Prisonnière.

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  Le bruit des sabots martelant la terre fait émerger la paysanne évanouie. Depuis combien de temps était-elle inconsciente ? Combien de kilomètres à présent, la séparait des cendres de son village ? Keelin ouvre les yeux faiblement, l'air froid fouette sa tête endolorie. Elle fixe ses poignets noués de corde. Telle une carcasse de chasse, elle pèse sur le flanc d'un immense cheval noir. Elle distingue une vaste végétation : « Des bois ? divague-t-elle. Où m'emmenez-vous ? » Une ombre couvre la lumière à l'horizon. Elle n'entrevoit que des traits flous et dans un bourdonnement lointain, des voix :

« Elle n'est pas en train de crever ?

— Je n'ai pas cogné si fort, grogne Yrian.»

  Elle retombe dans l'obscurité. Alaric sur sa colossale monture guide sa cohorte, ils chevauchent depuis plusieurs heures déjà. Les canassons commencent à traîner, les pauvres bêtes n'en peuvent plus et ses hommes ne valent pas mieux. Éreintés, seules quelques heures de sommeil depuis des jours. Tout ça pourquoi, une vierge ? Un peu d'or et quelques  bouteilles de pavot ? Un maigre butin pour une telle expédition. 

  Il ralentit, bifurquant sur un sentier et aperçoit en contrebas un lac. D'un geste, il mande à ses frères de le suivre. Une large rive entoure l'eau, la place terreuse où jonchent quelques brins de hautes herbes est abritée d'arbres feuillus aux couleurs d'automne. De grands morceaux de bois pavoisent parmi des roches anthracite.

« Nous ferons halte ici, clame Alaric. Et si clément est le ciel, une auberge nous ouvrira ses portes demain.

— Je veux bien qu'elle ouvre également ses cuisses, je m'engourdis ! s'esclaffe Arvel.

— Avec ta tronche, si tu veux qu'elles s'ouvrent, il te faudra avoir des bourses pleines, peste Yrian goguenard.

— Crois-moi, elles le sont, rigole le roux tenant son entre-jambe.»

  Yrian rit comme le reste du groupe. À un chêne, il attache les lanières de Bryts, un pur-sang noir pan garé. Un animal d'exception, d'une lignée d'autres temps, plus grand que tous les canassons jamais montés. La croupe de la bête, encombrée par le corps sans vie de la paysanne l'agace.

« Elle compte dormir encore longtemps !

— Fous-la à terre, suggère une voix voisine.»

  Yrian porte sur son épaule la villageoise inerte, petite et légère, il sent les bras ankylosés de la brune lui caresser le dos. Après quelques mètres, il la laisse tomber à l'eau. Le corps de la jeune fille s'immerge bruyamment. Elle resurgit avec célérité, déboussolée, sous les gausseries des barbares. Elle patauge avec difficulté les mains liées jusqu'à la berge.

  Le jeune homme accroupit sourit, d'un bras saisit la corde pour soulever sans mal, la chose en guenille assujettie au bout. L'eau marque de près le tissu contre sa chair, ses seins durcis par le lac glacé pointent à travers la chemisette. Il la contemple quelques brèves secondes et relâche Keelin sur l'herbe froide. Elle  le répugne avec insistance de ses yeux gris.

« Réveillée ?

— Oui...grelotte ses lèvres violine.

— Bien.»

  Yrian saisit les poignets rougissant de l'esclave et la traîne au sol. La jeune bat des jambes en piaulant pour se lever. Elle essaie de le suivre, mais ses pieds patinent dans la verdure glissante. Comme un sac encombrant, le brun la dépose près des fougères d'aigles grandes de presque quatre pieds. Elle tente de bouger, mais il la repositionne. Lorsqu'elle essaie de desserrer la corde de ses paumes, il ressert un peu plus : « C'est douloureux, grogne Keelin.»

