Charm

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« Oui, comme je vous disais, je suis négociant en bières et spiritueux. Je reviens de Dirasm où j’ai vendu toute ma marchandise. Je suivais une caravane mais je me suis perdu et mon cheval s’est enfui. Heureusement que j’ai aperçu votre feu de camp. Quelle aubaine, vraiment !

- Et comment vous appelez-vous encore ? »

L’artiste fixa le kaméen à la lueur des flammes. Ils étaient environ une dizaine assemblés, à manger un repas simple mais copieux arrosé de vin fait maison.

Le kaméen afficha un large sourire :

« Jaram, c’est mon nom.

- Et bien Jaram, tu es sous notre protection cette nuit ! Mange à notre table, repose-toi sous notre tente et que la lueur du jour demain te ramène sur le bon chemin.

- Je suis honoré et très reconnaissant. »

La soirée se passa de bonne humeur. La troupe d’artistes ambulants qui avait accueilli Jaram n’était pas avare d’histoires et d’humour. Ils parlèrent, chantèrent, dansèrent et rirent autour du feu. Bien sûr, Jaram n’avait rien vu des regards croisés et des clins d’œil entre membres de la troupe et il trouva merveilleux de passer une si bonne soirée.

Bien des heures plus tard, Jaram ronflait fort sous la tente d’un des artistes, rassasié comme il ne l’avait pas été en plusieurs mois et saoul de bon vin.

Autour du feu, en revanche, Carl, le chef de troupe et metteur en scène, discutait à voix-basse avec Tipik et Piwik, les jumeaux gnomes acrobates. Derrière lui, Mathilde, sa tante et la doyenne de la compagnie, rapiéçait quelques costumes usés.

« Toute sa marchandise vendue ! C’est ce qu’il a dit ! répéta Piwik.

- Négociant en bière kaméenne, ça doit rapporter beaucoup, non ? ajouta Tipik.

- Probablement… répondit Carl d’un air dubitatif. Mais il a l’air bien jeune pour être un marchand établi.

- Bah ! Avec les kaméens, on ne peut jamais savoir ! répliqua Piwik. C’est comme les cénéphirs, on ne sait jamais quel âge ils ont. Moi je vous dis, c’est une histoire à se faire quelques centaines de pièces d’or ! »

Carl n’avait vraiment pas l’air convaincu. Il se retourna vers sa tante, d’un air interrogatif, mais celle-ci ne fit que hausser les épaules.

« Bon, d’accord, finit-il par dire. Allez-le voir et si vous trouvez quelque chose d’intéressant, servez-vous un peu… »

Tipik et Piwik commencèrent à s’exciter.

« Mais, continua Carl, vous ne prenez pas plus de la moitié. Il faut bien que ce jeune homme vive aussi. OK ? »

Les deux gnomes ne prirent même pas la peine de répondre et coururent sans un bruit vers la tente où Jaram dormait.

Carl n’était pas très fier ni satisfait. Habituellement, ils n’étaient pas des voleurs ! Mais le kaméen avait passé la soirée à se vanter de sa bonne fortune face à une troupe qui avait récemment essuyé pas mal de revers : une roulotte avait brûlé à cause d’un mégot, un des chiens acrobates avait été tellement malade qu’il avait fallu l’abattre et en plus, un des artistes était parti avec une autre compagnie. La saison n’était pas mauvaise – en tout cas, pas plus que d’habitude – mais la troupe avait beaucoup de frais et une manne d’argent serait la bienvenue.

Les deux gnomes revinrent vite, trop vite en fait. Leur visage affichait un air déçu.

« Alors ?

- Pas un sou, répondit Piwik abattu. Sa sacoche est aussi vide que sa langue est habile. On n’a trouvé qu’un bout de pain rassis et un caleçon pas propre… »

Carl se renfrogna et Mathilde releva la tête, un sourire en coin.

« Un arnaqueur, donc ! Quelle ironie qu’une bande de comédiens se fassent prendre à leur propre jeu !, fit Carl. En plus, il a mangé à l’œil !... Je crois qu’on va lui apprendre les bonnes manières… Ecoutez-moi bien, les jumeaux ! »

Et Carl exposa son plan de vengeance qui fit fortement rire Piwik et Tipik. Les deux repartirent vers la tente à pas de loup.

