressentie. A tel point qu’il sursauta lorsque Carl lui posa la main sur l’épaule.

« Tu es sûr de vouloir le faire ?, lui demanda le meneur de troupe. On est toujours à temps d’arrêter. On peut finir le spectacle et les renvoyer chez eux…

- Non, quand la bière est tirée il faut la boire !, répondit Charm. Nous avons fait trop d’efforts pour s’arrêter si près du but. Nous irons jusqu’au bout ! »

Carl prit alors le kaméen par les épaules et le serra dans ses bras.

« Tu vas nous manquer, ajouta-t-il d’un ton sobre. »

Sans attendre la réponse, il fit un sourire et sortit. Charm, quant à lui, était encore plus bouleversé. Il regarda à nouveau par l’entrebâillement du rideau et fut instantanément ressaisi en voyant la cénéphir au pied du Capitaine. Il prit alors une grande inspiration et entra sur scène, poussant sa grande boîte noire.

« J’aurais maintenant besoin d’un volontaire dans l’assistance ! Je vais exécuter pour vous un numéro exceptionnel qui n’a été fait qu’une fois au monde ! Qui est intéressé ? »

Excités comme des puces, une dizaine de pirates se levèrent pour se proposer. Surtout Djojo et Mok, qui étaient hypnotisés par le spectacle et ne voulaient pas rater une occasion d’y participer !

Charm continua :

« Que dites-vous ? Est-ce que dangereux ? Non !... »

Il fit sonner son « non » comme un « oui ».

« Bien sûr, si vous considérez qu’avoir quelques doigts coupés, ou pire… »

Il désigna son entre-jambe et fit une courte pause pour souligner le suspense.

« … Alors on pourrait considérer que c’est un tantinet dangereux. Mais chers amis, quel spectacle je vous promets ! »

A l’idée de perdre quelques bouts de leur anatomie, et surtout leur pénis, tous les pirates baissèrent la main.

« Alors, personne ? », relança Charm.

Le kaméen jubilait complétement. Son plan fonctionnait à merveille !

Mais avant qu’il ne reprît, une voix claire résonna dans l’assistance.

« Moi, je suis volontaire ! »

C’était la cénéphir qui venait de se manifester, au grand étonnement de tout le monde. Surtout du capitaine, qui, malgré son état d’ébriété, eut soudain des soupçons. Mais Jinx l’anticipa et ajouta :

« Capitaine ! Les doigts de votre équipage et surtout les vôtres… »

Elle laissa sa phrase en suspens le temps de prendre les mains de Braidy et les coller sur sa poitrine.

« ... sont bien trop précieuses pour être risquées ! Tandis que moi, quelques doigts en moins ne changeraient rien à ma vie. »

A ces mots, l’auditoire éclata de rire. Tous avaient en tête que Jinx utilisait plutôt sa bouche que ses doigts pour satisfaire le capitaine.

« Alors, autant que ce soit moi qui y aille, pour vous faire plaisir. », continua la cénéphir.

Charm retint alors son souffle. L’intervention de la jeune femme ne faisait pas partie de son plan. Si le capitaine refusait ou se fâchait, tout tombait à l’eau ! Jinx, de son côté, essayait de faire bonne contenance mais n’en menait pas large. Elle était intervenue sur un coup de tête, voyant l’opportunité se profiler, mais regrettait déjà son geste. Tous deux fixaient le capitaine. Celui-ci, fortement aviné, d’abord incrédule, éclata soudainement de rire.

« Bonne idée, Jinx ! Ce n’est pas tes doigts qui me servent le plus chez toi ! Allez, vas-y ! »

Charm poussa un lourd soupir de soulagement. Mais reprenant sa constance rapidement, il fit monter d’un geste théâtral la cénéphir sur la scène.

« Mes amis, chers enthousiastes, ce que je vais faire devant vous n’a jamais été fait : je vais enfermer cette femme avec moi dans cette boîte noire, puis… »

A cet instant, il saisit un des faux sabres à côté de lui.

« … mon assistant Maxim va transpercer la boîte avec les sabres… »

A ces mots, les spectateurs poussèrent une clameur d’excitation.

« … puis, il nous fera réapparaître à un endroit de son choix autour de la scène ! »

Nouvelle clameur. L’idée d’un tour de magie avait un effet hypnotique sur les pirates, qui par ailleurs n’aperçurent pas les fourrés autour d’eux légèrement remuer.

« Monsieur Maxim, je vous en prie ! »

Toujours avec de grands gestes, Charm guida Jinx et son boulet jusqu’à la boîte noire et l’y fit rentrer. Celle-ci n’était pas très grande et la cénéphir dut se contorsionner un peu. Ensuite, Charm y pénétra à son tour, et Maxim la referma juste après, nouant des cordes tout autour. En même temps, Piwik jouait du tambour pour accentuer l’illusion du suspense.