  Le sauvageon s'approche à quelques centimètres d'elle et arrache un bout de sa robe autrefois beige. Il l'enfonce dans sa bouche et porte son doigt à ses lèvres : « Chut...»

  Elle le détaille : ses yeux en amande, bleu émaillé de vert, sa frange brune encadrant parfaitement les traits fins de son visage hâlé. Elle y remarque un grain de beauté, dans l'ombre de son nez . « Comment une brute de cette taille peut-elle être si habillement dessinée ? pense-t-elle dans le plus grand secret.» La faim et la peur, la prédisposent-t-elles à la folie, pour oser avouer, même à soi-même une telle aberration. Elle le regarde rejoindre les autres dans sa blouse de lin noir abîmée. 

  Cela fait un moment que Keelin entend les hommes festoyer derrière les halliers. Gelée, elle jalouse l'ornement flamboyant du feu dont seule la fumée lui profite. Quelques déchets sont lancés devant elle. Être bâillonnée est-elle la seule chose qui empêche sa bouche de manger à même le sol ? Son estomac affamé ne sait point, en cet instant il ne répond plus de rien. 

  Yrian, un poisson à la main, s'avance. Tout le corps de Keelin se raidit tandis qu'il s'assoit face à elle. La bouche pleine du jeune homme la fait saliver malgré elle. Il tend ses doigts gras et sales vers son visage, elle recule farouchement : « Après tout, n'est-ce pas aux creux de la nuit que les hommes perdent davantage leur bonne conduite, se terrifie intérieurement la vierge. Mais ce sont des sauvages, ont-ils même déjà eu une bonne conduite ?» 

 Le sauvage l'attrape par la cheville et tire d'une traite. Keelin ripe vers lui, si près qu'elle en apprécie à contrecœur sa chaleur. Il retire le linge de sa bouche, la jeune paysanne inspire profondément, la mâchoire crispée. Yrian glisse des miettes de gardon tiède dans sa bouche, la brune vorace savoure goulûment ses doigts, marmonnant de petits bruits de délectation. 

  Les lèvres de l'homme s'étirent en un fin sourire alors qu'il nourrit l'esclave affamée. Yrian dévisse le bouchon de sa gourde et la porte aux lèvres de la prisonnière. Cette dernière assoiffée en prend une goulée, le liquide brûle sa gorge fragile. Elle tousse, grimaçant alors qu'il l'abreuve. L'alcool s'écoule sur son menton, l'homme essuie les gouttes de son pouce et le porte à sa bouche pour le suçoter. Keelin, gênée de l'intensité de son geste détourne les yeux. Il s'en va comme il est venu, l'air malicieux et amusé de surcroît.

  Un bruit réveille Keelin, recroquevillée dans la pénombre matinale. Un des hommes soulage sa vessie à une enjambée d'elle. La surprise l'immobilise, le barbare ne l'a pas remarquée tapie dans l'ombre des fougères, il semble l'avoir oubliée. « Est-ce là, le meilleur moment pour tenter de fuir ? se demande la jeune fille. Ne sont-ils pas tous, saouls et endormis?» 

  Elle observe le géant s'éloigner lorsqu'il s'effondre à terre. Une silhouette masculine tient une machette dont l'odeur du sang émane jusqu'au nez de l'esclave tétanisée. Le regard de l'assaillant reluque Keelin avec un rictus malsain, elle hurle aussi fort que ses poumons le lui permettent.

Des hommes fins et pâles, mais d'une incroyable rapidité sortie de nulle part. Les sauvageons pris de surprise, alarment le campement : 

« On nous attaque ! 

— Tuez, ne les laissez rien voler, ordonne Alaric.»

  Les hommes se battent tandis que les flèches fusent. Un corps flanque à genoux sur la gauche de la prisonnière apeurée. Un maigre bandit, à la trachée pratiquement arrachée, l'arrose de son sang tiède. La jeune fille comprend, dans cette aurore chaotique, que le destin lui ouvre une porte. Une échappatoire bénite par des flots de chair sanguinolente.

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