Le lendemain, Jaram fut réveillé par un froid intense. Ouvrant les yeux, il se rendit compte que non seulement il était tout nu, mais en plus il était hors de la tente et tous les membres de la troupe étaient rassemblés autour de lui.

« Mais… Mais, mais ! Ça ne va pas la tête ? Où sont mes habits ? »

Puis, tout d’un coup, il se rendit compte que les membres féminins de la compagnie le fixaient en souriant. Rouge de honte, il couvrit ses parties intimes, ce qui fit rire tout l’auditoire.

« Alors, monsieur le marchand ! s’exclama Carl. Apparemment, on n’a pas un sou ?

- Mais ! Pourquoi dites-vous cela ? Mes affaires sont très fructueuses !

- Te fatigue pas, petit, répondit Carl d’un ton laconique. On a fouillé ton sac. Comment comptais-tu nous payer ? Avec du pain moisi ? »

- Comment avez-vous osé fouiller dans mes affaires !, s’écria Jaram. »

L’assemblée rit de nouveau. Puis Carl devint tout d’un coup sérieux, son ton sec tranchant avec l’ambiance hilare.

« Sais-tu ce qu’on fait des arnaqueurs et des voleurs chez nous ? »

Jaram prit peur et pâlit. En douze mois d’errance, la nuit dernière fut probablement une des meilleures. Il n’aurait jamais imaginé que cela se finirait ainsi. Ceci dit, s’il devait mourir, ce ne pourrait être que mieux. Il était perdu, seul, sans un sou et découragé. Il pensait que le monde allait l’accueillir et faire de lui un homme riche et heureux mais la réalité était toute autre. Il était tout petit dans un univers immense. Si ce n’était pas pour son père, il serait rentré depuis bien longtemps à la citadelle. Mourir ? Pourquoi pas. Il releva la tête, stoïque, attendant son jugement.

Carl laissa la question en suspens pendant quelques secondes, histoire de faire monter la tension.

« Rien du tout ! » fit-il enfin.

Tout le monde éclata de rire.

« Rhabille-toi, petit. Et va-t’en de chez nous ! »

Et la troupe se dispersa. Une fille vraiment très jeune rapporta à Jaram ses affaires et s’en alla en riant. Celui-ci se vêtit au plus vite et commença à partir. Même s’il n’était pas mort aujourd’hui, il en était quand même mort de honte…

« Attends ! », fit une voix féminine rocailleuse derrière lui.

Jaram se retourna et vit la vieille femme qui cousait la veille.

« Tu t’es enfui de chez toi, c’est ça ? »

Jaram, encore plus honteux, acquiesça sans rien dire.

« Et tu as réussi à tous nous charmer pour un repas chaud et une nuit au sec. »

Jaram considéra que c’était tellement évident qu’il n’était pas nécessaire de répondre.

« Où comptes-tu aller ? »

Les yeux noirs de la vieille femme fixèrent le jeune kaméen, au point de le rendre mal à l’aise. Jaram baissa les yeux.

« Je ne sais pas, Madame, répondit-il. Je n’ai pas d’argent et encore moins d’avenir…

- Tu sais, on pourrait utiliser une paire de bras solide. »

Jaram releva d’un coup la tête. Avait-il bien compris ce qu’il venait d’entendre ? Mathilde sourit.

« Bon, c’est décidé ! Tu commences tout de suite. »

Jaram était toujours abasourdi.

« La tradition veut que l’on prenne un nom de scène lorsqu’on rejoint une nouvelle troupe. Pour toi, vu ta première performance, on t’appellera… Charm ! »

Jaram n’en revenait toujours pas ! A tel point qu’il n’eut même pas l’idée de dire merci. Il restait coi.

« Bon, c’est pas tout ça mais t’as du boulot sur la planche ! Viens ici que je te présente aux autres… »

Mathilde prit le jeune kaméen sous le bras et le mena vers le reste de la troupe. Et c’est ainsi que Charm rencontra sa deuxième famille.

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