Une fois la boîte refermée, Charm se sentit mal à l’aise d’être littéralement collée à la cénéphir dans un espace aussi exigu. Celle-ci grogna un peu car le coude du kaméen lui rentrait dans les côtes. Il essaya de se repositionner.

Charm attendit que Maxim fasse tourner la boîte sur elle-même, ce qui était le signal. Ensuite, il tira sur une corde cachée et le sol de la scène s’ouvrit. Il descendit le premier, prit le boulet et intima Jinx de descendre. A peine l’eut-elle fait que Maxim compta « Un ! » et enfonça le premier sabre dans la boîte. Un grand silence se posa alors, les pirates attendant que les occupants de la boîte hurlent de douleur. Mais il n’en fut rien. Alors tous hurlèrent de joie !

Charm mena Jinx sous la scène pour déboucher à l’arrière, cachés de l’auditoire. Là les attendaient Misa et Tipik. Alors que le gnome commença à trafiquer la serrure de l’anneau à la cheville de la cénéphir. Misa donna une cape chaude et des bottes à Jinx puis aida Charm à enlever son costume blanc.

« Misa, dis aux autres à quel point je suis reconnaissant ! Assure-toi qu’ils le sachent tous !, s’exclama Charm.

- Tu vas nous manquer, lui dit-elle avec un sourire triste.

- Je reviendrais bientôt ! Je vais la mettre à l’abri et nous resterons cachés pendant un certain temps, puis, quand nous serons convaincus que personne n’est à notre recherche, nous viendrons vous retrouver ! »

A ces mots, un clic signala que Tipik avait réussi à crocheter la serrure et libérer la cénéphir. Charm regarda Misa avec un air de désespoir.

« Il faut qu’on parte…

- Charm, attends ! N’oublie pas ce que je t’ai appris : tes sourires, tes gestes, tes paroles, tes mots, ils ont du pouvoir. Maîtrise-le et défends-toi avec. Tu as bien compris ? »

Le kaméen hocha la tête, luttant pour retenir ses larmes. Il prit Misa dans ses bras et ils restèrent ainsi pendant quelques secondes. Puis, il recula brusquement, attrapa le bras de la cénéphir et tous les deux disparurent dans la nuit.

Charm n’apprit que bien des années plus tard comment se passa la fin du spectacle et si son plan avait réussi. Maxim enfonça cinq sabres dans la boîte. A ce moment-là, l’auditoire était subjugué par le numéro. Prenant bien son temps, il les retira un à un puis dénoua les cordes enserrant la boîte. Le public retint son souffle. Puis, d’un geste grandiose, il ouvrit la boîte et tout le monde put découvrir qu’elle était vide ! Le public rugit ! Il n’en revenait pas ! Les pirates trépignaient, regardaient de tous les côtés de la scène, riaient, demandaient à leur voisin de les pincer, etc… Même le capitaine était fasciné. Ils ne se rendirent pas compte que toute la troupe s’était éclipsée du devant de la scène.

Alors, Maxim leva le doigt solennellement, intimant le silence. Faisant rouler son accent du Dakrim, il dit :

« C’est le moment le plus critique de la soirée ! Je vais faire réapparaître nos deux volontaires devant vous ! Mais où ? »

Alors, il mit deux doigts sur sa tempe pour mimer sa concentration et commença à pivoter doucement sur lui-même, le regard fixe sur les alentours de la scène. Puis, il s’arrêta net ! Djojo, dans l’auditoire, poussa un petit cri d’étonnement. Maxim tendit le doigt vers un fourré et s’écria :

« Ils sont maintenant ici ! »

Les pirates, curieux, se précipitèrent pour aller voir. C’est à ce moment-là que les cinquante soldats cachés autour d’eux s’avancèrent, épées et boucliers levés. Le sergent cria d’une voix de stentor :

« Vous êtes tous en état d’arrestation ! »

A ces mots, un des pirates se jeta sur lui mais le sergent était preste et lui trancha la gorge d’un coup sec. Tous les autres figèrent. On entendit alors le Capitaine Braidy jurer : « Sacrebleu ! »

Une heure plus tard à peine, tous les pirates avaient été enchaînés et furent escortés à la prison par les soldats. Alors qu’ils partaient, le sergent se retourna vers Carl et lui tendit une grosse bourse en disant :

« Comme négocié avec Charm, voici votre récompense pour la capture de ces bandits : cinq cents pièces d’or ! Félicitations à vous ! Ce que vous avez fait demandait du cran et vous en avez eu. »

Puis il salua d’un geste de la main et rejoignit sa troupe.

L’argent en main, entourés par ses amis sains et saufs, Carl n’en revenait pas :

« Sacré Charm ! C’était vraiment la plus belle comédie que nous avons pu jouer… »

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